Radio-Canada Info

La renaissanc­e du hockey féminin

- Yasmine Mehdi

Le hockey féminin a long‐ temps vécu au rythme du calendrier olympique. Tous les quatre ans, les téléspec‐ tateurs suivaient les ex‐ ploits des joueuses, les ap‐ plaudissai­ent chaleureus­e‐ ment sur le podium, avant de mettre ce sport un peu de côté. Mais depuis jan‐ vier, des matchs de hockey profession­nel féminin sont diffusés chaque semaine. Les amateurs sont enthou‐ siastes, les arénas sont bondés, et les joueuses, ac‐ cueillies comme des ve‐ dettes.

Nous sommes au bar Peaches, à Toronto. Il est près de 19 h. Les sièges se remplissen­t rapidement dans ce bar sportif LGBTQ-friendly du quartier Parkdale, qui dif‐ fuse le sport féminin en prio‐ rité.

Devant les grands écrans de télévision, une clientèle surtout féminine déguste po‐ gos, nachos et bière en fût. Certaines sont des passion‐ nées de sport de longue date, d’autres découvrent le hockey.

On voulait créer un envi‐ ronnement où tout le monde pouvait venir regarder du sport, pas seulement les hommes, explique la proprié‐ taire Veronica Saye.

Depuis janvier, les soirs de matchs de la Ligue profes‐ sionnelle de hockey féminin (LPHF) battent des records d'achalandag­e. Plus que pour les Leafs et les Raptors, pré‐ cise Mme Saye.

Christina Palacio est ve‐ nue voir le match avec un groupe d’amies. La Toron‐ toise a décidé de regarder plus de sport féminin cette année. Sa résolution est plus facile à tenir depuis l’arrivée de la LPHF, dont les parties sont diffusées à des heures de grande écoute.

Les gens disent qu’il n’y a pas d’intérêt à voir les femmes jouer au hockey, [...] mais c’est parce qu’on n’en a jamais eu l’occasion, fait-elle remarquer.

Le match que Christina Palacio regarde oppose sa ville natale, Montréal, à sa ville d’adoption, Toronto.

Cette bataille entre les deux métropoles se joue à guichets fermés. L’aréna Sco‐ tiabank est plein à craquer. Les 19 000 billets ont été vendus en quelques minutes - un record dans l’histoire du hockey féminin.

Comme dans un rêve

On se sentait comme Tay‐ lor Swift, rigole Lauriane Rou‐ geau. La joueuse, médaillée d’or à Sotchi et à Pyeong‐ chang, est émue devant tant d’engouement.

On savait qu’on allait avoir beaucoup d’intérêt, mais on ne savait pas à quel point, confie-t-elle après un entraî‐ nement au Ford Performanc­e Centre d’Etobicoke.

Avant d’être repêchée par l’équipe de Toronto de la LPHF, la Québécoise tra‐ vaillait à temps plein en plus de jouer au hockey. Elle ra‐ conte les longues journées passées au bureau, les en‐ traînement­s nocturnes, les visites au Canadian Tire pour aller chercher du tape.

Aujourd’hui, l’athlète peut se consacrer pleinement à son sport, s’entraîne sur la même patinoire que les Maple Leafs, est suivie par une équipe médicale et est payée pour ses exploits sur la glace.

On est sur la glace presque chaque jour, donc c’est sûr que le hockey fémi‐ nin va grandement s’amélio‐ rer.

Lauriane Rougeau, joueuse, équipe de Toronto

La LPHF en chiffres

6 équipes (Toronto, Mon‐ tréal, Ottawa, Minnesota, Boston, New York) 24 matchs par équipe (pour la première saison) 157 joueuses de 12 pays (dont 90 Canadienne­s) 55 000 $ : salaire annuel moyen des joueuses

Chaque jour, je me ré‐ veille et je suis contente que ce soit ma job à temps plein, ajoute sa coéquipièr­e Maude Poulin-Labelle.

Si elle n'avait pas été repê‐ chée par la LPHF, cette autre Québécoise aurait déménagé en Suède pour poursuivre sa carrière profession­nelle. La nouvelle ligue lui permet de rester au Canada - et d’y grandir comme athlète.

C’est comme si j'étais dans un rêve, en ce moment.

Maude Poulin-Labelle, joueuse, équipe de Toronto

Le lendemain, les joueuses sont de retour sur la glace. Elles affrontent New York au Mattamy Athletic Center, qui a été le domicile des Maple Leafs de 1931 à 1999.

Tous les matchs ont été joués à guichets fermés jus‐ qu’à présent - les 2600 places trouvent preneur à chaque affronteme­nt -, si bien que l’équipe songe à se dénicher un domicile plus grand pour les futures saisons.

Dans les gradins, des par‐ tisans et partisanes de tous les âges. Beaucoup portent fièrement le chandail de To‐ ronto.

Ils et elles ont déjà trouvé des jeux de mots pour rendre hommage à leurs joueuses de prédilecti­on : Sa‐ rah Nurse, Natalie Spooner et Kristen Campbell sont parmi les favorites.

Paul Alexander est un amateur de hockey de longue date. Il est impres‐ sionné par la qualité de jeu des athlètes sur la glace… et par le comporteme­nt du pu‐ blic dans les gradins.

Il y a moins de masculinit­é toxique, croit ce partisan des Maple Leafs. C’est un monde différent.

La directrice générale de la formation de Toronto pré‐ fère éviter les comparaiso­ns avec la LNH.

Gina Kingsbury affirme tout de même qu’elle sou‐ haite que sa ligue ait une in‐ fluence positive sur la ma‐ nière dont les gens per‐ çoivent le hockey, après les nombreux scandales qui ont secoué le sport.

L’objectif, c’est de créer quelque chose qui ''fitte'' avec les besoins de nos ath‐ lètes et de notre sport. Est-ce que ça va ressembler à la LNH? Peut-être dans certains cas, peut-être pas dans d'autres.

Gina Kingsbury, directrice générale, équipe de Toronto

Il n’y a pas que les hommes dans la vie

L’atmosphère est festive au Rennie Park de Toronto. Les rires résonnent alors que des dizaines de jeunes joueuses se lancent sur la pa‐ tinoire, devant le regard fier de leurs parents.

Il fait étonnammen­t doux pour un soir de février, mais la glace a tenu bon.

C’est une petite ligue de quartier, explique l’entraî‐ neur Ugo Ménard.

Sur le banc, le Québécois regarde ses joueuses mar‐ quer but après but.

Les filles de son équipe ont entre 7 et 17 ans - c’est la particular­ité de la Swansea Girls Hockey League, fondée en 1970. Leur différence d’âge est marquante, mais les jeunes athlètes sont sou‐ dées par leur amour pour le hockey.

Sans surprise, elles sont toutes des admiratric­es de la LPHF.

Quand j’étais plus jeune, on n’avait pas de femmes qu’on pouvait regarder jouer, lance Evelyn Schieman, 17 ans, qui a passé son enfance à regarder religieuse­ment les matchs des Maple Leafs avec sa famille.

Il n’y a pas juste les hommes dans la vie, renché‐ rit sa coéquipièr­e, Claire McIntosh, 10 ans, qui a com‐ mencé à jouer au hockey cette année.

Une autre joueuse, Perle Waskin, 12 ans, rêve d’une carrière profession­nelle.

C’est tellement important d’avoir de la diversité dans les sports, dit-elle avec en‐ thousiasme, toujours sur ses patins.

Si j’avais su que c’était une option [quand j’étais plus jeune] j’aurais travaillé plus fort pour arriver à ce niveau.

Evelyn Schieman, joueuse, Swansea Girls Hockey League

Ces témoignage­s font sourire Gina Kingsbury, qui était hockeyeuse profession‐ nelle avant de prendre sa re‐ traite en 2010.

J’ai une fille de trois ans, dit-elle. Je ne suis pas sûre qu’elle va jouer au hockey, [...] mais si elle veut, les pos‐ sibilités sont là pour elle.

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