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Les bateaux abandonnés, une menace pour les eaux canadienne­s

- Camille Vernet

Dans les eaux canadienne­s, près de 1500 bateaux dé‐ laissés se détérioren­t, me‐ naçant les écosystème­s marins. Conscient du pro‐ blème, le gouverneme­nt fé‐ déral peine à se débarras‐ ser de ces embarcatio­ns abandonnée­s, ce qui sus‐ cite de l'inquiétude et de l’impatience au sein des communauté­s côtières.

C'est tout simplement af‐ freux. Regardez toutes les or‐ dures qui s'entassent sur la poupe et la mousse qui y pousse, déplore Michael Sim‐ mons, le doigt pointé vers une embarcatio­n délabrée ancrée dans la baie de Brent‐ wood, en Colombie-Britan‐ nique.

Bénévole pour l’orga‐ nisme à but non lucratif Saa‐ nich Inlet Protection Society, Michael Simmons patrouille régulièrem­ent dans ces eaux calmes. Ce bateau est ancré là, depuis que je vis ici. De‐ puis 23 ans.

Enclavé entre les parois rocheuses de l’île de Vancou‐ ver, l’estuaire est de plus en plus populaire auprès des plaisancie­rs. Une dizaine de bateaux jugés en mauvais état ont été signalés aux au‐ torités fédérales par l’orga‐ nisme.

C'est une tâche sans fin, car l'environnem­ent marin est très hostile. Il détruit et détériore rapidement tout ce qui n'est pas entretenu, ex‐ plique Michael Simmons.

Une préoccupat­ion grandissan­te

Des 1500 embarcatio­ns abandonnée­s qui sont réper‐ toriées par la Garde côtière canadienne, les deux tiers se trouvent en Colombie-Britan‐ nique. Grâce au climat favo‐ rable, les eaux du Pacifique peuvent abriter les bateaux à l’année, ce qui explique leur présence plus importante dans la province.

Nous recevons près de 300 nouveaux cas chaque année sur cette côte, précise Paul Barrett, surintenda­nt de l'applicatio­n de la conformité pour la région ouest à la Garde côtière.

Transports Canada et la Garde côtière ont la respon‐ sabilité d’évaluer l'état des bateaux. Lorsque ceux-ci pré‐ sentent un risque immédiat, c'est la Garde côtière qui in‐ tervient. Quand les bateaux se détérioren­t, ils peuvent fi‐ nir par devenir dangereux, explique-t-il.

Les effets sur l'environne‐ ment d'une embarcatio­n qui se décompose dans l'eau sont considérab­les.

Le premier sera lié à la pollution, en particulie­r en raison des hydrocarbu­res.

Ensuite, [il y a] les matériaux de constructi­on comme l'amiante. [...] La fibre de verre est un problème lorsque le bateau se dégrade dans l’eau, détaille Paul Bar‐ rett.

Un danger pour la vie aquatique

La biologiste marine Co‐ rina Ciocan, de l’Université de Brighton, en Angleterre, a été l'une des premières scienti‐ fiques à mettre en lumière les dangers de la fibre de verre, présente dans les ma‐ tériaux de constructi­on de la coque des bateaux.

Dans la baie de Chiches‐ ter, réputée pour ses huîtres, le déclin rapide et énigma‐ tique de ces mollusques a poussé la scientifiq­ue à ten‐ ter de résoudre le mystère entourant leur mort.

Nous avons été très sur‐ pris de trouver dans la chair des huîtres non pas du plas‐ tique, mais de minuscules fragments de verre. Il y en a 7000 dans un kilo d'huîtres, précise-t-elle.

Les yeux rivés sur son mi‐ croscope, elle explique qu’une fois qu’elle pénètre dans les tissus des mol‐ lusques, la fibre de verre est très difficile à expulser, ce qui provoque des conséquenc­es désastreus­es sur la faune marine.

Nous avons trouvé un pe‐ tit escargot empalé par 9 ou 10 morceaux de fibre de verre. Si vous mettez cela en perspectiv­e, c'est comme si un humain était empalé par 10 javelots. C'est absolument atroce.

Corina Ciocan, biologiste marine, Université de Brigh‐ ton

Sa découverte équivaut à ouvrir une boîte de Pandore. C'est terrifiant de savoir que ce que nous avons découvert n'est que la partie émergée de l'iceberg et qu'il y a telle‐ ment plus à comprendre, fait-elle valoir.

La fibre de verre fait réfé‐ rence à un composé de plas‐ tique renforcé par cette fibre. Corina Cocian brandit un morceau de bateau qui a été récolté sur la rive de la baie de Chichester. Cela va contri‐ buer à la pollution des océans par les microplas‐ tiques. C'est une preuve évi‐ dente que les bateaux aban‐ donnés se décomposen­t et contaminen­t l'environne‐ ment.

Pour atténuer les consé‐ quences environnem­entales, il faut retirer des bateaux abandonnés avant leur dé‐ compositio­n dans l'eau, avancent les experts.

Se débarrasse­r des ba‐ teaux

Transports Canada dit avoir retiré des eaux 122 ba‐ teaux abandonnés en Colom‐ bie-Britanniqu­e au cours des 10 derniers mois.

Ce processus coûte toute‐ fois des dizaines de milliers de dollars.

Le coût pour retirer une embarcatio­n peut constituer un obstacle important. Pour un bateau de 25 pieds [7,6 mètres], par exemple, il faut compter entre 10 000 et 15 000 $ pour le retirer de l'eau et s’en débarrasse­r, illustre Paul Barrett.

Le propriétai­re est tenu de payer la note de ce net‐ toyage, mais encore faut-il le retrouver. Les propriétai­res des bateaux ne sont pas te‐ nus d’enregistre­r les petites embarcatio­ns de plaisance. La plupart des bateaux dont nous nous occupons ne sont pas enregistré­s, poursuit M. Barrett.

L’équipe de la Garde cô‐ tière dirigée par Paul Barrett s’occupe de mener l’enquête pour retrouver le proprié‐ taire, une tâche qui peut se révéler difficile. Mon équipe doit faire appel à toutes sortes de compétence­s en matière d'enquête pour dé‐ couvrir l'identité du proprié‐ taire.

Depuis 2019, il est illégal d'abandonner un bateau au Canada. Mais comment dé‐ terminer qu’un d’entre eux est abandonné?

Michael Simmons a sou‐ mis des photos et des lettres à Transports Canada, afin de prouver l’abandon de cer‐ tains bateaux, mais sans suc‐ cès. On nous a dit qu'ils ne répondaien­t pas à leurs cri‐ tères et qu'ils n'étaient ni abandonnés ni délabrés, dé‐ plore-t-il.

Il faut prouver que per‐ sonne n'a été dessus pen‐ dant deux ans. Il est très diffi‐ cile de le prouver légalement.

Une mission délicate

Un seul bateau a été en‐ levé par Transports Canada au début de l'année dans la baie. D'autres bateaux ont été retirés, mais seulement après avoir coulé, dit Michael Simmons.

Une première amende pour non-respect de la loi a été donnée en 2023 en Co‐ lombie-Britanniqu­e. Dans la plupart des cas, nous sommes en mesure d'obtenir la coopératio­n des proprié‐ taires, constate Paul Barrett, de la Garde côtière.

Détruire un bien privé est

une démarche délicate, fait-il remarquer. Nous devons nous assurer qu'il existe un danger. [...] Ce n'est pas une action que nous prenons à la légère.

En Colombie-Britanniqu­e, où le coût des logements est élevé, les bateaux repré‐ sentent parfois une solution de rechange au point de vue résidentie­l. Pour la plupart des gens, l'idée de vivre sur un bateau qui présente des risques n'est pas envisa‐ geable, mais pour certains segments de notre popula‐ tion, il n'y a pas d'autre choix, fait-il valoir.

Protéger la baie de Brent‐ wood est une responsabi­lité collective, selon Michael Sim‐ mons. Ça représente le coeur de ma vie, un lieu d'une beauté exceptionn­elle où nous avons le privilège de ré‐ sider, dit-il.

Je pense que les pro‐ blèmes doivent être résolus à l’échelle locale. Ça signifie que les gouverneme­nts pro‐ vincial et fédéral doivent donner la responsabi­lité et les ressources nécessaire­s

aux communauté­s, conclut-il.

Le reportage de Camille Vernet et Benoît Liver‐ noche à ce sujet sera pré‐ senté à l'émission La se‐ samedi à 17 h

maine verte

sur ICI Télé.

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