11 milliards de déficit au Québec, un écran de fumée?
Personne ne s’attendait à un déficit aussi élevé à Québec. À 11 milliards de dollars, jamais, dans l’his‐ toire, un gouvernement n’a présenté un niveau de défi‐ cit aussi élevé en valeur ab‐ solue. Par rapport à la taille de l’économie, c’est loin d’être le déficit le plus important, à 1,9 % du PIB. Mais ce déficit-choc a-t-il pour objectif d’assombrir au maximum le portrait ac‐ tuel afin de convaincre la population de la nécessité d’un grand ménage dans l’appareil public?
La réalité, comme le disait le premier ministre Legault en point de presse, mercredi midi, c’est que le déficit lié aux activités de l’État est de 8,8 milliards de dollars. C’est le déficit avant le versement au Fonds des générations, qui est de 2,2 milliards.
Le gouvernement Legault a aussi choisi d’inclure dans son calcul une provision pour éventualités de 1,5 milliard de dollars. C’est de la grande prudence, mais en laissant tomber cette provision finan‐ cière, le vrai déficit est de 7,3 milliards. Déjà, le solde bud‐ gétaire paraît moins grand.
Le ministre des Finances, Eric Girard, affirme que le gouvernement sera aux prises avec un déficit structu‐ rel de 4 milliards de dollars à compter de 2026. Une fois de plus, avant le versement au Fonds des générations, le dé‐ ficit, à partir de 2026-2027, se situe entre 1 et 2 milliards. Et si on exclut la provision pour éventualités, on est à l’équi‐ libre budgétaire.
Toutefois, le gouverne‐ ment ajoute une ligne dans le budget qui ne plaît généra‐ lement pas beaucoup aux économistes et aux agences de crédit : écart à résorber. On pourrait nommer cette ligne-là « pelletage par en avant ». En 2025-2026, il faut trouver 800 millions de dol‐ lars. L’année suivante, c’est 1,5 milliard. Et l’écart à résor‐ ber sera de 2 milliards en 2028-2029.
J’espère que vous suivez toujours! Le budget du Qué‐ bec, depuis un certain nombre d’années, est de moins en moins facile à com‐ prendre. Le solde budgétaire à Québec, ce n’est plus sim‐ plement la différence entre les revenus et les dépenses. S’ajoute le Fonds des généra‐ tions, qui fait en sorte qu’un gouvernement à l’équilibre budgétaire se trouve légale‐ ment en déficit parce qu’il doit injecter de l’argent dans le Fonds.
S’ajoutent aussi une provi‐ sion pour éventualités et, au‐ jourd’hui, un écart à résor‐ ber, sans compter toutes les autres petites cachettes qu’aime bien le ministère des Finances en exagérant cer‐ taines dépenses qui ne vont pas se réaliser ou en bou‐ geant le curseur de la prévi‐ sion sur le PIB, ne serait-ce que d’un dixième de point, ce qui permet d’ajouter ou de retrancher des centaines de millions de dollars dans le cadre financier.
Ajoutons que le déficit de 11 milliards de dollars équi‐ vaut à 1,9 % du PIB. Avant le versement au Fonds des gé‐ nérations, à 8,8 milliards, c’est 1,5 % du PIB.
Relativement à la taille de l’économie, le Québec a connu plusieurs budgets lar‐ gement plus déficitaires dans les années 1970, 1980 et 1990. En 1980-1981, par exemple, le déficit s’est élevé à 3,5 milliards de dollars, soit 4,7 % du PIB. Aujourd’hui, un déficit de 4,7 % du PIB dépas‐ serait 27 milliards, selon l’économiste Pierre Fortin.
Des défis structurels
Une fois qu’on a dit tout ça, le Québec fait face, à n’en pas douter, à des défis struc‐ turels qui font déjà pression sur ses finances publiques. Dans son budget de mardi, le ministre Girard rappelait qu’en 1971, le taux du nombre de personnes âgées de 75 ans et plus était de 2,3 %. En 2022, on était à 9,1 %. Et en 2041, nous serons à 15,8 %. Ce vieillissement de la population a des consé‐ quences majeures sur les fi‐ nances publiques.
Avec les besoins urgents en éducation, dans le trans‐ port collectif, sur la question climatique, sans compter, bien sûr, le mammouth bud‐ gétaire du système de santé et des services sociaux, l’État est clairement sous pression. Des dépenses structurelles supplémentaires vont s’ajou‐ ter à l'avenir. Il est loin d’être clair que les revenus seront au rendez-vous pour per‐ mettre au gouvernement d’équilibrer le budget, sur‐ tout si on baisse les impôts comme le ministre Girard a choisi de le faire.
De plus, avec les faibles investissements annoncés en innovation et en productivité, ainsi que dans le développe‐ ment économique régional, notamment sur la mobilité entre les régions, le gouver‐ nement du Québec ne contri‐ bue pas suffisamment à mettre en place les condi‐ tions qui vont permettre d’améliorer fondamentale‐ ment le potentiel de crois‐ sance du PIB, ce qui entraîne‐ rait des revenus d’impôt sup‐ plémentaires pour l’État.
J’ai croisé le PDG de la Chambre de commerce et d’industrie de Québec, Steeve Lavoie, à l’Assemblée nationale, le jour du budget. Il me disait que l’enjeu princi‐ pal actuel pour l’économie de la Capitale-Nationale, c’est l’incertitude sur les projets de mobilité. Environ 2 milliards de dollars d’investissements sont en attente en marge du projet de tramway à Québec et ne peuvent aller de l’avant tant qu’une décision ne sera pas prise à propos de ce pro‐ jet.
Optimisation, le motclé!
Les défis structurels sont réels, tout comme le déficit structurel. Mais se peut-il qu’annoncer un déficit-sur‐ prise totalisant 11 milliards de dollars après les provi‐ sions et les versements cache un autre objectif : celui de couper dans l’appareil de l’État?
Le premier ministre Le‐ gault a dit en point de presse que l’objectif de l’examen des dépenses qui s’amorcera dans les prochaines se‐ maines est de réduire la bu‐ reaucratie sans toucher aux services à la population. Mais qu’est-ce que cela veut dire exactement?
François Legault a parlé de 15 000 personnes qui prennent leur retraite an‐ nuellement dans l’adminis‐ tration publique. On pourrait donc procéder par attrition, a-t-il précisé, une façon de faire généralement mieux ac‐ ceptée.
Est-ce à dire que le travail de ces gens ne sert à rien ac‐ tuellement, puisqu’on n’au‐ rait pas besoin de les rempla‐ cer? Est-ce à dire qu’on va de‐ mander aux travailleurs qui restent d’en faire plus? La dis‐ cussion publique qui va s’amorcer sur ce sujet ne sera pas discrète et harmo‐ nieuse. Les syndicats vont clairement monter aux barri‐ cades et le gouvernement Le‐ gault va chercher, comme il le fait souvent, à avoir l’opi‐ nion publique de son côté.
Pour atteindre cet objec‐ tif, celui de gagner l’adhésion de la population, le gouver‐ nement a intérêt à dresser un tableau budgétaire sombre et inquiétant. À 11 milliards de dollars, un déficit plus grand que celui de l’an‐ née pandémique 2020-2021, on ne pouvait franchement pas faire mieux. Ça frappe fort!