Radio-Canada Info

Un bol de céréales pour souper?

- Gérald Fillion

Des céréales au souper re‐ présentent « un choix fan‐ tastique pour les consom‐ mateurs qui sont sous pression financière­ment », a déclaré le PDG de Kellogg dans une entrevue à CNBC, le 21 février. Cette proposi‐ tion a été pour le moins mal reçue sur les réseaux sociaux. Dans le pays le plus riche du monde, com‐ ment en est-on arrivé à proposer, comme si de rien n’était, de manger des cé‐ réales au souper pour contrer l’inflation?

Il faut dire que depuis plu‐ sieurs années, Kellogg dif‐ fuse des publicités qui pro‐ posent aux consommate­urs de s’offrir des céréales au re‐ pas du soir. Pour une entre‐ prise qui produit des cé‐ réales, on peut comprendre qu’elle vous suggère d’en manger! Jusqu’ici, tout va bien.

Mais de voir et d’entendre le PDG de l’entreprise, Gary Pilnick, proposer en entrevue à la télévision de consommer ses produits au souper pour faire baisser la facture d’épi‐ cerie, tout en présentant cela comme une bonne solution à l’inflation, c’est une ligne qu’il n’aurait pas dû franchir, selon certains consommate­urs s'étant exprimés sur le web.

Si l’on compare le coût des céréales pour une famille par rapport à ce qu’on peut faire autrement, c’est beau‐ coup plus abordable, selon le grand patron de Kellogg, qui a touché une rémunérati­on totale de plus de 4 millions de dollars américains en 2023.

Des Froot Loops au sou‐ per, une tendance?

L’animateur de CNBC Carl Quintanill­a a demandé à M. Pilnick si le fait d’encourager les gens à manger des cé‐ réales au souper pourrait être mal reçu au bout du compte. En fait, c’est très bien reçu en ce moment, a répondu Gary Pilnick. Des cé‐ réales pour souper, c’est quelque chose qui est de plus en plus tendance, et on s’attend à ce que ça se pour‐ suive alors que les consom‐ mateurs sont sous pression.

Le PDG de Kellogg n’avait visiblemen­t pas bien mesuré la portée de ses commen‐ taires. Sans se tromper, on peut évoquer un réel manque de sensibilit­é. Ses propos marquent une grande déconnexio­n avec la réalité du ménage moyen. On peut se demander si Kel‐ logg tente de profiter finan‐ cièrement des difficulté­s d’un grand nombre de ménages, qui doivent composer avec une chute de leur pouvoir d’achat.

Pour plusieurs inter‐ nautes, Kellogg veut exploiter la faim pour faire des profits. C’est du capitalism­e extrême, de la pure cupidité que d’invi‐ ter, sourire aux lèvres, les Américains à économiser en mangeant des céréales au souper. Pensez-vous que Gary Pilnick nourrit ses en‐ fants aux céréales pour sou‐ per? demande un utilisateu­r de TikTok. Dans quel monde infernal dystopique sommesnous rendus? demande un autre.

Faut-il le rappeler, jamais, depuis 30 ans, les Américains et les Canadiens n’ont dû payer aussi cher pour se nourrir. Les Américains doivent débourser 26 % de plus pour leur panier d’épice‐ rie depuis 2020, et les prix des céréales, spécifique­ment, ont grimpé de 28 % durant la même période, selon le Bu‐ reau of Labor Statistics aux États-Unis. Au cours du der‐ nier exercice budgétaire, Kel‐ logg a haussé ses prix de 12 %.

La campagne publicitai­re de Kellogg sur ses céréales au souper a été lancée en 2022, année au cours de la‐ quelle les prix des aliments ont grimpé de 9,9 % aux États-Unis, du jamais vu de‐ puis 1979, selon le départe‐ ment américain de l’Agricul‐ ture.

Des difficulté­s finan‐ cières chez les jeunes

Selon une enquête du Pew Research Center aux États-Unis, 44 % des jeunes de 18 à 34 ans ont reçu de l'aide financière de leurs pa‐ rents au cours de la dernière année pour payer des be‐ soins de base, que ce soit l’épicerie, des factures de té‐ lécommunic­ations ou le loge‐ ment.

De tous les parents qui aident financière­ment leurs enfants âgés de 18 à 34 ans, plus du tiers le font, de sur‐ croît, au détriment de leur propre situation financière. Les familles les plus dému‐ nies, qui aident plus souvent leurs enfants adultes, voient leur situation se détériorer de façon marquée.

L'aide des parents va sur‐ tout aux 18-24 ans. Pas moins de 52 % de ces jeunes adultes doivent faire appel au soutien financier de leurs parents. En outre, 23 % des 25-29 ans et 18 % des 30-34 ans ont besoin de l'aide de leurs parents.

Le tiers (33 %) des jeunes de 18 à 34 ans affirment, en retour, avoir aidé leurs pa‐ rents sur le plan financier au cours de la dernière année.

Au stress financier, le mépris

Les propos du PDG de Kellogg ont été tenus à la télé américaine, mais il propose‐ rait sans doute la même so‐ lution s’il se présentait à nos micros parce que la faim gagne aussi du terrain chez nous, même si les inégalités socioécono­miques ne sont pas aussi importante­s qu’aux États-Unis.

On le signalait avant les Fêtes, les banques alimen‐ taires ont fourni de l'aide à 30 % plus de gens en 2023 que l’année précédente au Québec; l'augmentati­on est de 73 % par rapport à 2019. Selon le Bilan-Faim 2023, le réseau des banques alimen‐ taires aide 872 000 per‐ sonnes tous les mois. La forte hausse des demandes dans les banques alimen‐ taires est une tendance ré‐ pandue partout au Canada.

Début février, dans le cadre des consultati­ons pré‐ budgétaire­s du ministre des Finances, Eric Girard, les banques alimentair­es du Québec réclamaien­t un sou‐ tien de 30 millions de dollars de la part du gouverneme­nt pour l’année 2024. Au moins un Québécois sur 10 a eu re‐ cours aux banques alimen‐ taires dans les derniers mois.

L’inflation alimentair­e commence à ralentir au Ca‐ nada, mais la hausse des loyers n’a jamais été aussi forte en trois décennies au Canada. Sur 12 mois, de jan‐ vier 2023 à janvier 2024, l’in‐ dice des loyers a grimpé de 7,9 % au pays, selon les der‐ nières données de Statis‐ tique Canada.

Les pressions avec les‐

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