Protection du caribou : la nouvelle stratégie compromise?
Plus personne n'ose avan‐ cer de date butoir pour le dévoilement de la stratégie de protection de l'habitat du caribou forestier. Inca‐ pable d'accoucher du docu‐ ment, Québec provoque cy‐ nisme et inquiétude, no‐ tamment à Ottawa.
Le gouvernement Legault a désormais tout en main : possibilités forestières mises à jour, rapport de la commis‐ sion indépendante sur le ca‐ ribou forestier et monta‐ gnard, données d'inventaires des hardes québécoises, études d'impacts des chan‐ gements climatiques et de l'activité industrielle sur l'ha‐ bitat du cervidé.
Québec est cependant in‐ capable de franchir l'étape de la consultation interministé‐ rielle, l'empêchant ainsi de déposer une première ébauche de la stratégie à soumettre à la consultation publique.
Le ministre de l'Environ‐ nement, de la Lutte contre les Changements clima‐ tiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, n'a toujours pas l'aval de ses col‐ lègues. Plusieurs sources ont indiqué à Radio-Canada que la stratégie devait être à l'agenda du conseil des mi‐ nistres du 31 janvier dernier, avant d'être retirée à la der‐ nière minute.
Depuis, plus aucune date ne circule dans les officines caquistes. Au cabinet de M. Charette, la réponse est éva‐ sive. On souhaite déposer la stratégie le plus rapidement possible.
Craintes économiques
Selon nos informations, plusieurs commentaires ont été émis concernant les im‐ pacts socioéconomiques de la stratégie, en particulier sur les travailleurs de l'industrie forestière. Cette dualité est au coeur du débat sur la pro‐ tection de l'habitat du cari‐ bou.
En visite au Saguenay-LacSaint-Jean la semaine der‐ nière, le ministre de l'Écono‐ mie et de l'Innovation, Pierre Fitzgibbon, a fait écho à ces préoccupations qui provien‐ draient d'élus locaux où l'in‐ dustrie forestière est particu‐ lièrement présente.
Il a rappelé l'importance de sauver les 55 000 emplois directs liés au secteur fores‐ tier. S'il faut être sensible à la cause des milieux humides et de la biodiversité, M. Fitzgib‐ bon a dit craindre des im‐ pacts trop néfastes sur l'acti‐ vité économique. Je veux pro‐ téger le caribou, a-t-il dit en entrevue au média local Le Quotidien. Mais je veux aussi que le Québec ne s'appau‐ vrisse pas.
Il a du même souffle men‐ tionné l'importance de faire les choses dans l'ordre, et non dans le désordre, évo‐ quant au passage les consul‐ tations sur l'avenir de la forêt menées par la ministre des Ressources naturelles, Maïté Blanchette-Vézina. Avant de lancer des choses, on doit être préparé, a ajouté le mi‐ nistre de l'Économie.
Les consultations sur l'avenir de la forêt ont été an‐ noncées le 17 novembre. Le rapport final est pour sa part attendu au mois de juin pro‐ chain.
Le fédéral inquiet
Si le dépôt de la stratégie semblait imminent au tour‐ nant de 2024, le brouillard s'épaissit désormais.
Insatisfait des décisions prises par le Québec, le mi‐ nistre fédéral de l'Environne‐ ment, Steven Guilbeault, in‐ terpelle à nouveau le mi‐ nistre Charette. J’ai relancé mon homologue et j’attends sa réponse avec impatience. La perte de biodiversité est inquiétante et on doit agir immédiatement, indique-t-il à Radio-Canada par l'entre‐ mise de son attachée de presse.
Une lettre officielle devrait être acheminée au cabinet de M. Charette au courant des prochaines heures.
Le gouvernement du Ca‐ nada s’attend à ce que le gouvernement du Québec respecte son engagement de garantir 65 % d’habitat non perturbé dans l’aire de répar‐ tition de chacune des popu‐ lations tel qu’annoncé en août 2022, ajoute M. Guil‐ beault.
L'entente mentionnée par le ministre fédéral venait nor‐ malement avec une échéance. La province avait en effet jusqu'à la fin du mois de juin 2023 pour présenter ses nouvelles mesures de protection, sans quoi Ottawa
menaçait d'intervenir au Québec par décret.
Or les feux de forêt histo‐ riques de l'été dernier ont as‐ soupli les délais et le fédéral a accepté de laisser du temps supplémentaire, no‐ tamment pour mesurer l'im‐ pact des brasiers sur les pos‐ sibilités forestières, à savoir les volumes de bois que peut récolter l'industrie.
L'intervention éventuelle du fédéral est une obligation légale du ministre de l'Envi‐ ronnement imbriquée dans la Loi sur les espèces en péril au Canada. Dans le cas du caribou forestier et du cari‐ bou montagnard, jusqu'à 35 000 km2 de territoire pour‐ raient être affectés par des restrictions.
Un manque de respect
Pendant que l'industrie forestière salue la patience du gouvernement et sa ré‐ flexion sur l'aménagement forestier, les scientifiques et autres organismes de conservation perdent confiance.
Il y a un manque de re‐ spect pour toutes les per‐ sonnes et toutes les organi‐ sations qui ont participé à la commission caribou de bonne foi pour proposer des solutions, dénonce Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Canada, Sec‐ tion Québec (SNAP Québec).
La commission indépen‐ dante a remis son rapport à l'été 2022. Le rapport Gélinas concluait qu'il y avait « ur‐ gence d'agir » pour éviter la disparition des hardes du Québec.
Nous, les organisations environnementales, on doit peut-être réactiver des stra‐ tégies qui pourraient amener le gouvernement fédéral à agir pour activer les mesures de protection en vertu de la Loi sur les espèces en péril. Ce sont les options qui s'offrent à nous maintenant face à l'inaction continue et récurrente du Québec, pour‐ suit M. Branchaud.
La menace de poursuites contre le Québec et le gou‐ vernement fédéral revient ré‐ gulièrement, notamment chez les Premières Nations.
Car la pression n'est pas que sur le Québec. Le mi‐ nistre Steven Guilbeault brandit l'épouvantail des dé‐ crets fédéraux depuis trois ans maintenant. Pendant ce temps, les populations conti‐ nuent de décliner.
5252
C'est le nombre de cari‐ bous forestiers estimés au Québec.
Source : Commission in‐ dépendante sur le caribou forestier et montagnard
Lobby puissant
L'industrie forestière, ajoute M. Branchaud, profite de ces délais pour faire pas‐ ser son message auprès des élus.
La position du lobby fo‐ restier est de ne céder aucun mètre cube. [...] Ils sont ex‐ trêmement efficaces et à chaque vague qui pourrait amener des mesures de pro‐ tection pour le caribou, ce sont des dizaines et des cen‐ taines de personnes qui ap‐ pellent au cabinet, qui font pression pour faire reculer le gouvernement, explique le biologiste.
On fait les choses comme en 1850. Ce n'est qu'une vo‐ lonté ferme gouvernemen‐ tale qui peut changer cette direction-là, moderniser nos façons de faire.
Alain Branchaud, direc‐ teur général, SNAP Québec
Sans être insensible en‐ vers les travailleurs du sec‐ teur forestier, M. Branchaud croit qu'il existe, avec la pro‐ tection de l'habitat du cari‐ bou, une opportunité d'amorcer une transition.
C'est dommage parce que d'un point de vue écono‐ mique et socioéconomique, on emprisonne des commu‐ nautés entières dans la dé‐ pendance à cette industrie-là, on évite de faire de la diversi‐ fication économique, on dé‐ truit littéralement nos forêts et le capital nature que ça re‐ présente ainsi que la biodi‐ versité qu'abritent ces forêtslà.
Plus gros que le caribou
Martin-Hugues St-Laurent, professeur en écologie ani‐ male à l'Université du Qué‐ bec à Rimouski, observe un changement de paradigme.
Selon lui, le cri du coeur du Forestier en chef pour une modernisation des pratiques sylvicoles, l'automne dernier, démontre que les enjeux liés à la forêt dépassent le cari‐ bou.
La récurrence et la vio‐ lence des feux de forêt, à elle seule, vient changer la donne dans l'approvisionnement fo‐ restier. Les possibilités fores‐ tières ont été réduites pour la prochaine année le Ca‐ nada s'attend à une autre saison des feux difficile, voire pire.
Selon M. St-Laurent, l'in‐ dustrie est déjà sur les dents. Annoncer une stratégie cari‐ bou qui se marie mal au feu, ce n'est pas facile à faire.
Je comprends l'enjeu so‐ cioéconomique. Il faut ac‐ compagner, trouver des fonds pour requalifier des travailleurs, dit-il. Québec et Ottawa ont d'ailleurs déjà évoqués des programmes de compensation pour l'indus‐ trie.
S'il convient que les en‐ jeux sont nombreux, il est se‐ lon lui utopique de penser à récolter davantage de bois, d'autant que les feux risquent d'en engloutir en‐ core davantage.
Le premier bénéficiaire des volumes de bois au Qué‐ bec, c'est le feu. Tant qu'on va considérer l'industrie avant le feu et corriger après coup, nos calculs ne tiendront pas la route.
Martin-Hugues St-Laurent, professeur en écologie ani‐ male, Université du Québec à Rimouski
Trop tardé
Martin-Hugues St-Laurent n'en demeure pas moins cri‐ tique des décideurs poli‐ tiques concernant le caribou forestier et la protection de son habitat. La stratégie au‐ rait déjà dû être déposée, se‐ lon lui. La Coalition avenir Québec, à elle seule, re‐ pousse l'échéance depuis 2019.
Les plus cyniques diraient qu'on a joué la montre, qu'on a affaibli des hardes, qu'on a fini de récolter du bois à des endroits où les populations étaient de plus en plus fra‐ giles, déplore M. St-Laurent. Les gouvernements, tant pro‐ vincial que fédéral, ne sont pas en train de respecter les engagements éthiques et moraux de protection de la biodiversité.
Sur une intervention du gouvernement fédéral au Québec, le biologiste et ex‐ pert du caribou est de plus en plus sceptique. C'est un pari qui valait la peine d'être considéré. Mais on arrive vers la fin d'un mandat libé‐ ral, les conservateurs qui ont le vent dans les voiles. Si on arrive avec des mesures qui feraient perdre du support dans certaines régions, c'est plus difficile.
reste en vigueur aux pro‐ chaines élections, et de prendre le temps, par la suite, d’étudier une seconde pièce législative visant à re‐ voir la Loi électorale en pro‐ fondeur.
Dans les deux cas, toute‐ fois, le gouvernement de la CAQ, majoritaire, devra bou‐ ger prestement s’il estime lui aussi qu’en fonction des cri‐ tères actuels, la proposition de délimitation finale de la CRÉ sera forcément insatis‐ faisante, souligne M. Derraji.
Une quée proposition criti‐
La CRÉ est un organisme indépendant chargé toutes les deux élections de revoir les frontières de tous les comtés du Québec. Elle est présidée par le Directeur gé‐ néral des élections (DGE), Jean-François Blanchet.
Déposé à l’Assemblée na‐ tionale l’automne dernier, le rapport préliminaire de la CRÉ prévoit notamment de retirer deux circonscriptions, à Montréal et en Gaspésie, pour en créer deux autres, dans les Laurentides et dans le Centre-du-Québec.
Cette proposition est contestée par les élus des ré‐ gions qui, en vertu de la nou‐ velle carte, verraient leur poids politique diminuer. L’Assemblée nationale a aussi voté unanimement en faveur d’une motion réclamant le maintien des deux comtés actuels de la Gaspésie, en oc‐ tobre.
Trente-huit députés ont témoigné lors du passage de la CRÉ en commission parle‐ mentaire, du 13 au 15 février derniers. La plupart des élus ont plaidé pour le statu quo. D’autres ont plutôt proposé de supprimer non pas une, mais deux circonscriptions à Montréal.
Ajouter quatre députés, une bonne idée?
Rouvrir la Loi électorale inchangée ou presque depuis 35 ans - ne serait pas une mince affaire, dans la mesure où les partis pourraient vou‐ loir y apporter des change‐ ments différents.
Le premier ministre Le‐ gault, par exemple, a évoqué récemment la possibilité de modifier la loi pour mettre fin au financement populaire des partis politiques dans la foulée de la controverse en‐ tourant les cocktails de finan‐ cement de la CAQ.
Solidaires et péquistes, quant à eux, pourraient vou‐ loir en profiter pour discuter du mode de scrutin, auquel ils souhaiteraient ajouter une dimension proportionnelle.
En commission parlemen‐ taire, les deux partis ont aussi soulevé l’idée de faire passer le nombre de députés de 125 à 129, ce que ren‐ dront possible les travaux de réaménagement du Salon bleu qui débuteront plus tard cette année.
Une telle solution pourrait être étudiée, convient Mon‐ sef Derraji. Elle constituerait néanmoins une réponse sim‐ pliste à une question beau‐ coup plus complexe, qui n’au‐ rait par exemple aucun effet sur la représentativité des ré‐ sidents qui ne possèdent pas le statut d’électeur, note-t-il.
Les élections générales de 2026 devraient normalement se tenir en fonction de la carte sur laquelle planche ac‐ tuellement la CRÉ. À moins que la Loi électorale soit re‐ vue, évidemment.
Dans ses remarques fi‐ nales en commission parle‐ mentaire, le 15 février, le mi‐ nistre responsable des Insti‐ tutions démocratiques, JeanFrançois Roberge, n’a pas voulu statuer sur la question, se contentant de dire qu’une éventuelle démarche desti‐ née à modifier la loi sera sans doute fructueuse à un moment donné.