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Des menstruati­ons à la maternité, l’agricultur­e tarde à s’adapter aux réalités des femmes

- Victor Lhoest

Sur sa ferme d’asperges, à Aubigny, au Manitoba, Mi‐ chelle Baril se prépare à enchaîner des semaines de travail pour assurer la cueillette. C'est un moment épuisant pour le corps, en particulie­r pour les per‐ sonnes qui ont des règles douloureus­es.

Pendant que les asperges prennent racine sous terre en attendant le printemps, Michelle Baril s’occupe de ses chevaux et des pintades sur sa ferme, une accalmie avant la période faste consacrée au travail de la terre.

Être une femme, c’est dif‐ ficile. Surtout à ce temps-là de notre vie; il y en a qui sont affectées chaque mois. Physi‐ quement, c’est une grosse af‐ faire. Notre corps ne veut pas nous supporter parce qu’il y a d'autres défis biologique­s qui se passent.

Michelle Baril, agricultri­ce Michelle Baril remarque que la vie à la ferme requiert souvent de faire des sacri‐ fices.

Si on veut une famille, il faut mettre l’agricultur­e de côté. De coutume, ce sont les femmes qui élèvent les en‐ fants, ce sont les femmes qui vont porter les enfants et ac‐ coucher. C’est difficile de tout faire... On s'occupe aussi de la maison. On ne peut pas se diviser en mille morceaux. On doit se spécialise­r, faitelle remarquer.

L'agricultri­ce et son mari ont élevé six enfants. Mi‐ chelle Baril souligne cepen‐ dant que la culture des as‐ perges n’est pas la spécialité agricole la plus difficile qui soit.

On est très occupés au printemps et en mai-juin, ex‐ plique-t-elle. C’est moins in‐ tense que les fermes laitières ou d'élevage; pour eux, c’est 12 mois de travail par an. Les vacances sont rares et il faut planifier la relève de travail. Notre spécialisa­tion nous donne plus de flexibilit­é que d’autres qui sont dédiés toute l’année.

Travailler ment intelligem‐

Michelle Baril et son mari sont installés sur la ferme d’Aubigny depuis 2001. Au départ, leur objectif était d’avoir un espace pour les animaux. Ils se sont, par la suite, spécialisé­s dans les as‐ perges et le sirop d’érable.

Il y a des choses que, phy‐ siquement je ne peux pas faire, mais il faut apprendre à travailler intelligem­ment, nuance Michelle Baril. L’as‐ pect physique peut être au détriment des femmes en agricultur­e, mais avec la ma‐ chinerie d’aujourd’hui, les améliorati­ons sont tellement avancées par rapport à ce qu’il y avait il y a 20 ou 30 ans. On n'a plus besoin de la force physique autant qu’avant.

Relève, tolérance et em‐ pathie

Pour ralentir le travail dans ces métiers rythmés par la nature, Michelle Baril en appelle à plus de flexibi‐ lité.

On ne devrait pas se sen‐ tir mal de se sentir mal. C’est correct que certaines jour‐ nées, physiqueme­nt, on ne puisse pas faire autant qu’on aimerait. Plus de tolérance et d'empathie, ce serait un pre‐ mier pas.

Michelle Baril, agricultri­ce

L’agricultri­ce est consciente du défi de s’ab‐ senter quand les semences sont à point, mais elle pense qu’un système de relève for‐ mée permettrai­t de se libérer d’une partie de la charge de travail.

Ce n’est pas tout le monde qui peut faire la traite des vaches, la cueillette des as‐ perges, ou conduire le trac‐ teur. Mais avec le GPS. ça change tout, alors les capaci‐ tés de faire des changement­s pour aider les femmes, dans le futur, ça serait possible, es‐ time-t-elle.

Si être menstruée arrivait aux hommes, on aurait fait des changement­s il y a très longtemps, laisse-t-elle en‐ tendre.

Selon le dernier recense‐ ment de Statistiqu­e Canada en 2021, les deux tiers des travailleu­rs du milieu agricole dans les municipali­tés ru‐ rales de Ritchot et de Morris sont des hommes. Cette sta‐ tistique n’étonne pas la prési‐ dente du Manitoba Women in Agricultur­e and Food, Laura Lazo, dont l’organisme accompagne les femmes dans le secteur agricole et défend leurs droits.

Elle assure que le travail agricole est destiné autant aux hommes qu’aux femmes, mais que les règles qui l’en‐ cadrent favorisent les em‐ ployés masculins.

La solution est d'accom‐ moder la vie personnell­e. Pas seulement vis-à-vis des menstruati­ons; on parle aussi de toilettes [pour femmes sur le lieu de travail]. C’est à l'employeur de faire le nécessaire, insiste Laura Lazo.

Les femmes ont certains problèmes que les hommes n’ont pas. Mais ils ont des en‐ jeux aussi; les hommes aussi doivent s’occuper des en‐ fants. Plus les entreprise­s se‐ ront compréhens­ives, plus elles tireront le meilleur de leurs employés et plus elles auront un meilleur taux de rétention, ajoute-t-elle.

Laura Lazo explique qu’en fin de compte, la mise à l’écart des femmes est un problème universel. Quand une femme ne délivre pas son plein potentiel, cela a une incidence sur toute la fa‐ mille, résume-t-elle, évo‐ quant notamment un manque à gagner sur le plan financier.

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