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Crise en Haïti : l’ambassadeu­r canadien fait état de ses préoccupat­ions

- Rosanna Tiranti

La capitale haïtienne, Portau-Prince, est à feu et à sang, les gangs qui s’op‐ posent au président Ariel Henry y occupent plusieurs quartiers, et la violence emporte des milliers de ci‐ vils. Le port est bloqué, les vols au départ de la capi‐ tale sont annulés, et le sys‐ tème de santé est au bord du gouffre, selon l’ONU.

Dans ce contexte critique, l’équipe de l'émission Les coulisses du pouvoir s’est en‐ tretenue avec André François Giroux, ambassadeu­r du Ca‐ nada en Haïti.

Les coulisses du pouvoir : Quelle est la situation sur le terrain à Port-au-Prince au moment où l’on se parle? André François Giroux

: Cela fait plusieurs années qu'Haïti vit une crise sécuri‐ taire, humanitair­e et poli‐ tique. Mais il y a eu particu‐ lièrement beaucoup d'insé‐ curité ces derniers jours.

La grande nouveauté, c'est que les gangs travaillen­t ensemble et visent certaines des infrastruc­tures névral‐ giques de la ville, dont le port, l'aéroport et certains des commissari­ats.

Cette insécurité crée beaucoup d'inconnu. Dans les circonstan­ces, le gouver‐ nement a mis en place un couvre-feu. De notre côté, on évite les déplacemen­ts in‐ utiles, d'où la nécessité pour nous de travailler de la mai‐ son.

Je vous dirais qu'aujour‐ d'hui, au moment où on se parle, la plus grande source d'insécurité est l'incertitud­e : qu'est-ce qui va se passer avec la situation politique?

André François Giroux, ambassadeu­r du Canada en Haïti

Comment les Haïtiens vivent-ils ce conflit?

Il faut dire les choses telles qu'elles sont : 40 à 50 % de la population est en situa‐ tion d'insécurité alimentair­e. Il y a plusieurs personnes qui sont déplacées par l'activité des gangs. C'est très préoccu‐ pant.

Ariel Henry fait-il encore partie d'un scénario de sor‐ tie de crise, d'après vous?

Cela fait plusieurs mois que Justin Trudeau [premier ministre du Canada] et Méla‐ nie Joly [ministre canadienne des Affaires étrangères] passent des messages très clairs et très francs à M. Henry sur la nécessité d'ou‐ vrir le dialogue, de partager le pouvoir. Il a fait des efforts raisonnabl­es, mais malheu‐ reusement, beaucoup des partis qui sont à la table considèren­t que M. Henry n’en a pas fait assez pour avancer.

La position du Canada est très claire : nous allons ap‐ puyer une solution haïtienne, pour les Haïtiens, qui va me‐ ner à une feuille de route très claire vers des élections.

Est-il possible un coup d'État? d'éviter

Le dialogue maintenant est un peu revigoré par cette menace d'un coup d'État. [Plusieurs] forces vives tra‐ vaillent très fort en ce mo‐ ment [pour trouver une solu‐ tion] avec l'aide de la CARI‐ COM [Communauté des Ca‐ raïbes], que le Canada a beaucoup appuyée.

Ce processus continue. Il a eu ses ratés, mais je peux vous dire que les gens de la CARICOM sont complète‐ ment engagés en ce mo‐ ment. Nous espérons de bonnes nouvelles dans les jours à venir. Je suis opti‐

miste.

Qui sont ces forces vives qui risquent d'être à la tête du pays au cours des pro‐ chains jours et des pro‐ chaines semaines?

Ce sont les principaux partis politiques qui ont constitué le pouvoir dans le passé qui sont autour de la table.

À ceux-ci s'ajoutent des représenta­nts de la société civile, des représenta­nts du monde des affaires, des re‐ présentant­s de l'Église.

Ce n'est pas un mariage naturel. Vous pouvez com‐ prendre que ce sont des gens qui, lorsque les élections se‐ ront déclenchée­s, vont parti‐ ciper aux élections les uns contre les autres.

Évidemment, il y a cer‐ taines complexité­s à s'en‐ tendre, mais pour le bien du pays, pour le bien de la po‐ pulation qui souffre, c'est né‐ cessaire de faire cet effort, et je pense que les choses bougent dans la bonne direc‐ tion.

On a beaucoup parlé de l’envoi d’une mission de stabilisat­ion policière du Kenya par l’ONU. À quel moment doit-on s’y at‐ tendre et quelle différence peut-elle faire?

Cela fait partie d'une solu‐ tion à long terme pour per‐ mettre à la police nationale haïtienne de reprendre son souffle, de respirer un peu, de leur donner un peu de ré‐ pit, d'où l'importance de cette mission.

Nous appuyons la venue de cette mission qui va tra‐ vailler avec la police natio‐ nale pour lui donner une chance de reprendre le contrôle et ensuite de se dé‐ velopper davantage.

De plus, le régime des sanctions du Canada envoie un message très fort à ceux qui, derrière la scène, ali‐ mentent l'insécurité.

Les gens savent très bien maintenant qu'ils doivent changer leurs comporte‐ ments et que certains de ces comporteme­nts-là ne sont plus possibles. Pour ce qui est de la force multinatio‐ nale, le plus tôt possible sera le mieux. On espère que dans les semaines à venir, les premiers contingent­s seront en mesure d'arriver.

Combien reste-t-il de di‐ plomates canadiens en Haïti? Vous y sentez-vous en sécurité?

Je peux vous garantir que je n’ai pas beaucoup de pré‐ occupation­s pour la sécurité physique de mes effectifs. Nous sommes bien logés. Nous sommes prêts et pré‐ parés pour ce genre de situa‐ tion. Nous avons l'appui de notre centrale à Ottawa.

Le fait que des vols soient annulés en ce moment crée beaucoup d'incertitud­e. Mais somme toute, le moral est bon, le travail continue, et on espère de bonnes nouvelles dans les jours à venir.

André François Giroux, ambassadeu­r du Canada en Haïti

Qu’adviendrai­t-il si vous deviez quitter rapidement le pays?

Pour le moment, ce n’est pas une option, parce que notre porte de sortie est es‐ sentiellem­ent l'aéroport, où il n’y a pas de vols commer‐ ciaux.

On n'est pas en position de dire qu'une évacuation est nécessaire. On est aux aguets, on observe, on ana‐ lyse, on évalue. Pour le mo‐ ment, c'est encore gérable.

On souhaite la reprise des vols commerciau­x, c'est sûr que cela va enlever beau‐ coup d'incertitud­e.

Est-ce que la situation pourrait aller plus loin en‐ core, d'après vous?

Nous nous sommes tou‐ jours attendus à une situa‐ tion sécuritair­e plus volatile avec la venue imminente de la mission en appui à la sécu‐ rité. La mission multinatio‐ nale kényane viendra gérer l'insécurité, alors que les gangs souhaitera­ient proba‐ blement consolider leur terri‐ toire et s'assurer qu'ils sont en bonne position.

Évidemment, cette mis‐ sion vient pour essayer de contrôler leurs activités. Je m'attends à ce que l’on soit dans une situation un peu in‐ certaine pour les semaines à venir jusqu'à la venue de la mission.

Comme on dit ici en Haïti : On tient. Ce n’est pas une si‐ tuation idéale, mais la vie continue, et les gens sont prêts à faire face à la situa‐ tion. Alors, l'ambassade, les Canadiens et les Haïtiens, on tient.

Les propos de cette entre‐ vue ont été adaptés à des fins de concision et de clarté.

Cet épisode des Coulisses du pouvoir sera diffusé di‐ manche à 11 h sur ICI RDI et sur ICI Télé.

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