Radio-Canada Info

Ottawa menace de dépasser le seuil d’immigratio­n du Québec en regroupeme­nt familial

- Alexandre Duval

Fini les avertissem­ents : Ottawa passe à l’action dans le dossier des regrou‐ pements familiaux, quitte à froisser le gouverneme­nt Legault. Radio-Canada a appris que le ministre fédé‐ ral de l’Immigratio­n, Marc Miller, vient d’autoriser ses fonctionna­ires à dépasser les seuils d’immigratio­n fixés par Québec, qui créent « un drame humani‐ taire », selon lui.

Ça fait plusieurs mois, de‐ puis que je parle à Mme Fré‐ chette [la ministre de l’Immi‐ gration, de la Francisati­on et de l’Intégratio­n du Québec], que je la supplie d'augmen‐ ter les niveaux pour la caté‐ gorie de la réunificat­ion fami‐ liale, explique M. Miller en entrevue.

On parle de gens qui sont soit des époux, des épouses, des parents, des grands-pa‐ rents, qui attendent sans gain de cause au Québec pour venir rejoindre leur fa‐ mille. Il y a un volet humani‐ taire dans cette décision!

Pour moi, c'est l'évidence même […]. C'est une ques‐ tion de justice sociale.

Marc Miller, ministre fédé‐ ral de l'Immigratio­n

Devant le refus du Qué‐ bec de réunir les familles plus rapidement, M. Miller estime qu’il avait le devoir moral de trouver une solu‐ tion, peut-on lire dans une lettre qu’il a envoyée di‐ manche à son homologue québécoise et dont Radio-Ca‐ nada a obtenu copie.

Il opte donc pour la mé‐ thode dure et agit contre la volonté de la province.

J’ai décidé de donner l’ins‐ truction à mon ministère de traiter les demandes de rési‐ dence permanente des de‐ mandeurs du regroupeme­nt familial ayant reçu un CSQ (Certificat de sélection du Québec) émis par votre mi‐ nistère, soit l’équivalent d’en‐ viron 20 500 demandes en date du 31 janvier 2024, écrit M. Miller dans sa missive.

Ces personnes recevront ainsi la résidence perma‐ nente de manière prioritair­e puisqu’elles attendent déjà depuis longtemps l'enclen‐ chement de leur processus de regroupeme­nt familial au Québec.

Et si le Québec continue d’accorder des CSQ dans la catégorie du regroupeme­nt familial, ce qui perpétuera­it le problème des dossiers en attente, Ottawa promet de traiter ces dossiers et d'ac‐ corder la résidence perma‐ nente aux demandeurs dans les délais usuels, quitte à sur‐ passer les paliers qui sont établis par le gouverneme­nt Legault, menace le ministre Miller.

Un seuil artificiel­lement bas

Cette décision soulagera certaineme­nt les nom‐ breuses familles qui souffrent actuelleme­nt d’être séparées au Québec.

Elle risque cependant de provoquer la colère du gou‐ vernement Legault, qui fait déjà l’objet d’une poursuite en Cour supérieure, car les délais pour le regroupeme­nt familial au Québec sont per‐ çus comme déraisonna­bles et même discrimina­toires.

L'avocat qui poursuit la ministre Fréchette, Me Maxime Lapointe, a indiqué à Radio-Canada qu'il comptait abandonner sa poursuite si Ottawa va véritablem­ent de l'avant dans le dossier des re‐ groupement­s familiaux. Il es‐ time qu'il s'agit d'une bonne nouvelle, car cela permettrai­t de traiter les dossiers en continu alors qu'ils ont déjà été approuvés par Québec via le CSQ.

Les Québécois qui sou‐ haitent faire immigrer un époux ou une épouse d’ori‐ gine étrangère doivent en ef‐ fet attendre 34 mois, compa‐ rativement à 12 mois pour les autres Canadiens.

Pour faire venir un parent ou un grand-parent d’origine étrangère, les Québécois doivent patienter en moyenne 50 mois, tandis que le délai n’est que de 24 mois pour les autres Canadiens.

Cette différence trouve son origine dans le fait que le

Québec a fixé un seuil d’envi‐ ron 10 000 admissions par année dans la catégorie du regroupeme­nt familial, un seuil qui est loin de répondre à la demande.

Sans dire quel serait le nombre d’admissions idéal, le ministre Miller réitère que le seuil actuel du Québec est artificiel­lement bas et qu’il doit impérative­ment être revu à la hausse. Selon lui, le Québec aurait tout à y ga‐ gner.

Je continue d'estimer que c'est un gain humanitair­e, mais un gain politique pour le Québec d'avoir ces per‐ sonnes qui vont rejoindre leur famille, s'épanouir au Québec.

Marc Miller, ministre fédé‐ ral de l'Immigratio­n

On a beaucoup de gens qui menacent de quitter le Québec pour que leurs époux, épouses, parents, grands-parents puissent les rejoindre ailleurs, rappelle M. Miller.

Un affront direct aux champs de compétence du Québec

La directive du ministre Miller est un affront direct aux champs de compétence du Québec. Le Québec est le seul à déterminer ses cibles d’immigratio­n permanente, a réagi le cabinet de la ministre de l'Immigratio­n de la Franci‐ sation et de l'Intégratio­n du Québec, Christine Fréchette, dans une déclaratio­n trans‐ mise à Radio-Canada.

L’approche du fédéral ne respecte pas la volonté de la nation québécoise. C’est inac‐ ceptable. […] Une telle déci‐ sion aurait un impact consi‐ dérable sur les seuils d’immi‐ gration permanente du Qué‐ bec.

Cabinet de la ministre de l'Immigratio­n de la Francisa‐ tion et de l'Intégratio­n du Québec, Christine Fréchette

Le gouverneme­nt Legault reconnaît que ses délais en matière de regroupeme­nt fa‐ milial sont importants, mais il estime que son approche en matière d’immigratio­n est équilibrée.

Les seuils actuels ont fait l’objet d’une consultati­on à l’Assemblée nationale en sep‐ tembre dernier, et ce n’est pas à Ottawa de nous les im‐ poser, ajoute le cabinet de la ministre.

La porte-parole de la mi‐ nistre Fréchette ajoute que le gouverneme­nt est sensible à la situation que vivent les fa‐ milles en attente de regrou‐ pement familial et qu'une première rencontre avec le collectif Québec Réunifié a eu lieu en décembre pour explo‐ rer des pistes d'aménage‐ ments qui respectent les pré‐ rogatives du gouverneme­nt québécois.

Avec des informatio­ns de Louis-Philippe Arsenault

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