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Des Palestinie­ns désespèren­t de voir leur famille les rejoindre à Sherbrooke

- Christine Bureau

Arrivée à Sherbrooke de‐ puis peu, la Palestinie­nne Haya Elsayyed n’a qu’un souhait : que ses parents et ses deux frères, restés dans la bande de Gaza, puissent la rejoindre au Canada pour vivre « en paix ». « C’est aussi simple que ça », confie la jeune femme de 25 ans.

Le souhait est simple, mais le réaliser sera com‐ plexe, dans le contexte de la guerre entre Israël et le Ha‐ mas. En tant que seule membre de sa famille avec un statut de résidente per‐ manente au Canada, Haya fonde tous ses espoirs sur le programme d’accès à la rési‐ dence qui a été officielle­ment lancé le 9 janvier dernier. Ce sont 1000 visas temporaire­s qui seront offerts à ceux qui ont de la famille au Canada prête à les parrainer.

Deux mois se sont écou‐ lés depuis le début du pro‐ gramme, et Haya déplore d'être toujours dans le néant. Elle demande un suivi, qu’il soit positif ou négatif. Est-ce que je devrais me mettre à penser à une autre façon de faire venir ma famille ici? De nombreuses agences en Égypte font miroiter la possi‐ bilité de faire sortir les Ga‐ zaouis de la bande Gaza en échange de milliers de dol‐ lars. À l’instar d’autres Pales‐ tiniens expatriés, Haya y songe.

J’étais déjà complèteme­nt dépassée par le fait que je n’ai pas eu de nouvelles, lance pour sa part Geneviève Nadeau. La Sherbrooko­ise d’origine installée en Israël a aidé comme elle a pu la fa‐ mille Elsayyed à remplir les papiers nécessaire­s pour leur candidatur­e. Elle est sidérée par le silence d’Ottawa et le manque de suivi. J’ai arrêté de fonder espoir, soupire-telle.

Même son de cloche de la part d’Ayman Oweida. Le Sherbrooko­is a aussi rempli une demande dans le cadre du programme lancé par Ot‐ tawa. Ses parents, qui vivent à Montréal, tentent de faire venir deux de ses oncles et leurs épouses. La famille Oweida est elle aussi dans le néant.

On a attendu trois mois pour que le programme soit annoncé, et il faut encore at‐ tendre des mois avant d'avoir une réponse, déplore-t-il.

Selon lui, le fait de délivrer seulement 1000 visas est également discrimina­toire et irrespectu­eux des Canadiens d’origine palestinie­nne.

Pas de garantie

Immigratio­n, Réfugiés et Citoyennet­é Canada (IRCC) indique qu'en date de lundi, 986 demandes ont été accep‐ tées. Ceux qui les ont sou‐ mises ont reçu un code leur permettant de terminer leur demande. Douze personnes ont réussi jusqu'à mainte‐ nant à quitter la bande de Gaza.

Même si le Canada délivre des visas temporaire­s pour les Gazaouis, rien ne garantit qu'ils pourront quitter le ter‐ ritoire. Le gouverneme­nt du Canada a soumis aux autori‐ tés locales, pour approba‐ tion, les noms des personnes qui ont passé les vérificati­ons préliminai­res d’admissibil­ité et de recevabili­té, mais ce n’est pas lui qui décide des personnes qui peuvent sortir de Gaza, précise un porte-pa‐ role de l'IRCC par courriel.

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Une vie à reconstrui­re

Pour les Palestinie­ns éta‐ blis au Québec, il y a un réel sentiment d'urgence d'agir. Haya Elsayyed dort mieux depuis qu’elle est arrivée à Sherbrooke. Elle traîne néan‐ moins les traumatism­es d’une guerre qu’elle a vécue pendant deux mois, tout en sachant que sa famille est toujours en zone de guerre.

Difficile de trouver les mots pour dire à quel point ça a été difficile. [...] Ce sont les pires jours de ma vie.

Haya Elsayyed, Palesti‐ nienne et résidente perma‐ nente du Canada

Elle était en vacances chez ses parents dans la ville de Gaza quand le conflit a éclaté le 7 octobre dernier. Notre vie était misérable. [...] J’ai perdu des gens que j’aimais, j’ai perdu ma maison. J’ai dû quitter ma famille. J’ai tout quitté et je suis arrivée en Égypte avec rien du tout, ré‐ sume-t-elle.

C’est grâce à son statut de résidente permanente qu’elle a pu quitter la bande de Gaza. La décision a été déchi‐ rante pour elle et ses proches. Mais mon père m’a dit "vas-y, tu vas avoir une belle vie", se remémore-telle.

Son père, Nasser El‐ sayyed, a dû rester derrière avec le reste de sa famille. Le conseiller pédagogiqu­e de 56 ans a un français impeccable. Il est coordonnat­eur et ins‐ pecteur général de la langue française dans la bande de Gaza pour le ministère de l’Éducation. Sa vie a complè‐ tement basculé dès les pre‐ miers jours du conflit, comme celle de l’ensemble des Gazaouis.

Il y avait beaucoup de bombardeme­nts autour de nous. On est partis sans rien du tout, avec les vêtements qu'on porte encore jusqu'à maintenant, raconte-t-il au bout du fil à partir d’une pe‐ tite ville dans le sud de Gaza, où il s’est installé près de Ra‐ fah.

Notre vie est déjà trop dif‐ ficile. Je sais déjà très bien que [le Canada] sait que la si‐ tuation est trop difficile, mais bon, après, il ne nous répond pas.

Nasser Elsayyed, père de Haya

Les embûches se sont multipliée­s depuis le début de la guerre. Il a même dû s’installer durant quelques jours dans une maison où il y avait quelque 200 personnes, et nulle part où dormir. Comme sa femme Jehan est malade, il a fait venir des mé‐ dicaments de France, qui sont pour le moment tou‐ jours en Égypte.

Le père de famille garde tout de même l’espoir d’une vie meilleure. Jehan est en‐ seignante en anglais. L’aîné de la famille, Amr, venait tout juste d’obtenir son diplôme d’ingénieur quand la guerre a éclaté. Le cadet, Mohammed, a dû interrompr­e ses études en médecine. Les enfants parlent français. Ils sont prêts, assure-t-il, à refaire leur vie, tant que c'est dans la paix.

À Sherbrooke, Haya est en sécurité, mais le combat n’est pas terminé pour elle. Je veux essayer de toutes mes forces de réunir ma famille, lâche-t-elle. Sa voix est douce, mais sa détermina‐ tion est forte.

Dépasser le cap du 1000

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