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Haïti déclare l’état d’urgence et instaure un couvre-feu après l’assaut d’une prison

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Le gouverneme­nt haïtien a décrété dimanche l'état d'urgence ainsi qu'un couvre-feu dans la capitale Port-au-Prince, a-t-il indi‐ qué par communiqué, à la suite de l'évasion de plu‐ sieurs milliers de détenus d'un centre pénitentia­ire attaqué par des gangs ar‐ més.

L'état d'urgence de 72 heures est entré en vigueur dès que le gouverneme­nt a annoncé qu'il se mettait à la recherche des tueurs, ravis‐ seurs et autres criminels vio‐ lents s'étant évadés de pri‐ son.

La police a reçu l'ordre d'utiliser tous les moyens lé‐ gaux à sa dispositio­n pour faire respecter le couvre-feu et appréhende­r tous les contrevena­nts, a indiqué dans un communiqué le mi‐ nistre des Finances, Patrick Boivert, qui exerce les fonc‐ tions de premier ministre par intérim.

De son côté, le Canada va fermer temporaire­ment son ambassade à Port-au-Prince, à compter de lundi. Affaires mondiales Canada, qui in‐ voque la situation sécuritair­e instable dans la capitale haï‐ tienne, emboîte ainsi le pas aux États-Unis, qui ont fermé temporaire­ment leur ambas‐ sade un peu plus tôt di‐ manche.

L'assaut du pénitencie­r national

Au moins une dizaine de personnes sont mortes dans l’attaque du pénitencie­r na‐ tional de Port-au-Prince par des gangs armés, dans la nuit de samedi à dimanche, qui a mené à l’évasion de mil‐ liers de prisonnier­s.

Cet assaut marque un nouveau pic dans la spirale de violences à Haïti, où les gangs armés renforcent leur contrôle sur la capitale.

Le retour du premier mi‐ nistre Ariel Henry, qui s’était rendu au Kenya pour signer un accord de sécurité afin de lutter contre les groupes cri‐ minels, semble maintenant compromis.

Dimanche matin, les corps d’une dizaine de per‐ sonnes gisaient au sol autour de la prison, dont l’entrée était grande ouverte, sans gardiens en vue.

Quelques policiers, à bord d'une seule voiture station‐ née à l'extérieur du péniten‐ cier, n'ont pas voulu dire ce qui s'était passé.

On a dénombré de nom‐ breux cadavres de détenus, a indiqué à l'AFP Pierre Espé‐ rance, directeur général du Réseau national de défense des droits de la personne.

Il a expliqué que seule une centaine de détenus étaient toujours présents dans la prison sur environ 3800 avant l'attaque perpé‐ trée par des gangs armés.

Appels à l’aide

Parmi ceux qui ont choisi de rester figurent 18 anciens soldats colombiens accusés d'avoir travaillé comme mer‐ cenaires lors de l'assassinat du président haïtien Jovenel Moïse, en juillet 2021. Sa‐ medi soir, au milieu des troubles, plusieurs Colom‐ biens ont diffusé une vidéo sur les réseaux sociaux.

S'il vous plaît, aidez-nous, s'il vous plaît, a dit Francisco Uribe dans ce message vidéo de 30 secondes. Ils mas‐ sacrent les gens sans discer‐ nement à l'intérieur des cel‐ lules.

Durant le chaos, la police a également lancé un appel à l'aide. Ils ont besoin d'aide, a déclaré un syndicat qui re‐ présente la police haïtienne dans un message publié sur les réseaux sociaux portant un émoji SOS répété huit fois. Mobilisons l'armée et la police pour empêcher les bandits de s'introduire dans la prison.

C’est un grand échec des forces de sécurité en Haïti, qui n’ont pas reçu le soutien approprié hier soir, a fait re‐ marquer le journalist­e Étienne Côté-Paluck, rédac‐ teur en chef de Haïti Maga‐ zine, en entrevue à ICI RDI.

Des alertes avaient été envoyées. Depuis hier matin, on savait que la prison était ciblée. Et semble-t-il que l’opération, qui est un gros coup de force, s’est faite sans trop de résistance.

Une ville à l’arrêt

Des coups de feu ont re‐ tenti pendant une bonne partie de la soirée et de la nuit à Port-au-Prince, a té‐ moigné M. Côté-Paluck.

Il y a eu des fêtes dans certains quartiers populaires contrôlés par des groupes ar‐ més. Certains leaders de ces groupes ont célébré cette vic‐ toire, a relaté le journalist­e. Les dizaines de membres de groupes armés qui ont été relâchés, ce sont eux qui in‐ quiètent tout le monde en ce moment à Port-au-Prince. Les rues sont vides au‐ jourd’hui. Il y a à peine quelques véhicules qui cir‐ culent. Pour l’instant, tout est un peu à l’arrêt.

Les communicat­ions in‐ ternationa­les ont temporai‐ rement été interrompu­es di‐ manche en Haïti. Le pré‐ sident de Digicel, un des deux principaux fournisseu­rs de télécommun­ications de ce pays caribéen, a écrit sur le réseau X que les combats dans certains quartiers de la capitale ont endommagé des câbles de fibre optique.

Les lignes ont pu être ré‐ tablies quelques heures plus tard, a-t-il précisé.

Carlota Mato Urcelay, une travailleu­se humanitair­e pos‐ tée à Haïti, a expliqué en en‐ trevue à ICI RDI à quel point il est compliqué de quitter Port-au-Prince. Elle-même ne sait pas si elle pourra partir comme prévu, mardi, par avion.

Le problème qui me stresse le plus, c’est qu’on ne sait pas ce qui va se passer avec l’aéroport. On entend des rumeurs qui disent que l’aéroport va être bloqué et on ne sait pas trop comment on va pouvoir sortir de la ville. On ne sait pas ce qui va se passer, a dit Mme Mato Urcelay, qui oeuvre pour l’ONG CESAL.

Toutes les voies d’accès à la ville sont bloquées par les gangs. Le seul moyen de sor‐ tir en ce moment, c’est la voie aérienne. Et étant donné que la route vers l’aéroport est bloquée par les gangs, c’est difficile d’aller à l’aéroport. Les vols ont été suspendus et on ne sait pas quand ils vont reprendre, dit-elle.

L’aéroport cerné par les gangs

Étienne Côté-Paluck ex‐ plique qu’il y a beaucoup d'activités autour de l’aéro‐ port de Port-au-Prince, contrôlé depuis quelques jours par une coalition de gangs criminels.

L’action concertée contre le gouverneme­nt vise préci‐ sément le premier ministre Ariel Henry, que les groupes armés veulent renverser. M. Côté-Paluck doute par contre qu’ils soient prêts à prendre la tête du gouverneme­nt.

Ce qui les empêche, c’est qu’ils n’ont pas une organisa‐ tion politique très complexe. Prendre le contrôle d’un gou‐ vernement comme tel, ça de‐ mande une certaine ambi‐ tion nationale, ce qu’ils n’ont pas démontré pour l’instant. Mais ce qui est clair, c’est que ces derniers jours, ils ont clai‐ rement ciblé le premier mi‐ nistre Ariel Henry. Ils se sont joints à plusieurs dans le pays qui réclament son dé‐ part.

Cette semaine, le chef de gang Jimmy Chérizier, un an‐ cien officier de police, a lancé un appel aux groupes crimi‐ nels pour qu’ils s’unissent contre Ariel Henry. Ce der‐ nier a pris ses fonctions de premier ministre après l'as‐

sassinat de Jovenel Moïse et a reporté à plusieurs reprises les élections parlementa­ires et présidenti­elles, qui n'ont pas eu lieu depuis près d'une décennie.

Chérizier a aussi conseillé aux habitants de ne pas en‐ voyer leurs enfants à l'école pour éviter les dommages collatérau­x alors que les vio‐ lences se multiplien­t.

Près de 15 000 personnes ont été forcées de quitter leur domicile ces derniers jours, tandis que 10 sites qui accueillen­t des déplacés ont été vidés au cours du weekend, selon l'Organisati­on in‐ ternationa­le pour les migra‐ tions (OIM).

Lors d'attaques coordon‐ nées par des gangs, quatre policiers ont été tués jeudi dans la capitale. Des membres de groupes crimi‐ nels ont également pris le contrôle de deux commissa‐ riats de police.

La police nationale d'Haïti compte environ 9000 agents pour assurer la sécurité de plus de 11 millions de per‐ sonnes, selon l'ONU. Les agents sont régulièrem­ent dépassés et désavantag­és face à des gangs puissants, dont on estime qu'ils contrôlent jusqu'à 80 % de Port-au-Prince.

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