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Loi 21 : une victoire judiciaire et politique pour la CAQ

- Hugo Lavallée

Il y a une semaine à peine, le premier ministre Fran‐ çois Legault s’en prenait avec véhémence à la Cour d’appel du Québec, pour la décision qu’elle avait ren‐ due au sujet de l’accès des demandeurs d’asile aux services de garde subven‐ tionnés. C’est ce même tri‐ bunal qui donne mainte‐ nant au premier ministre sa plus grande victoire des derniers mois.

Non seulement la Cour valide-t-elle pratiqueme­nt tous les articles contenus dans la Loi sur la laïcité de l’État, mais elle renverse la décision du juge Marc-André Blanchard au sujet des écoles anglophone­s. Ce dernier les avait soustraite­s du champ d’applicatio­n de la loi, évo‐ quant le droit des minorités linguistiq­ues à gérer leurs propres institutio­ns.

Au-delà de cette diver‐ gence, la décision de la Cour d’appel se distingue surtout de par le ton qu’elle emploie et la forme qu’elle revêt. Le juge Blanchard avait avalisé la plupart des dispositio­ns de la loi 21, mais son agacement était perceptibl­e dans le juge‐ ment qu’il avait rendu. La Cour d’appel offre un regard bien différent.

Les juges embrassent large d’entrée de jeu. Ils parlent du rôle qu’a joué la religion dans l’histoire du Québec, évoquent les débats qui ont traversé la société québécoise ces dernières an‐ nées sur la question de la laï‐ cité et rappellent même les conclusion­s de la commis‐ sion Bouchard-Taylor. Sur‐ tout, on semble présenter la loi comme le fruit d’un com‐ promis.

On sait qu’après le rap‐ port Bouchard-Taylor, la dis‐ cussion sociopolit­ique sur la neutralité et la laïcité de l’État a continué, à des degrés d’in‐ tensité variables selon les époques et les gouverne‐ ments, pour aboutir à l’adop‐ tion de la Loi, en juin 2019, écrivent les magistrats.

Ces derniers s’emploient ensuite à réfuter, un à un, et parfois même avec sévérité, les nombreux arguments qui leur ont été soumis par les opposants de la loi. Très peu d’entre eux trouvent grâce à leurs yeux.

C’est d’ailleurs en parcou‐ rant les 279 pages du juge‐ ment que l’on comprend pourquoi ses auteurs ont mis près d’un an et demi à l’écrire. Les références à des précédents aussi bien qu’à l’histoire constituti­onnelle du pays y sont abondantes, les juges remontant jusqu’à la Proclamati­on Royale de 1763 et à l’Acte de Québec de 1774 pour documenter leur point de vue.

L’incontourn­able dispo‐ sition de dérogation

Si la loi est jugée valide, c’est essentiell­ement parce que le gouverneme­nt québé‐ cois a choisi d’invoquer la dis‐ position de dérogation pré‐ vue à la Charte canadienne des droits et libertés. Les juges rappellent en effet que les gouverneme­nts qui re‐ courent à cette dispositio­n n’ont pas à se justifier, pas plus que les tribunaux n’ont à se prononcer sur le bienfondé d’une telle décision.

Or, c’est précisémen­t ce qui irrite le gouverneme­nt Trudeau. À peine la décision de la Cour d’appel avait-elle été rendue que le ministre fédéral de la Justice promet‐ tait d’intervenir devant la Cour suprême pour défendre la Charte canadienne des droits et libertés.

Notre gouverneme­nt a de vives inquiétude­s quant au recours préemptif à la dispo‐ sition de dérogation, écrivait Arif Virani, dans un commu‐ niqué.

Son gouverneme­nt ne verrait certaineme­nt pas d’un mauvais oeil que les tribu‐ naux encadrent de manière plus stricte le recours à cette dispositio­n. Au cours des dernières années, l’Ontario et la Saskatchew­an y ont aussi eu recours, en plus du Qué‐ bec; la contestati­on de la Loi sur la laïcité de l’État consti‐ tue l’occasion parfaite d’en remettre en question cer‐ tains usages et de voir si la Cour suprême est prête à re‐ considérer certaines de ses décisions antérieure­s.

Dans leurs plaidoirie­s, des opposants à la loi avaient d’ailleurs incité les juges à faire preuve d’audace en al‐ lant à l’encontre des précé‐ dents établis sur la question. Pour les juges de la Cour d’appel toutefois, s'interroger sur les conditions d’applica‐ tion de la dispositio­n de dé‐ rogation revient à remettre en question son existence même. Or, écrivent-ils, ce dé‐ bat est clos depuis 1982.

Quant à l’idée que la Cour devrait faire preuve d’audace, les juges écrivent que cette idée apporte peu, voire rien, au débat. Le rôle d’une cour d’appel n’est pas de faire preuve d’audace, ajoutent-ils, refusant d’aller sur ce terrain. Reste à savoir si la Cour su‐ prême voit les choses du même oeil.

Une victoire politique

Victoire sur le plan juri‐ dique, la décision de la Cour d’appel en est aussi une sur le plan politique pour la CAQ. Sous le feu des critiques pour les difficulté­s qu’il éprouve à soutirer le moindre avantage du gouverneme­nt fédéral, François Legault pourra faire valoir - du moins pendant quelque temps - que sa stra‐ tégie donne des résultats.

C’est que le jugement rendu vient conforter la pos‐ ture nationalis­te du premier ministre, lui qui soutient de‐ puis son élection qu’il est possible pour le Québec d’af‐ firmer son identité distincte tout en demeurant au sein de la fédération canadienne. Non seulement la loi 21 estelle jugée valide, mais la déci‐ sion renforce aussi l’idée qu’une utilisatio­n plus proac‐ tive de la dispositio­n de déro‐ gation peut permettre au gouverneme­nt d’atteindre ses objectifs à cet égard.

Depuis son adoption, des indépendan­tistes s’attendent à ce que les tribunaux fi‐ nissent par invalider la loi 21 et croient que cela pourrait donner du carburant à leur cause. Pareil scénario ne peut toutefois pas être tenu pour acquis, comme le dé‐ montre la décision unanime des juges de la Cour d’appel.

On ignore encore si la Cour suprême acceptera d’entendre la cause et, le cas échéant, en faveur de qui elle tranchera. Il lui faudrait certes déployer bien des ef‐ forts pour déconstrui­re le ju‐ gement dense et amplement documenté rendu mercredi, mais cela s’est déjà vu.

Il serait sage, de part et d’autre, d’attendre encore un peu avant de tirer des conclusion­s définitive­s sur les implicatio­ns politiques de ce jugement. Pour l’instant toutefois, le gouverneme­nt a toutes les raisons d’être satis‐ fait.

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