Le duel anticipé Trump-Biden, un symptôme de la montée des gérontocraties?
« J’ai obtenu mon diplôme d'études secondaires il y a 300 ans », a récemment lancé à la blague le pré‐ sident américain Joe Biden, en guise de réplique aux piques sur son âge. Mais pour deux experts en gé‐ rontocratie, le vieillisse‐ ment de la classe politique, aux États-Unis et ailleurs dans le monde, n’est pas une question à prendre à la légère.
En cette année de cam‐ pagne présidentielle améri‐ caine, l’âge du démocrate Joe Biden (81 ans) et du meneur dans la course à l'investiture républicaine, Donald Trump (77 ans), soulève de nom‐ breuses questions sur leur capacité physique et mentale à occuper la plus haute fonc‐ tion au pays.
Mais est-ce vraiment un problème si Joe Biden est né en pleine Seconde Guerre mondiale et avant l’invention du micro-ondes? Ou si Do‐ nald Trump est né un an avant l’invention du Velcro?
Oui, selon Daniel Stocke‐ mer, titulaire de la Chaire de recherche Konrad Adenauer en études empiriques de la démocratie et professeur à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa. Non seulement parce que les deux hommes montrent des signes de vieillissement, mais parce qu’on observe, depuis de nombreuses années, une montée des gérontocraties, c'est-à-dire des régimes poli‐ tiques dans lesquels les pou‐ voirs sont majoritairement exercés par les aînés.
Cette tendance n’est pas nouvelle. Je ne suis même pas sûr que cette question aurait été soulevée si [M. Trump et M. Biden] n'avaient pas fait autant de gaffes. Cela sensibilise les gens, mais ce n’est que la pointe de l’ice‐ berg, dit Kevin Munger, pro‐ fesseur de sciences poli‐ tiques à l'Université Penn State et auteur d'un livre sur la domination des baby-boo‐ mers en politique.
C’est pourquoi, selon M.
Stockemer, il s’agit du mo‐ ment opportun pour exami‐ ner les conséquences de ces gérontocraties sur la démo‐ cratie et la participation des jeunes au processus poli‐ tique.
Une tendance mondiale
Partout à travers le monde, les jeunes de 35 ans ou moins sont très peu re‐ présentés en politique, dé‐ plore Daniel Stockemer, qui ajoute qu’il n’y a qu'une poi‐ gnée de pays qui ont atteint la parité pour les jeunes.
L'âge médian d’un élu est d’environ 50-52 ans dans le monde, estime ce professeur qui a publié en 2023 une étude au sujet de la repré‐ sentation politique des jeunes aux États-Unis. Il en‐ tretient également une base de données sur la représen‐ tation par âge dans les parle‐ ments du monde.
À l’échelle de la planète, la proportion de jeunes qui sont élus est trois fois moins élevée que leur proportion au sein de la population. Dans la plupart des pays, nous constatons des écarts très importants, dit Daniel Stockemer.
Si plusieurs pays ont fait des progrès au cours des dernières décennies quant à la représentation des femmes et des minorités en politique, les jeunes conti‐ nuent d’y être largement sous-représentés.
Nous avons assisté à une stagnation presque partout et, dans certains cas, comme aux États-Unis, à une régres‐ sion.
Daniel Stockemer, profes‐ seur à l'École d'études poli‐ tiques de l'Université d'Ot‐ tawa
Le Canada se situe dans la moyenne. Selon M. Stocke‐ mer, environ 10 % des parle‐ mentaires canadiens ont moins de 35 ans, tandis que près de 30 % de la popula‐ tion se situe dans cette tranche d’âge. L’âge médian des politiciens canadien aug‐ mente depuis les années 1980.
Ailleurs dans le monde, parmi 192 chefs d'État recen‐ sés, seulement cinq sont dans leur trentaine (Chili, Burkina Faso, Monténégro, Tchad, Équateur); 32 sont dans la quarantaine; 40 dans la cinquantaine; 66 dans la soixantaine; et 49 ont 70 ans et plus.
Les trois dirigeants les plus âgés sont Paul Biya, pré‐ sident du Cameroun (91 ans); le roi Salmane d’Arabie saou‐ dite (88 ans); et le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas (88 ans).
Les États-Unis, une dé‐ mocratie de plus en plus grise
Cette tendance au vieillis‐ sement est particulièrement frappante aux États-Unis.
S’il devait être réélu en no‐ vembre, Joe Biden aurait 86 ans à la fin d’un prochain mandat; pour sa part, Donald Trump aurait 82 ans à la fin d'un éventuel mandat.
Ronald Reagan aura été le seul autre président à avoir terminé son mandat à plus de 70 ans.
Parmi les 46 présidents américains, 9 étaient dans la quarantaine lors de leur as‐ sermentation; 25 étaient dans la cinquantaine, tandis que 10 étaient dans la soixantaine.
John F. Kennedy et Theo‐ dore Roosevelt sont les deux plus jeunes présidents, en‐ trés au pouvoir au début de la quarantaine. Ils sont l’ex‐ ception; la majorité des pré‐ sidents américains étaient quinquagénaires lorsqu'ils ont été élus.
Mais il n’y a pas que l’âge des présidents qui monte en flèche.
L’âge des politiciens, au‐ tant à la Chambre des repré‐ sentants qu’au Sénat, ne cesse d’augmenter. Depuis 2015, l’âge médian des repré‐ sentants est passé de 57 à 58,4 ans et celui des séna‐ teurs, de 61 à 64,3 ans.
Plus du quart des élus à la Chambre des représentants ont plus de 55 ans; 3 % ont 35 ans et moins. Au Sénat, près de la moitié des élus ont plus de 65 ans.
Selon M. Munger, plu‐ sieurs facteurs expliquent pourquoi les États-Unis ont tant de politiciens âgés.
D’entrée de jeu, le nombre de jeunes qui tentent leur chance en politique est limité par les seuils d’âge minimum établis (25 ans à la Chambre des représentants et 30 ans au Sénat).
Et contrairement aux pré‐ sidents américains, qui ne peuvent exercer que deux mandats, les membres de la Chambre des représentants et du Sénat peuvent rester en fonction indéfiniment s'ils sont réélus. En fait, il n’est pas rare de voir des élus res‐ ter au pouvoir pendant des décennies.
Par exemple, la doyenne de la Chambre des représen‐ tants, Grace Napolitano (86 ans), y siège depuis 25 ans. Elle est suivie d'Eleanor Holmes Norton (85 ans), qui y exerce ses fonctions depuis plus de 30 ans. L’ex-prési‐ dente de la Chambre des re‐ présentants Nancy Pelosi (82 ans) y siège depuis plus de 35 ans.
Cet automne, Charles E. Grassley (90 ans) est devenu le doyen du Sénat, après le décès de Dianne Feinstein (90 ans). À 82 ans, Bernie Sanders est le deuxième sé‐ nateur le plus âgé aux ÉtatsUnis.
Ainsi, il devient presque impossible pour les jeunes de prendre leur place. On se retrouve avec des individus qui ont beaucoup de pouvoir et qui ne veulent pas quitter leurs fonctions, dit Daniel Stockemer.
Enfin, dit Kevin Munger, puisqu’une campagne électo‐ rale coûte une fortune aux États-Unis, peu de jeunes ont les moyens de se lancer en politique.