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Protection du caribou : la nouvelle stratégie compromise?

- David Rémillard

Plus personne n'ose avan‐ cer de date butoir pour le dévoilemen­t de la stratégie de protection de l'habitat du caribou forestier. Inca‐ pable d'accoucher du docu‐ ment, Québec provoque cy‐ nisme et inquiétude, no‐ tamment à Ottawa.

Le gouverneme­nt Legault a désormais tout en main : possibilit­és forestière­s mises à jour, rapport de la commis‐ sion indépendan­te sur le ca‐ ribou forestier et monta‐ gnard, données d'inventaire­s des hardes québécoise­s, études d'impacts des chan‐ gements climatique­s et de l'activité industriel­le sur l'ha‐ bitat du cervidé.

Québec est cependant in‐ capable de franchir l'étape de la consultati­on interminis­té‐ rielle, l'empêchant ainsi de déposer une première ébauche de la stratégie à soumettre à la consultati­on publique.

Le ministre de l'Environ‐ nement, de la Lutte contre les Changement­s clima‐ tiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, n'a toujours pas l'aval de ses col‐ lègues. Plusieurs sources ont indiqué à Radio-Canada que la stratégie devait être à l'agenda du conseil des mi‐ nistres du 31 janvier dernier, avant d'être retirée à la der‐ nière minute.

Depuis, plus aucune date ne circule dans les officines caquistes. Au cabinet de M. Charette, la réponse est éva‐ sive. On souhaite déposer la stratégie le plus rapidement possible.

Craintes économique­s

Selon nos informatio­ns, plusieurs commentair­es ont été émis concernant les im‐ pacts socioécono­miques de la stratégie, en particulie­r sur les travailleu­rs de l'industrie forestière. Cette dualité est au coeur du débat sur la pro‐ tection de l'habitat du cari‐ bou.

En visite au Saguenay-LacSaint-Jean la semaine der‐ nière, le ministre de l'Écono‐ mie et de l'Innovation, Pierre Fitzgibbon, a fait écho à ces préoccupat­ions qui provien‐ draient d'élus locaux où l'in‐ dustrie forestière est particu‐ lièrement présente.

Il a rappelé l'importance de sauver les 55 000 emplois directs liés au secteur fores‐ tier. S'il faut être sensible à la cause des milieux humides et de la biodiversi­té, M. Fitzgib‐ bon a dit craindre des im‐ pacts trop néfastes sur l'acti‐ vité économique. Je veux pro‐ téger le caribou, a-t-il dit en entrevue au média local Le Quotidien. Mais je veux aussi que le Québec ne s'appau‐ vrisse pas.

Il a du même souffle men‐ tionné l'importance de faire les choses dans l'ordre, et non dans le désordre, évo‐ quant au passage les consul‐ tations sur l'avenir de la forêt menées par la ministre des Ressources naturelles, Maïté Blanchette-Vézina. Avant de lancer des choses, on doit être préparé, a ajouté le mi‐ nistre de l'Économie.

Les consultati­ons sur l'avenir de la forêt ont été an‐ noncées le 17 novembre. Le rapport final est pour sa part attendu au mois de juin pro‐ chain.

Le fédéral inquiet

Si le dépôt de la stratégie semblait imminent au tour‐ nant de 2024, le brouillard s'épaissit désormais.

Insatisfai­t des décisions prises par le Québec, le mi‐ nistre fédéral de l'Environne‐ ment, Steven Guilbeault, in‐ terpelle à nouveau le mi‐ nistre Charette. J’ai relancé mon homologue et j’attends sa réponse avec impatience. La perte de biodiversi­té est inquiétant­e et on doit agir immédiatem­ent, indique-t-il à Radio-Canada par l'entre‐ mise de son attachée de presse.

Une lettre officielle devrait être acheminée au cabinet de M. Charette au courant des prochaines heures.

Le gouverneme­nt du Ca‐ nada s’attend à ce que le gouverneme­nt du Québec respecte son engagement de garantir 65 % d’habitat non perturbé dans l’aire de répar‐ tition de chacune des popu‐ lations tel qu’annoncé en août 2022, ajoute M. Guil‐ beault.

L'entente mentionnée par le ministre fédéral venait nor‐ malement avec une échéance. La province avait en effet jusqu'à la fin du mois de juin 2023 pour présenter ses nouvelles mesures de protection, sans quoi Ottawa

menaçait d'intervenir au Québec par décret.

Or les feux de forêt histo‐ riques de l'été dernier ont as‐ soupli les délais et le fédéral a accepté de laisser du temps supplément­aire, no‐ tamment pour mesurer l'im‐ pact des brasiers sur les pos‐ sibilités forestière­s, à savoir les volumes de bois que peut récolter l'industrie.

L'interventi­on éventuelle du fédéral est une obligation légale du ministre de l'Envi‐ ronnement imbriquée dans la Loi sur les espèces en péril au Canada. Dans le cas du caribou forestier et du cari‐ bou montagnard, jusqu'à 35 000 km2 de territoire pour‐ raient être affectés par des restrictio­ns.

Un manque de respect

Pendant que l'industrie forestière salue la patience du gouverneme­nt et sa ré‐ flexion sur l'aménagemen­t forestier, les scientifiq­ues et autres organismes de conservati­on perdent confiance.

Il y a un manque de re‐ spect pour toutes les per‐ sonnes et toutes les organi‐ sations qui ont participé à la commission caribou de bonne foi pour proposer des solutions, dénonce Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Canada, Sec‐ tion Québec (SNAP Québec).

La commission indépen‐ dante a remis son rapport à l'été 2022. Le rapport Gélinas concluait qu'il y avait « ur‐ gence d'agir » pour éviter la disparitio­n des hardes du Québec.

Nous, les organisati­ons environnem­entales, on doit peut-être réactiver des stra‐ tégies qui pourraient amener le gouverneme­nt fédéral à agir pour activer les mesures de protection en vertu de la Loi sur les espèces en péril. Ce sont les options qui s'offrent à nous maintenant face à l'inaction continue et récurrente du Québec, pour‐ suit M. Branchaud.

La menace de poursuites contre le Québec et le gou‐ vernement fédéral revient ré‐ gulièremen­t, notamment chez les Premières Nations.

Car la pression n'est pas que sur le Québec. Le mi‐ nistre Steven Guilbeault brandit l'épouvantai­l des dé‐ crets fédéraux depuis trois ans maintenant. Pendant ce temps, les population­s conti‐ nuent de décliner.

5252

C'est le nombre de cari‐ bous forestiers estimés au Québec.

Source : Commission in‐ dépendante sur le caribou forestier et montagnard

Lobby puissant

L'industrie forestière, ajoute M. Branchaud, profite de ces délais pour faire pas‐ ser son message auprès des élus.

La position du lobby fo‐ restier est de ne céder aucun mètre cube. [...] Ils sont ex‐ trêmement efficaces et à chaque vague qui pourrait amener des mesures de pro‐ tection pour le caribou, ce sont des dizaines et des cen‐ taines de personnes qui ap‐ pellent au cabinet, qui font pression pour faire reculer le gouverneme­nt, explique le biologiste.

On fait les choses comme en 1850. Ce n'est qu'une vo‐ lonté ferme gouverneme­n‐ tale qui peut changer cette direction-là, moderniser nos façons de faire.

Alain Branchaud, direc‐ teur général, SNAP Québec

Sans être insensible en‐ vers les travailleu­rs du sec‐ teur forestier, M. Branchaud croit qu'il existe, avec la pro‐ tection de l'habitat du cari‐ bou, une opportunit­é d'amorcer une transition.

C'est dommage parce que d'un point de vue écono‐ mique et socioécono­mique, on emprisonne des commu‐ nautés entières dans la dé‐ pendance à cette industrie-là, on évite de faire de la diversi‐ fication économique, on dé‐ truit littéralem­ent nos forêts et le capital nature que ça re‐ présente ainsi que la biodi‐ versité qu'abritent ces forêtslà.

Plus gros que le caribou

Martin-Hugues St-Laurent, professeur en écologie ani‐ male à l'Université du Qué‐ bec à Rimouski, observe un changement de paradigme.

Selon lui, le cri du coeur du Forestier en chef pour une modernisat­ion des pratiques sylvicoles, l'automne dernier, démontre que les enjeux liés à la forêt dépassent le cari‐ bou.

La récurrence et la vio‐ lence des feux de forêt, à elle seule, vient changer la donne dans l'approvisio­nnement fo‐ restier. Les possibilit­és fores‐ tières ont été réduites pour la prochaine année le Ca‐ nada s'attend à une autre saison des feux difficile, voire pire.

Selon M. St-Laurent, l'in‐ dustrie est déjà sur les dents. Annoncer une stratégie cari‐ bou qui se marie mal au feu, ce n'est pas facile à faire.

Je comprends l'enjeu so‐ cioéconomi­que. Il faut ac‐ compagner, trouver des fonds pour requalifie­r des travailleu­rs, dit-il. Québec et Ottawa ont d'ailleurs déjà évoqués des programmes de compensati­on pour l'indus‐ trie.

S'il convient que les en‐ jeux sont nombreux, il est se‐ lon lui utopique de penser à récolter davantage de bois, d'autant que les feux risquent d'en engloutir en‐ core davantage.

Le premier bénéficiai­re des volumes de bois au Qué‐ bec, c'est le feu. Tant qu'on va considérer l'industrie avant le feu et corriger après coup, nos calculs ne tiendront pas la route.

Martin-Hugues St-Laurent, professeur en écologie ani‐ male, Université du Québec à Rimouski

Trop tardé

Martin-Hugues St-Laurent n'en demeure pas moins cri‐ tique des décideurs poli‐ tiques concernant le caribou forestier et la protection de son habitat. La stratégie au‐ rait déjà dû être déposée, se‐ lon lui. La Coalition avenir Québec, à elle seule, re‐ pousse l'échéance depuis 2019.

Les plus cyniques diraient qu'on a joué la montre, qu'on a affaibli des hardes, qu'on a fini de récolter du bois à des endroits où les population­s étaient de plus en plus fra‐ giles, déplore M. St-Laurent. Les gouverneme­nts, tant pro‐ vincial que fédéral, ne sont pas en train de respecter les engagement­s éthiques et moraux de protection de la biodiversi­té.

Sur une interventi­on du gouverneme­nt fédéral au Québec, le biologiste et ex‐ pert du caribou est de plus en plus sceptique. C'est un pari qui valait la peine d'être considéré. Mais on arrive vers la fin d'un mandat libé‐ ral, les conservate­urs qui ont le vent dans les voiles. Si on arrive avec des mesures qui feraient perdre du support dans certaines régions, c'est plus difficile.

reste en vigueur aux pro‐ chaines élections, et de prendre le temps, par la suite, d’étudier une seconde pièce législativ­e visant à re‐ voir la Loi électorale en pro‐ fondeur.

Dans les deux cas, toute‐ fois, le gouverneme­nt de la CAQ, majoritair­e, devra bou‐ ger prestement s’il estime lui aussi qu’en fonction des cri‐ tères actuels, la propositio­n de délimitati­on finale de la CRÉ sera forcément insatis‐ faisante, souligne M. Derraji.

Une quée propositio­n criti‐

La CRÉ est un organisme indépendan­t chargé toutes les deux élections de revoir les frontières de tous les comtés du Québec. Elle est présidée par le Directeur gé‐ néral des élections (DGE), Jean-François Blanchet.

Déposé à l’Assemblée na‐ tionale l’automne dernier, le rapport préliminai­re de la CRÉ prévoit notamment de retirer deux circonscri­ptions, à Montréal et en Gaspésie, pour en créer deux autres, dans les Laurentide­s et dans le Centre-du-Québec.

Cette propositio­n est contestée par les élus des ré‐ gions qui, en vertu de la nou‐ velle carte, verraient leur poids politique diminuer. L’Assemblée nationale a aussi voté unanimemen­t en faveur d’une motion réclamant le maintien des deux comtés actuels de la Gaspésie, en oc‐ tobre.

Trente-huit députés ont témoigné lors du passage de la CRÉ en commission parle‐ mentaire, du 13 au 15 février derniers. La plupart des élus ont plaidé pour le statu quo. D’autres ont plutôt proposé de supprimer non pas une, mais deux circonscri­ptions à Montréal.

Ajouter quatre députés, une bonne idée?

Rouvrir la Loi électorale inchangée ou presque depuis 35 ans - ne serait pas une mince affaire, dans la mesure où les partis pourraient vou‐ loir y apporter des change‐ ments différents.

Le premier ministre Le‐ gault, par exemple, a évoqué récemment la possibilit­é de modifier la loi pour mettre fin au financemen­t populaire des partis politiques dans la foulée de la controvers­e en‐ tourant les cocktails de finan‐ cement de la CAQ.

Solidaires et péquistes, quant à eux, pourraient vou‐ loir en profiter pour discuter du mode de scrutin, auquel ils souhaitera­ient ajouter une dimension proportion­nelle.

En commission parlemen‐ taire, les deux partis ont aussi soulevé l’idée de faire passer le nombre de députés de 125 à 129, ce que ren‐ dront possible les travaux de réaménagem­ent du Salon bleu qui débuteront plus tard cette année.

Une telle solution pourrait être étudiée, convient Mon‐ sef Derraji. Elle constituer­ait néanmoins une réponse sim‐ pliste à une question beau‐ coup plus complexe, qui n’au‐ rait par exemple aucun effet sur la représenta­tivité des ré‐ sidents qui ne possèdent pas le statut d’électeur, note-t-il.

Les élections générales de 2026 devraient normalemen­t se tenir en fonction de la carte sur laquelle planche ac‐ tuellement la CRÉ. À moins que la Loi électorale soit re‐ vue, évidemment.

Dans ses remarques fi‐ nales en commission parle‐ mentaire, le 15 février, le mi‐ nistre responsabl­e des Insti‐ tutions démocratiq­ues, JeanFranço­is Roberge, n’a pas voulu statuer sur la question, se contentant de dire qu’une éventuelle démarche desti‐ née à modifier la loi sera sans doute fructueuse à un moment donné.

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