Le fonctionnement des centres d’artistes sur la corde raide
Les centres d’artistes de la province sonnent l’alarme. Se ralliant sous la bannière du Regroupement des centres d’artistes autogé‐ rés du Québec (RCAAQ), ils se mobilisent pour dénon‐ cer la précarité des condi‐ tions de travail et sala‐ riales de leurs employés, ainsi que le « manque fla‐ grant de visibilité et de soutien financier ».
Le RCAAQ estime un manque à gagner de plus de 16 millions de dollars sur une période de quatre ans pour une rémunération adéquate du personnel et des artistes qui bénéficient du pro‐ gramme Soutien à la mission du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ).
Cette réalité se fait res‐ sentir dans les centres d’ar‐ tistes de la Gaspésie, qui sont sur la corde raide.
Pour nous, c’est 75 000 $ de plus par années [qu’il fau‐ drait] pour pouvoir offrir des salaires décents à nos em‐ ployés, indique Guylaine Lan‐ glois, qui est la directrice par intérim du centre d’artistes Vaste et vague à Carletonsur-Mer.
Mme Langlois réclame non seulement de meilleurs salaires pour suivre le coût de la vie, mais également pour la rétention du person‐ nel, intimement lié au fonc‐ tionnement des opérations.
Dans le domaine des arts, j’ai l’impression qu’on ne per‐ çoit pas tout le travail qu’il y a derrière [chaque poste] […]. J’ai déjà vu une offre d’emploi de direction générale qui of‐ frait un salaire de 23,95 $ de l’heure pour 32 heures de travail par semaine. À ce mo‐ ment-là, je me demande comment les gens font pour payer leur loyer, dit-elle.
Il faut vraiment rémuné‐ rer les employés pour qu’ils restent et qu’ils se sentent valorisés, sinon ils vont aller dans un autre secteur.
Guylaine Langlois, direc‐ trice intérimaire du centre d’artistes Vaste et vague, à Carleton-sur-Mer
Laurène Janowsky est la directrice artistique du centre d’artistes en art actuel des Îles-de-la-Madeleine, Ad‐ Mare. Elle est aussi d’avis que, là où le bât blesse pour les centres d’artistes, est la question des salaires.
Il y a une inadéquation entre les compétences qu’on demande et les revenus qu’on peut offrir à ces res‐ sources-là, résume-t-elle.
À Matane, chez Espaces F, la dernière année s’est relati‐ vement bien déroulée, relate la directrice administrative du centre d’artistes, Julie Bé‐ rubé.
« [C’est] parce qu’on a fait attention à notre budget. On n’a pas le choix, parce que les budgets n’ont pas augmenté depuis quatre ans », dit-elle.
En ce sens, la direction de l’organisme culturel a dû faire des choix. Elle a notamment pris la décision de prolonger certaines expositions. On a eu moins d’artistes, mais ils ont été mieux rémunérés, ex‐ plique Mme Bérubé.
On fonctionne avec peu de moyens, mais on réussit quand même à y arriver […], parce qu’on croit à l’impor‐ tance des arts et à ce que ça peut apporter à la popula‐ tion. Oui, le financement est important, mais ça va au-delà de ça.
Julie Bérubé, directrice ad‐ ministrative chez Espaces F, à Matane
Ces constats coïncident également avec le renouvel‐ lement des subventions du programme du soutien à la mission du CALQ pour la pé‐ riode 2024-2028. La date li‐ mite pour déposer cette de‐ mande était le 1er février.
Les organismes culturels déplorent des lourdeurs ad‐ ministratives reliées à ces de‐ mandes.
On est une équipe de quatre personnes qui a tra‐ vaillé là-dessus et on est sorti de là assez essoufflés, ra‐ conte Julie Bérubé, qui a pour sa part demandé une augmentation de 20 % de son financement pour les quatre prochaines années.
J’ai consacré tout mon mois de janvier à cette de‐ mande, ajoute pour sa part Guylaine Langlois.
Le prochain cycle de fi‐ nancement est important pour le fonctionnement des prochaines années des centres d’artistes. Si jamais les organismes n’ont pas de financement, là les équipes vont être essoufflées et je ne peux pas dire que tout le monde va y arriver, conclut Julie Bérubé.
Toujours à refaire
D’autres défis se posent pour le centre d’artistes en art actuel des Îles-de-la-Ma‐ deleine, AdMare, qui est sou‐ tenu au projet, et non au fonctionnement comme ses homologues gaspésiens. On multiplie les projets pour multiplier le financement, clarifie Laurène Janowsky.
À chaque demande de subvention pour un projet, l’incertitude d’une réponse favorable est omniprésente.
On est de nombreux joueurs à se partager les en‐ veloppes disponibles, alors […] on est toujours soumis aux évaluations et à la com‐ pétition, explique-t-elle.
Autrement, le facteur de l’insularité précarise d’autant plus le personnel du centre AdMare, estime Mme Ja‐ nowsky, notamment au cha‐ pitre des revenus.
Le coût de la vie aux Îles est plus élevé, il manque de main-d’oeuvre partout […], et vu les salaires qu’on peut of‐ frir, on n’est pas du tout com‐ pétitif sur le marché du tra‐ vail, fait-elle valoir.
À l’heure actuelle, AdMare va bien, estime la directrice artistique. On a une pro‐ grammation incroyable, riche et diversifiée, une équipe contente de travailler et un centre de mieux en mieux in‐ tégré dans le milieu et ancré dans le territoire et la com‐ munauté, se réjouit Laurène Janowsky.
Avec la collaboration de Marie-Claude Tremblay
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