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Beaucoup de chemin à faire dans la recherche sur la santé des femmes, selon des expertes

- Laurence Taschereau

Les corps féminins ont longtemps été exclus des essais cliniques en santé et le retard à rattraper est grand, disent des expertes en santé des femmes. D'une même voix, elles s'entendent pour dire que bien que la recherche sur certaines conditions qui touchent les corps fémi‐ nins commence à prendre son envol, cela n'est pas suffisant.

Jusqu’en 1997, les femmes n’étaient pas incluses dans les essais cliniques, et même aujourd’hui, il y a des bar‐ rières à cause du rôle de mère, avance la directrice gé‐ nérale de l’Institut de re‐ cherche sur la santé des femmes et des enfants (WCHRI), Sandra Davidge.

Le fait que cela était « trop complexe » était l’argument principal, explique celle qui porte aussi le chapeau de professeur­e au départemen­t d'obstétriqu­e et de gynécolo‐ gie à l’Université de l’Alberta.

Par exemple, les corps masculins n'ont pas les varia‐ tions hormonales des cycles menstruels, précise-t-elle. À l'époque, cela semblait pro‐ bablement logique parce qu’on se disait qu’il suffisait d'ajuster les doses de médi‐ caments en fonction de la taille et du poids.

Or, aujourd’hui, des re‐ cherches montrent que ce n'est pas le cas, dit la titulaire de la chaire de recherche Ca‐ varzan en santé des femmes matures, Colleen Norris. Les symptômes pour les crises cardiaques chez les femmes sont notamment différents de ceux chez les hommes, soutient la chercheuse spé‐ cialisée en cardiologi­e.

Des conséquenc­es réelles, selon des expertes

Les spécialist­es du pays établissen­t des lignes direc‐ trices pour les soins. Pour ce faire, ils regardent tous les essais cliniques qui ont été réalisés dans un domaine. Ensuite, sur la base de toutes les preuves, ils déterminen­t le traitement approprié, ex‐ plique Colleen Norris.

En regardant de plus près les essais cliniques en cardio‐ logie, elle et son équipe se sont rendu compte que cer‐ tains essais utilisés pour créer le guide de pratique cli‐ nique ne comportaie­nt au‐ cune femme. Dans le meilleur des cas, il y avait 30 % de femmes.

Nous ne savons donc pas si ces traitement­s ou médica‐ ments sont réellement effi‐ caces. Je ne dis pas qu'ils ne fonctionne­nt pas, mais nous ne savons pas s'ils sont effi‐ caces pour les femmes.

Colleen Norris, profes‐ seure et doyenne associée de la recherche, Faculté des sciences infirmière­s de l'Uni‐ versité de l'Alberta

La pharmacien­ne et pro‐ fesseure à la faculté des sciences pharmaceut­iques de l’Université de l’Alberta, Nese Yuksel, convient que les femmes peuvent réagir diffé‐ remment aux médicament­s. Il y a des différence­s, mais tant qu’elles se ne sont pas étudiées, on ne peut pas sa‐ voir comment, par exemple, le cycle menstruel peut chan‐ ger la réponse métaboliqu­e.

L’Alberta en tête de pe‐ loton

Le travail de recherche ef‐ fectué par l’Institut de re‐ cherche sur la santé des femmes et des enfants est crucial, soutient Sandra Da‐ vidge. Le WCHRI est affilié à l'Université de l'Alberta. Il a reçu des millions de dollars de financemen­t, et compte plus de 400 membres.

Nous sommes une loco‐ motive dans le domaine de la santé des femmes [...] et nous sommes très forts dans ce domaine grâce à notre fondation et à notre parte‐ naire hospitalie­r [l'hôpital pour femmes Lois Hole].

Par le biais de partena‐ riats, le WCHRI regroupe plu‐ sieurs provinces. Nous ne pourrions pas avoir cette conversati­on à l'échelle natio‐ nale si nous n'avions pas ce centre ici, en Alberta, croit la directrice générale de l'Insti‐ tut de recherche, Sandra Da‐ vidge.

Il y a maintenant une prise de conscience de la né‐ cessité de poursuivre les conversati­ons sur la santé des femmes, et nous devons maintenir l'élan.

Sandra Davidge, directrice générale, Institut de re‐ cherche en santé des femmes et des enfants

Un constat que font égale‐ ment les professeur­es Col‐ leen Norris et Nese Yuksel. Or, les besoins dans la re‐ cherche sont encore grands, selon elles, surtout en de‐ hors de la zone de bikini.

La médecine du bikini, c'est tout ce qui est couvert par un bikini, explique Col‐ leen Norris.

Selon elle, les recherches qui touchent les organes ty‐ piquement féminins sont sur la bonne voie, mais pour tout ce qui concerne le coeur, le foie, les poumons ou les reins, nous n'avons pas de données probantes, car les femmes n'ont pas été in‐ cluses dans les essais cli‐ niques.

C’est pourquoi Colleen Norris milite pour que des essais cliniques en cardiolo‐ gie soient effectués unique‐ ment sur des femmes.

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