Visas rétablis pour certains Mexicains : casse-tête et désillusions au menu
La réinstauration des visas pour une grande partie des Mexicains qui viennent au Canada crée de sérieux maux de tête aussi bien aux citoyens du Mexique qui avaient des projets d’installation au pays qu'aux spécialistes en im‐ migration chargés de facili‐ ter leur arrivée.
Parlez-en à Lorraine Clou‐ tier, mariée au Mexicain Yoav
Medrano Arredondo depuis le 3 mars 2023.
On devait partir à Londres ce dimanche pour notre pre‐ mier anniversaire de ma‐ riage, mais on va devoir an‐ nuler et aucun rembourse‐ ment ou crédit n’est offert par Air Transat. C'est vrai‐ ment fâchant, lance cette ré‐ sidente de Shawinigan.
À la suite de l'annonce gouvernementale, le délai était trop court pour deman‐ der le visa de visiteur néces‐ saire pour permettre à son mari de rentrer au Canada. L'obtention de ce visa prend normalement de quatre à six semaines et aucune excep‐ tion n'est prévue en cas d’ur‐ gence, selon Mme Cloutier. Du côté de son mari, les rai‐ sons de stresser sont autres.
Si mon père ou ma mère meurt demain, je ne pourrai pas aller à leurs funérailles au Mexique, car j'ai mainte‐ nant besoin d’un visa pour revenir ici, au Canada.
Yoav Medrano Arredondo Le couple est aussi en at‐ tente d’une réponse au sujet de la demande de parrainage déposée en avril 2023, qui permettrait au mari de tra‐ vailler en attendant l'obten‐ tion de sa résidence perma‐ nente. Cependant, les délais de traitement ont déjà été largement dépassés.
Cette annonce, c’est comme une bombe lancée juste avant la semaine de re‐ lâche, confie la jeune femme, qui dit être certaine de ne pas être la seule dans cette situation.
Éviter un afflux à la
frontière
C’est sûr qu’il y a beau‐ coup de monde qui va être touché, confirme Stéphanie Valois, avocate spécialisée en droit de l'immigration. Dans ce genre de cas, le calcul du gouvernement, c’est de pré‐ venir à la dernière minute pour éviter un afflux de per‐ sonnes qui arrivent avant que la frontière soit fermée ou que les visas soient réta‐ blis, précise-t-elle.
Plus tôt cette semaine, le gouvernement Trudeau avait réinstauré les visas pour les visiteurs mexicains, sept ans après avoir permis leur libre circulation au Canada, afin de limiter certains abus.
Le nombre record de de‐ mandeurs d’asile, la présence de membres de réseaux cri‐ minels et de passeurs au Ca‐ nada ainsi que la multiplica‐ tion des faux documents de voyage font partie des rai‐ sons invoquées par Ottawa afin de justifier la réinstaura‐ tion des visas d’entrée au pays pour les Mexicains.
Lors de son annonce, jeudi, le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, avait affirmé que les Mexi‐ cains ont représenté 17 % de tous les demandeurs d'asile en 2023 et que la plupart de leurs demandes ont été soit rejetées, soit retirées par les demandeurs eux-mêmes.
Comme gouvernement, on se doit d’être raisonnable et de prendre des mesures, avait ajouté M. Miller, qui ré‐ pondait ainsi indirectement aux doléances de plusieurs gouvernements provinciaux, dont celui du Québec. De 6340 avant la pandémie, le nombre de demandeurs d’asile mexicains est passé à 23 190 en 2023 au Canada.
C’est une décision poli‐ tique qui peut être prise pour des considérations tout à fait légitimes. Malheureusement, elle s’inscrit dans un discours extrêmement problématique à l’endroit des réfugiés, des immigrants, rétorque Mme Valois.
C’est trop facile de les blâ‐ mer pour les problèmes dans les écoles, dans les loge‐ ments.
Stéphanie Valois, prési‐ dente de l'Association des avocats et avocates en droit de l'immigration
Quand on parle de réfu‐ giés, on pense souvent à des personnes qui sont dans des camps, qui fuient la guerre, ou à des réfugiés politiques, mais la définition est plus large. La religion, la race, la nationalité ou l’appartenance à un groupe social sont aussi prises en compte, explique l’avocate.
Elle pense non seulement aux membres de la commu‐ nauté LGBTQ+ mais aussi aux journalistes et aux défen‐ seurs des droits de la per‐ sonne, qui peuvent être per‐ sécutés dans leur pays.
Exemptions mais... prévues,
Plusieurs catégories de ressortissants sont néan‐ moins exemptées par la me‐ sure sur les visas : les Mexi‐ cains qui ont déjà obtenu un visa au Canada ou aux ÉtatsUnis au cours des dix der‐ nières années et ceux qui viennent pour étudier ou pour travailler au Canada, notamment les travailleurs agricoles.
Cependant, même pour eux, la situation se com‐ plique, car ils devront notam‐ ment obtenir une Autorisa‐ tion de voyage électronique (AVE). Ils ne pourront plus se faire remettre leur permis à leur arrivée au pays ou à l’aé‐ roport, comme c’était le cas auparavant, souligne Mme Valois. Tout va devoir se faire [au préalable] à l’ambassade. Et quand on parle d’ambas‐ sade à l’étranger, les délais sont durs à évaluer, soulignet-elle.
Elle précise que l’ambas‐ sade du Canada à Mexico gère déjà toutes les de‐ mandes en provenance d'Haïti, des Caraïbes et de l’Amérique centrale et que les délais de traitement pour‐ raient exploser si du person‐ nel supplémentaire n’a pas été embauché.
Avec les informations de Gabrielle Proulx