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Financemen­t des arts : « Il n’y a plus de perspectiv­es d’avenir », déplorent des artistes

- Flavie Sauvageau

Des artisans du milieu culturel s'inquiètent de l'accès de plus en plus diffi‐ cile au soutien financier du Conseil des arts du Canada. Jeudi, des milliers d'entre eux ont reçu une réponse négative à des demandes de financemen­t déposées dans le cadre d'un pro‐ gramme de financemen­t de l'organisme fédéral.

Au total, seuls 16,6 % des 6750 demandes faites dans le cadre du programme Ex‐ plorer et créer ont été accep‐ tées par l’organisme fédéral pour le concours qui s’est tenu l’automne dernier. Les courriels annonçant les résul‐ tats ont été envoyés jeudi, suscitant surprise et inquié‐ tude pour de nombreux ac‐ teurs du milieu.

Quelque chose de com‐ plètement nouveau

Vanessa Borduas accom‐ pagne chaque année une trentaine d'artistes dans leurs demandes de finance‐ ment. La propriétai­re des Production­s Flèche parle d’une hécatombe pour dé‐ crire la vague de refus reçus jeudi.

Sur les six artistes qu’elle a aidés pour ce concours, au‐ cun n’a vu sa demande ap‐ prouvée. On est habitué à avoir presque un artiste sur deux qui recevait une bourse et là on est vraiment dans des cas où [...] aucun artiste n'a de soutien. C'est vraiment quelque chose qui est com‐ plètement nouveau pour nous , constate-t-elle.

Elle estime que ces refus plus nombreux peuvent dé‐ courager les artistes émer‐ gents. De ne pas avoir de subvention­s, ça peut mettre des projets sur la glace, mais ça fait aussi qu'il y a des ar‐ tistes qui ne vont juste pas sortir ces projets-là, faire des choses avec pratiqueme­nt aucun moyen, et il n’y aura pas le rayonnemen­t auquel ils s'attendent , craint-elle.

Un épuisement généra‐ lisé

Depuis jeudi, les publica‐ tions d’artistes inquiets sont nombreuses sur les réseaux sociaux. Le metteur en scène, acteur, et directeur du Théâtre La moindre des choses, Cédrik Lapratte-Roy, fait partie de ceux que ces courriels de refus ont dévas‐ tés.

Ça crée un épuisement généralisé. On est énormé‐ ment d'artistes à s’inquiéter. Au niveau personnel, je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir , s'inquiètet-il, ajoutant qu’il estime qu’ il y a très peu de perspectiv­es d'avenir pour eux en ce mo‐ ment.

Sa demande de finance‐ ment concernait la pièce Ter‐ rain glissant, présentée à gui‐ chet fermé en janvier à Mon‐ tréal. Ce n’était pas la pre‐ mière demande qu’il soumet‐ tait pour ce projet, mais il es‐ pérait recevoir un montant qui lui permettrai­t d’être ré‐ munéré pour toutes les heures bénévoles qu’il a mises sur le projet.

J'ai pu me rémunérer comme interprète seulement grâce à la billetteri­e, mais toutes mes tâches de met‐ teur en scène, de respon‐ sable des accessoire­s, de di‐ recteur de production et de directeur général et artis‐ tique de la compagnie, ça n'a pas été rémunéré , déplore-til.

Il estime avoir fait entre 500 et 600 heures de travail bénévole pour ce projet, ce qui le décourage d’en démar‐ rer d’autres.

Je viens de faire un projet avec zéro financemen­t, je suis en train d'en faire un nouveau et j'ai peu.

Cédrik Lapratte-Roy, met‐ teur en scène, acteur et di‐ recteur, Théatre La moindre des choses

Perdre espoir

L’auteur et interprète Do‐ minique Sacy est dans la même situation. Sa demande de financemen­t pour la pièce La République Hip Hop du Bas-Canada, qu’il a écrite et produite, a été refusée, même si elle était présentée dans des salles presque tou‐ jours pleines l’automne der‐ nier.

Ça me brise un peu de l’intérieur , s’exclame-t-il en montrant le courriel de refus qu’il a reçu. C'est un revenu d'environ 5000 dollars dans mes poches que je ne reçois pas quand je reçois un cour‐ riel comme ça , poursuit-il.

Ça fait qu'il y a une géné‐ ration complète d'artistes qui pourraient perdre espoir.

Dominique Sacy, auteur et interprète

Il estime avoir travaillé de 500 à 800 heures sur la pièce en tant qu'auteur et produc‐ teur, des heures pour les‐ quelles il a peu d’espoir d’être rémunéré un jour.

Cela le décourage pour l’avenir. Cette année, il y a un projet sur six qui a été fi‐ nancé. Je ne peux pas vivre en me disant qu’il y a un pro‐ jet sur six qui va me donner un travail [payé] , s’inquiète-til.

Des demandes nombre record en

Le Conseil des arts du Ca‐ nada convient que le taux de réussite est faible cette an‐ née. D’après Lise Anne John‐ son, la directrice générale par intérim à la division des pro‐ grammes de subvention­s des arts de l’organisme, explique que c'est un nombre record de demandes, combiné à des facteurs budgétaire­s qui ont provoqué un nombre aussi élevé de refus.

Pendant les trois années précédente­s, le Conseil avait eu des fonds supplémen‐ taires à distribuer qui était liée à la pandémie, mais cette année, nous sommes reve‐ nus à notre budget de base, décrit-elle.

Depuis 2017, le Conseil des arts a vu le nombre de demandes tripler pour son programme Explorer et créer. Avec l'inflation, nous avons vu aussi que les mon‐ tants demandés par chaque demandeur et aussi d'un ni‐ veau plus élevé , ajoute-t-elle.

Elle poursuit en expli‐ quant être dans une situa‐ tion où nous avons beau‐ coup de demandeurs qui de‐ mandent plus d'argent et nous avons un budget plus serré. Pour ces raisons-là, nous avons vu un un vrai‐ ment une baisse du taux de succès [ des demandes de fi‐ nancement].

Le Conseil doit aussi ré‐ duire son budget pour les prochaines années, en raison d’exigences fédérales, dans le cadre de l'initiative Recentrer les dépenses gouverneme­n‐ tales.

Vers d'autres façons de financer la création

Pour Vanessa Borduas, des solutions émanant du milieu artistique lui-même pourraient permettre aux ar‐ tisans d’envisager l’avenir d’un oeil plus positif.

Est-ce que c'est de peutêtre partir plus de collectifs d'artistes, de permettre aux artistes de se rassembler pour créer ensemble, plutôt que de faire des projets indi‐ viduels? , propose-t-elle.

Elle conclut: Je pense que les pistes de solutions doivent être des deux côtés.

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