Le Minnesota, terre d’accueil pour les réfugiés climatiques californiens
Certains États américains comme la Californie, aux prises avec les aléas du cli‐ mat et les catastrophes na‐ turelles, subissent un exode de leurs résidents vers des régions plus hospi‐ talières. Une ville comme Duluth, au Minnesota, ac‐ cueille ainsi de plus en plus de réfugiés climatiques. Un phénomène qui a des im‐ pacts positifs, mais aussi négatifs.
Jerry Arendt a quitté la ré‐ gion de Sonoma en juillet der‐ nier afin de déménager dans la petite ville de 86 000 âmes située au bord du lac Supé‐ rieur. Employé de la distillerie locale Vikre, il s’est adapté à sa nouvelle réalité climatique.
J’ai appris à choisir la bonne pelle et la bonne souf‐ fleuse à neige, dit-il en riant. Un choix qu’il ne regrette pas, puisque son ancienne réalité climatique était peu enviable.
Jusqu’à la fin de l’été, il y avait des jours où on ne pou‐ vait pas sortir de la maison à cause de l’épaisse fumée et nous subissions des coupures de courant pour diminuer le risque d’autres feux.
Jerry Arendt
Il en a eu donc assez des feux de forêt, du manque d’eau et du coût de la vie pro‐ hibitif.
Tout comme Jonathan Jen‐ kins, un autre Californien qui a quitté la côte ouest pour les cieux plus hospitaliers du Minnesota. Aujourd’hui pro‐ priétaire de plusieurs com‐ merces à Duluth, il a fait le choix de vivre plus au nord pour donner un cadre plus fa‐ cile à sa famille.
Je voulais qu'ils vivent dans un endroit sûr et [avec] l'eau potable la plus propre. Vous avez ici le lac Supérieur qui est l'une des plus grandes étendues d'eau douce au monde, et cela semblait vrai‐ ment être un endroit durable où vivre.
Jonathan Jenkins, origi‐ naire de la Californie
Adepte des sports de plein air, il réussit même lors de grands vents à s’adonner à son sport favori sur le lac Su‐ périeur, le surf, qu’il avait l’ha‐ bitude de pratiquer dans sa Californie natale. Installé de‐ puis quelques années à Du‐ luth, il pense avoir fait le bon choix.
En Californie, j'ai grandi avec les tremblements de terre. Et mon père vit dans une zone qui a déjà dû être évacuée en raison de la fumée et de l'avancée du feu, confie Jonathan Jenkins.
Un coup de pouce démo‐ graphique
Qu’ils viennent de Califor‐ nie, du Colorado ou d’autres
États victimes des change‐ ments climatiques, ils seraient quelques centaines à avoir déménagé à Duluth dans les dernières années.
La ville a connu un boom industriel il y a un siècle, mais elle lutte aujourd’hui contre un déclin démographique.
Monica Haynes, directrice du bureau des recherches économiques et commer‐ ciales, à l’Université du Minne‐ sota à Duluth, s’est intéressée au phénomène des réfugiés climatiques. Elle note certains avantages.
Duluth a connu une crois‐ sance démographique très faible pendant de nom‐ breuses années. Cela pourrait donc être une bonne chose pour la communauté d'avoir cet afflux, ce qui se traduirait par des recettes fiscales plus importantes et par la création d’entreprises, bénéfique pour l’économie locale, croit-elle.
S’il n’existe pas encore de statistiques mises à jour ré‐ cemment sur ce phénomène, il suffit de se promener dans cette ville pour voir une cer‐ taine influence de la côte ouest grâce à l’apparition de commerces à saveur califor‐ nienne comme des bars à jus et autres cafés et restaurants véganes, par exemple.
Histoire de prendre le pouls de cette tendance crois‐ sante, le salon de coiffure d'Adeline Wright est un bon endroit.
Dix pour cent de sa clien‐ tèle est composée mainte‐ nant de résidents d’autres États qui ont élu domicile à Duluth. Elle voit cette migra‐ tion d’un très bon oeil. Une mi‐ gration climatique qui va sou‐ vent de pair avec une migra‐ tion politique plus progres‐ siste, selon elle.
Elle se réjouit de la diversi‐ fication de la population sur le plan socio-économique.
La plupart des personnes avec lesquelles j'ai eu des contacts sont politiquement à gauche parce qu'elles croient en la science du climat. C'est un groupe démographique parfait pour moi en ce qui concerne le type d'entreprise que je dirige et le type de tra‐ vail que je fais au sein de ma communauté. J'en suis très heureuse.
Comment ces réfugiés par‐ ticuliers sont-ils perçus par les gens de Duluth? Jonathan Jen‐ kins, qui accueille les clients dans son café où l’on sert des produits locaux, a sa petite idée.
C’est un peu une relation d'amour et de haine, dit-il. Mais dans l'ensemble, la com‐ munauté s’est montrée très accueillante.
Le problème de l'em‐ bourgeoisement
Il n’en demeure pas moins que cette arrivée de migrants du climat a un impact social plutôt indésirable, selon la chercheuse Monica Haynes. L'embourgeoisement devient également un problème, ditelle.
Comme le taux de pauvre‐ té est déjà assez élevé à Du‐ luth, on craint donc que l'arri‐ vée en ville de personnes aux revenus plus élevés et l'aug‐ mentation du coût du loge‐ ment n'entraînent une aug‐ mentation du nombre de sans-abri, et que davantage de personnes ne soient contraintes de quitter la ville ou de s'installer dans des zones à plus faibles revenus.
Monica Haynes, directrice du bureau des recherches économiques et commer‐ ciales à l’Université du Minne‐ sota
Pour s’en rendre compte, il suffit de se pencher sur le marché immobilier local.
L’agente Karen Pagel Guerndt n’a pour l’instant qu’une seule maison à vendre dans son portefeuille. Elle ne nie pas que les réfugiés clima‐ tiques y sont pour quelque chose.
Ils arrivent généralement dans une situation qui leur permet de vendre leur pro‐ priété, de rembourser leur hy‐ pothèque, puis de s'installer ici et de pouvoir payer en ar‐ gent comptant leur nouvelle maison à Duluth parce qu'ils ont suffisamment d'argent, note-t-elle.
De quoi mettre la pression à la hausse sur les prix, ce qui frustre aussi les habitants lo‐ caux aux prises avec un indice d'accessibilité qui diminue chaque année.
Avec des prix de vente en constante augmentation, cela met les personnes qui tra‐ vaillent et qui vivent ici depuis de nombreuses années dans une position défavorable quand vient le temps d'être compétitif pour l’achat de ces maisons.
Fuir les problèmes pour en trouver d’autres
Ces réfugiés climatiques peuvent-ils échapper à ce qu’ils ont fui à l’origine?
Laure Charleux a déména‐ gé de la France à Duluth il y a une douzaine d’années. Cette professeure de géographie a constaté que les change‐ ments climatiques se font res‐ sentir ici, d’une autre façon.
On a de longues périodes de sécheresse ou de longues périodes très humides, au contraire, qui donnent lieu à des inondations. La prome‐ nade le long du lac a été re‐ faite d'une manière beaucoup plus solide ces dernières an‐ nées, avec beaucoup de rocs,
pour que lors de ces grosses tempêtes, le tout ne soit pas érodé.
Laure Charleux, profes‐ seure de géographie et rési‐ dente de Duluth
Elle constate aussi le recul de la forêt boréale aux abords de la ville. On a beaucoup d'arbres qui sont vraiment en détresse, en train de mourir. On a des programmes pour essayer de les remplacer par des arbres des zones clima‐ tiques un peu chaudes, donc notre environnement change.
Un enracinement cer‐ tain
Même si on est encore loin des désastres californiens ou autres, la ville suit quand même de près ces impacts sur les infrastructures locales face à cet afflux de nouveaux rési‐ dents d’ailleurs.
Il y a des points forts dans nos infrastructures, mais il y a aussi des préoccupations concernant l'entretien à long terme et la capacité à les dé‐ velopper pour répondre aux pressions accrues de la popu‐ lation et des changements cli‐ matiques.
Monica Haynes, de l'Uni‐ versité du Minnesota à Du‐ luth
En attendant cette adapta‐ tion au phénomène des réfu‐ giés climatiques qui touchent d’autres villes comme Buffalo dans l’État de New York et Dé‐ troit au Michigan, bien des ré‐ fugiés climatiques n’ont pas l’intention de plier bagage de sitôt.
Alors que d’autres ont ré‐ cemment décidé que l’hiver enneigé du Duluth n’était pas pour eux et sont donc retour‐ nés en Californie ou au Colo‐ rado, Jonathan Jenkins sou‐ haite s’enraciner dans son nouveau chez-lui.
Ayant goûté un peu ce à quoi j'ai pu m'habituer, la communauté de Duluth, dans le Minnesota, en particulier, me tient très à coeur et est très spéciale pour moi, dit ce‐ lui qui est déjà bien engagé dans la vie communautaire et économique. Et il veut conti‐ nuer de participer à l’essor de Duluth.
Tout comme Jerry Arendt d’ailleurs : Je ne veux pas dire pour toujours, mais nous al‐ lons probablement rester ici assez longtemps pour nous intégrer dans la communauté et devenir des "Duluthiens".