Comment aider les enfants « difficiles » à s’ouvrir les papilles?
Votre enfant est perçu comme étant difficile, sé‐ lectif et capricieux par les membres de la famille et l’entourage? Il existe des explications à ce comporte‐ ment alimentaire et des so‐ lutions pour les parents qui se prennent la tête lorsque vient l’heure des repas.
Emma, 8 ans, est la deuxième enfant d’une fra‐ trie de quatre. Contrairement à ses frères et soeurs, elle ne mange aucun légume cuit et résiste à toute tentative de ses parents de lui faire avaler des plats en sauce. Goûter à de nouveaux aliments? Non merci. Elle n’en a que pour les pâtes blanches, le pain et les crudités.
Je faisais ses propres pu‐ rées. Je remarquais déjà qu’elle ne mangeait pas au‐ tant que sa grande soeur, que ce n’était pas aussi varié, que c'était plus sélectif, se rap‐ pelle la mère d’Emma. Puis, plus les aliments solides sont arrivés, moins elle voulait manger. C’était les textures qui étaient difficiles, ajoute-telle.
Emma n’est pas la seule enfant à connaître des diffi‐ cultés alimentaires. Selon plusieurs études réalisées à travers le monde, de 25 à 33 % des enfants présentent un défi alimentaire avant l’âge de 10 ans.
On a quelque chose qu'on appelle la "néophobie ali‐ mentaire", qui fait partie du développement normal de l'enfant, explique Cosette Gergès, nutritionniste.
Ça commence vers l’âge de 18 mois, même si la litté‐ rature réfère davantage à 2 ans. C’est une phase qui va atteindre un pic vers trois ou quatre ans, puis ça va dimi‐ nuer et disparaître normale‐ ment lorsque l’enfant rentre à l'école, précise la cofonda‐ trice de Nutritionnistes en pédiatrie, en ajoutant que chez à peu près 6 % des en‐ fants, ça dure un petit peu plus longtemps.
L’enfant qui présente des comportements associés à la néophobie alimentaire se montre réfractaire à certains types d’aliments.
Ça peut aller vers le dé‐ dain des légumes, la diffi‐ culté à mastiquer ou à appré‐ cier les viandes parce que, de par leur texture, ça peut être un peu plus difficile pour l'en‐ fant de mastiquer ce genre d'aliments.
Cosette Gergès, cofonda‐ trice de Nutritionnistes en pédiatrie
Les légumes sont souvent en tête du palmarès des malaimés chez les enfants. C’est à cause de leur amertume. C'est un goût qu'on déve‐ loppe chez les enfants. Ce n'est pas inné comme aimer les aliments un peu plus su‐ crés comme le pain, les pâtes, le riz, précise-t-elle.
Si la néophobie alimen‐ taire chez les enfants est pas‐ sagère et attendue, certains développent des comporte‐ ments plus problématiques en lien avec l’alimentation. On parle alors de sélectivité alimentaire.
La sélectivité alimentaire, c’est dans les cas où ça va se perpétuer dans le temps. C’est un enfant dont la liste d’aliments acceptés va dimi‐ nuer. Il va éliminer complète‐ ment un groupe alimentaire. C’est par exemple un enfant qui ne mange aucune céréale et aucune viande. Ce n’est pas juste un petit défi, ça de‐ vient une difficulté, explique Cosette Gergès.
Des répercussions sur la famille
La petite Emma vit avec la sélectivité alimentaire, ce qui a eu des retombées sur toute sa famille.
Ça n’a pas toujours été joyeux de passer à table, confie sa mère, Isabelle Ouel‐ lette-Roy.
Même encore aujourd’hui, ça a des répercussions sur la fratrie. Les plus jeunes refont ce que la grande soeur fait. Ils vont dire "j’aime pas ça" et repousser leur plat, alors qu’on sait qu’ils aiment ce qu’il y a dans l’assiette, ajoute-t-elle.
Comme manger est une activité cruciale de la vie quo‐ tidienne et qu’il s’agit aussi d’une partie intégrante de la vie familiale et sociale, les pa‐ rents éprouvent souvent beaucoup d’inquiétudes face à cette difficulté chez leur en‐ fant. La planification des re‐ pas devient une grande source de stress.
Chaque fois qu’on allait souper ailleurs, j’avais la pression de savoir ce qui al‐ lait être servi. Je ne voulais pas imposer à l’hôte de chan‐ ger le menu, mais je devais prévoir un autre repas.
Isabelle Ouellette-Roy, mère d'Emma
Quand ça perdure, l'en‐ fant a malheureusement une petite étiquette d’enfant diffi‐ cile ou capricieux, que je dé‐ teste parce qu'ils ne sont pas difficiles : c’est manger qui est difficile, insiste la nutri‐ tionniste Cosette Gergès.
Elle note que l’enfant est dans sa phase de découverte de l’alimentation, qu’il est en apprentissage. Il faut juste l'accompagner dans cet ap‐ prentissage qui peut prendre plusieurs années, poursuitelle.
Le retour aux heures de repas paisibles commence d’ailleurs par la patience de‐ vant l’enfant qui refuse un ali‐ ment. Lorsqu'on les oblige à aller plus vite que leur rythme, c'est là où ça ne fonctionne pas, parce que nos attentes ne corres‐ pondent pas à leur dévelop‐ pement actuel, explique la nutritionniste.
La théorie indique à ce chapitre qu’il faut compter au moins 15 à 20 expositions avant qu’un enfant décide de goûter à un aliment.
Mais ça, c'est la théorie, précise Mme Gergès. Parfois, il va arriver que votre enfant goûte à l’aliment à la 585ᵉ fois!
Il y a des stratégies qui peuvent inciter l’enfant à ap‐ précier l’alimentation fami‐ liale. Il est notamment conseillé de mettre des crudi‐ tés sur la table à chaque re‐ pas, et le dessert au début.
L’enfant va pouvoir gérer sa faim et prévoir. Il va cesser de demander "c’est quoi le dessert?". Le but est de ne mettre aucun aliment sur un piédestal. La première fois, il va peut-être se garrocher sur le biscuit, mais au fur et à mesure, il va s’habituer, ex‐ plique Cosette Gergès.
Aux parents qui doivent composer avec ces défis, la spécialiste recommande de faire attention aux repas de style gibelotte brune et sur‐ tout d’éviter les portions trop généreuses.
Ce qui freine un peu l’en‐ fant à vouloir découvrir de nouveaux aliments, c’est qu’il y en a trop dans l’assiette. On veut qu’il se connecte avec ses signaux et dise : "Maman, j’ai encore faim." Donc, c’est mieux de portionner l’as‐ siette de l’enfant.
Drapeaux rouges pour les parents : quand consul‐ ter?
Vous ne savez plus quoi faire pour amener votre en‐ fant à manger et c’est la crise à chaque repas? Vous avez essayé plusieurs stratégies, avec peu de résultats? Une consultation auprès d’une nutritionniste ou d’un ergo‐ thérapeute pourrait s’avérer bénéfique.
Avec l'ergothérapeute, on est partis de la base, explique Isabelle Ouellette-Roy, qui a choisi de consulter des ex‐ perts. Même moi, j'en ai ap‐ pris sur comment introduire un aliment.
Nous, on va regarder l’as‐ pect sensoriel et comment l’enfant interagit, explique Vé‐ ronique Blanville, ergothéra‐ peute.
Tolère-t-il les goûts, la tex‐ ture dans la bouche, les odeurs, le toucher? Parfois, les enfants ne veulent même pas regarder un aliment parce que l’expérience vi‐ suelle est trop difficile, fait re‐ marquer cette spécialiste du Groupe Ergo Ressources.
Si la sélectivité alimentaire présente chez un enfant va jusqu’à entraîner des ca‐ rences nutritionnelles, une perte de poids, un enjeu pour la croissance ou encore des symptômes d’anxiété im‐ portants, il peut s’agir d’un trouble alimentaire appelé trouble de comportement de restriction ou évitement de l’ingestion d’aliments.
Mieux connu sous son acronyme anglais ARFID (Avoidant and Restrictive
Food Intake Disorder), ce trouble alimentaire est inscrit depuis 2013 dans le DSM, le manuel diagnostique et sta‐ tistique des troubles men‐ taux. Il est alors recom‐ mandé aux parents de consulter un professionnel de la santé comme un psy‐ chologue ou un médecin.
Au CHU Sainte-Justine, à Montréal, l’ergothérapeute Karine Brais traite les cas moins fréquents et plus com‐ plexes de sélectivité.
On a développé une grande expertise d’interven‐ tion auprès de la clientèle ayant des sélectivités alimen‐ taires plutôt sévères. Le trai‐ tement le plus optimal est en équipe multidisciplinaire avec nutritionniste, ergothé‐ rapeute et psychologue, faitelle valoir.
Au cours de sa pratique, l’ergothérapeute du CHU Sainte-Justine a pu noter que dans la majorité des cas de sélectivité alimentaire graves, un des membres de la famille a aussi un problème de sé‐ lectivité alimentaire.
Du progrès
Dans la famille d’Isabelle Ouellette-Roy, une ambiance décontractée flotte au‐ jourd’hui autour de la table.
Chaque année, on se rend compte que - oups! - elle mange un petit peu plus, lance fièrement la mère d’Emma. Elle ne mange pas varié, mais elle va accepter plus de choses dans son as‐ siette. Les recommandations qu'on a eues, c'est effective‐ ment de lui présenter le même repas que tout le monde. Mais si c'est de façon déconstruite, pourquoi pas?
On peut mettre en place un environnement qui est plus propice à la découverte de l'alimentation dans le plai‐ sir pour l'enfant, suggère for‐ tement Cosette Gergès
Le plaisir, c'est le véhicule qui va amener notre enfant à vouloir explorer les aliments qui sont encore peut-être trop nouveaux à ses yeux.
Cosette Gergès, cofonda‐ trice de Nutritionnistes en pédiatrie
À lire et à écouter :
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