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Le Canada porte la marque de Brian Mulroney, le bâtisseur

- Fannie Olivier

Des relations commercial­es à la diplomatie, en passant par la défense de l’environ‐ nement, le legs de Brian Mulroney pour le Canada est toujours bien tangible. Pour les politicien­s d’au‐ jourd’hui, sa vie est une vé‐ ritable leçon du bon usage du pouvoir.

Il y a près de 40 ans, Brian Mulroney prenait la tête du pays avec une majorité histo‐ rique : les conservate­urs ra‐ flaient 211 sièges sur 282, ne laissant aucune province les bouder. Loin de s'asseoir sur cette majorité, le p'tit gars de Baie-Comeau s’est attelé à la tâche pour accomplir. Faire. De façon durable. Si bien que toutes ces années plus tard, son legs est vivant et son his‐ toire peut faire rêver les poli‐ ticiens contempora­ins.

Sa marque est encore bien visible sur l’économie canadienne. Alors qu’un vent protection­niste soufflait sur le Canada dans les années 80, l’ancien chef conservate­ur de l’époque s’est tenu droit dans la bourrasque, portant à bout de bras son projet de libre-échange avec les ÉtatsUnis.

L’accord qu’il a signé avec l’administra­tion américaine de Ronald Reagan en 1988 et qu’il a défendu avec vigueur au pays a marqué une nou‐ velle ère pour l’économie. Alors que les échanges com‐ merciaux entre les États-Unis et le Canada dépassent dé‐ sormais les 1000 milliards $ par année, une telle intercon‐ nectivité des deux économies serait carrément impensable sans l’accord de libreéchan­ge.

Sur la scène diplomatiq­ue, Brian Mulroney a su placer le Canada du bon côté de l’his‐ toire, en s’opposant à l’Apar‐ theid et en appelant à la libé‐ ration de Nelson Mandela. Le poids diplomatiq­ue relative‐ ment modeste du Canada n’a pas freiné les conviction­s de l’ancien premier ministre, alors que de gros joueurs - à commencer par la GrandeBret­agne de Margaret That‐ cher - lui bloquaient le che‐ min.

Réalisatio­ns et échecs

Avant-gardiste en matière d’environnem­ent, il a en‐ chaîné les initiative­s qui ont porté fruit : il a signé une en‐ tente internatio­nale sur la protection de la couche d'ozone en 1987, convoqué la première conférence poli‐ tique sur les changement­s climatique­s l’année suivante et conclu en 1991 un accord sur les pluies acides avec Wa‐ shington.

Il a bien sûr connu ses échecs politiques. Il n’a pas su réaliser ce qu’il avait luimême fixé comme le plus grand objectif de sa carrière : réconcilie­r le Québec et le Canada. L’échec des deux tentatives d’accords constitu‐ tionnels - Meech, puis Char‐ lottetown - a été vécu de son propre aveu comme un dé‐ cès dans la famille, qu’il re‐ grette chaque jour de sa vie.

L’époque dans laquelle Brian Mulroney a oeuvré a certaineme­nt constitué un terreau fertile aux accomplis‐ sements dont on lui attribue le mérite. Mais son audace et sa volonté de tenir à ses déci‐ sions, même quand elles pa‐ raissaient, au départ, impo‐ pulaires ont été décisives.

Il est légitime de se de‐ mander si - contrairem­ent à ce qu’on a pu observer plus récemment - les sondages d'opinion jouaient à l’époque un rôle marginal dans la prise de décision de gouver‐ nance.

Éloges

Jeudi soir, à l'annonce de son décès, les éloges se sont succédé, provenant de tous les horizons politiques. Brian Mulroney semblait capable de parler à tout le monde, nouer des amitiés politiques et mettre de côté la partisa‐ nerie.

En 2017, lorsque le pre‐ mier ministre Justin Trudeau l’a appelé en renfort pour le conseiller dans la renégocia‐ tion de l’ALENA que le pré‐ sident américain Donald Trump menaçait de déchirer, il s’est attelé à la tâche avec enthousias­me. Un fait d’armes rafraîchis­sant, à une époque politique marquée par la polarisati­on des dé‐ bats.

Les couleurs que revêtait son Parti progressis­teconserva­teur semblent assez différente­s de celles de la for‐ mation politique qui a suivi. Alors que Brian Mulroney a imposé une taxe sur les pro‐ duits et services (TPS), le chef conservate­ur d’aujourd’hui promet de mettre la hache dans la taxe sur le carbone.

Essayer de bâtir

Pierre Poilievre n’a pas en‐ core présenté un plan pour lutter contre les change‐ ments climatique­s, alors que Brian Mulroney a été l’un des premiers politicien­s cana‐ diens à mettre de l’avant la défense de l’environnem­ent.

Par ailleurs, depuis son départ de la tête des conser‐ vateurs, aucun de ses succes‐ seurs n’a été en mesure de retrouver la vague d’amour que les Québécois lui ont of‐ ferte en 1984.

Mais il n’y pas que dans son parti que les choses ont changé. Aux Communes, les ponts semblent de plus en plus difficiles à construire entre les partis. Le ton de la politique laisse parfois l’im‐ pression que le projet des politicien­s est de détruire le legs de leur prédécesse­ur ou de leur adversaire.

La politique se construit sur l’opposition à l’autre, plu‐ tôt que dans le regard vers l’avenir. Les phrases accro‐ cheuses prennent souvent le dessus sur les grands chan‐ tiers de politiques publiques.

Brian Mulroney n’a pas cherché à détruire. Il a pro‐ posé des projets de société, au risque d’échouer, parfois.

Le Canada va se souvenir d’un premier ministre qui a eu le courage d’essayer de bâtir.

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