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Le recours à l’aide médicale à mourir continue d’augmenter au Québec

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Le recours à l’aide médicale à mourir a augmenté de 17 % au Québec en 2023, selon des informatio­ns obtenues auprès de la Commission sur les soins de fin de vie par Radio-Canada.

Selon des données gou‐ vernementa­les dévoilées sa‐ medi à l’émission Les faits d’abord, diffusée sur ICI Pre‐ mière, 5686 personnes ont obtenu l’aide médicale à mourir au Québec entre le 1er janvier et le 31 décembre 2023. Cela représente 7,3 % des décès enregistré­s dans la province au cours de cette période.

Cette hausse est moins importante que celles obser‐ vées les années précédente­s.

Depuis l'entrée en vigueur de la Loi concernant les soins en fin de vie, en 2015, l'aug‐ mentation était plutôt de l'ordre de 40 à 45 % chaque année.

Pour le Dr David Lussier, gériatre à l'Institut universi‐ taire de gériatrie de Mon‐ tréal, ce chiffre pourrait indi‐ quer que les demandes d'aide médicale à mourir commencent à se stabiliser.

Un avis partagé par la di‐ rection de la Commission sur les soins de fin de vie, pour laquelle cette décélérati­on est significat­ive. Pour la pre‐ mière fois, on s’approche d’un plateau, fait observer son président, Michel Bu‐ reau.

Le Québec affiche cepen‐ dant un pourcentag­e de re‐ cours à l'aide médicale à mourir supérieur aux autres pays où elle est également lé‐ gale, comme la Belgique ou les Pays-Bas. Là-bas, ils sont plutôt autour d'un taux de 5 %, indique le Dr Lussier.

Il fait aussi remarquer que le recours à cette interven‐ tion est en hausse dans tous ces pays. Nous n'avons pas d’explicatio­n sociologiq­ue, à part le vieillisse­ment de la population, poursuit-il.

À écouter :

Alain Gravel s'entretient avec le Dr David Lussier, gé‐ riatre à l'Institut universita­ire de gériatrie de Montréal, à l'émission Les faits d'abord.

Une recherche sur les causes de cette augmenta‐ tion

La ministre québécoise responsabl­e des Aînés et mi‐ nistre déléguée à la Santé, Sonia Bélanger, a octroyé un financemen­t pour soutenir la recherche sur les facteurs pouvant expliquer l’augmen‐ tation constante du recours à l’aide médicale à mourir au Québec.

Il y a 10 ans, au moment de l’adoption de la nouvelle loi, le Québec s’attendait en effet à ce qu’une centaine de personnes environ ob‐ tiennent l’aide médicale à mourir chaque année. Com‐ ment la province s’est-elle re‐ trouvée avec un tel nombre?

Au départ, nous pensions aux personnes qui souffrent physiqueme­nt, et comme on arrive à soulager 90 % d’entre elles avec les soins palliatifs, on a fait cette estimation, dé‐ taille le Dr Lussier.

On avait moins anticipé les gens qui ont une souf‐ france psychologi­que, ceux qui se demandent pourquoi continuer à vivre quelques mois de plus en ayant une qualité de vie qui va en se dé‐ gradant.

Le Dr David Lussier, gé‐ riatre à l'Institut universita­ire de gériatrie de Montréal

Il insiste cependant sur le fait que l’aide médicale à mourir reste un recours des‐ tiné à des situations excep‐ tionnelles de souffrance­s qui ne peuvent pas être soula‐ gées. Il réfute l’idée d'une ba‐ nalisation de cette interven‐ tion.

On ne meurt pas plus parce que l’aide médicale à mourir est disponible. La grande majorité, ce sont des cancers, ce sont des per‐ sonnes qui vont mourir, ex‐ plique-t-il.

Le recours à l'aide médi‐ cale à mourir ne concerne d'ailleurs qu'une petite pro‐ portion des malades atteints d'un cancer incurable. Comme le précise Michel Bu‐ reau, sur 100 personnes dans cette situation, 90 % re‐ çoivent des soins palliatifs qu'ils considèren­t satisfai‐ sants.

Il n’y a pas que l’aide mé‐ dicale à mourir pour mourir dans la dignité. Il faut y pen‐ ser.

Michel Bureau, président de la Commission sur les soins de fin de vie

Un changement de men‐ talité

Le groupe de recherche mandaté par la ministre Bé‐ langer devra néanmoins ré‐ pondre à la crainte que cer‐ taines personnes demandent l’aide médicale à mourir par défaut, à cause de problèmes dans les soins de santé, de la difficulté à obtenir des soins palliatifs ou par peur de se retrouver dans un centre d'hébergemen­t et de soins de longue durée (CHSLD).

Comme gériatre, la peur d’être en CHLSD, je l'entends beaucoup et donc ça m'inter‐ pelle. C’est triste, mais je ne le vois pas comme un échec. Ce que les gens ne veulent pas, c’est être dans cet état de dépendance et de perte d’autonomie sévère, analyse le Dr Lussier.

Pour lui, les chiffres montrent surtout un change‐ ment complet de mentalité par rapport à la mort et, donc, par rapport à la vie également. Si je peux être as‐ suré de pouvoir choisir l’aide médicale à mourir si la vie devient trop pénible, cela me permettra de mieux vivre jusque-là, avec moins d’in‐ quiétude et d’appréhensi­on, poursuit le gériatre.

La mort avec souffrance ne fait plus partie du choix des Québécois. Ils veulent contrôler leur vie et leur mort de façon étonnante. C’est l'autodéterm­ination. On choi‐ sit les soins qu’on veut avoir, quand on y a accès, abonde Michel Bureau.

Pour le Dr Georges L’Espé‐ rance, neurochiru­rgien et prestatair­e d’aide médicale à mourir, cette évolution est le signe que les Québécois ac‐ quièrent progressiv­ement de la maturité devant leur choix de fin de vie et que les pres‐ tataires de soins s’inves‐ tissent davantage.

Le dernier rapport d'acti‐ vités de la Commission sur la fin de vie indique que 1633 médecins ont participé à l’aide médicale à mourir en 2022/2023, un chiffre en aug‐ mentation. C’est une très bonne chose, se réjouit celui qui préside également l’Asso‐ ciation québécoise pour le droit de mourir dans la di‐ gnité.

Des débats à venir

Le Dr L’Éspérance rappelle que l'admissibil­ité à l’aide médicale à mourir s’est éten‐ due après un jugement de la Cour supérieure du Québec, en 2019, qui a estimé son ac‐ cès trop restrictif.

Après cela, nous avons eu davantage de patients avec des pathologie­s chroniques qui amènent une détériora‐ tion progressiv­e de leur état, comme la maladie d'Alzhei‐ mer, raconte le médecin.

Le prochain débat impor‐ tant, selon lui, va concerner la possibilit­é d’introduire une demande anticipée, notam‐ ment pour les malades at‐ teints de pathologie­s neuro‐ dégénérati­ves. Au Québec, la loi a été adoptée, mais elle n’est pas encore en vigueur car elle nécessite de modifier le Code criminel, précise-t-il.

Si les obstacles sont levés, il pourrait y avoir une nou‐ velle augmentati­on des de‐

mandes d’aide médicale à mourir, anticipe le Dr Lussier.

Ce qui ne veut pas dire que tout le monde l'obtiendra, prévient de son côté Michel Bureau.

D'autres débats se pro‐ filent à l'horizon, selon le Dr L'Éspérance : celui sur l'ad‐ missibilit­é des patients souf‐ frant de problèmes de santé mentale, un sujet que le gou‐ vernement Trudeau a re‐ porté à 2027, et celui sur la possibilit­é d'inclure les mi‐ neurs de 12 à 18 ans atteints de pathologie­s graves.

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