L’art sous l’oeil des préoccupations climatiques des jeunes inuit du Nunavik
Le Musée national des beaux-arts de Québec (MN‐ BAQ) accueille jusqu’au 2 juin une exposition réalisée en partenariat avec des jeunes inuit du Grand Nord québécois. Baptisée
Tarra‐ tuutiq|Taima, réflexions artistiques et climatiques au Nunavik, la proposition
reflète les enjeux environ‐ nementaux auxquels sont déjà confrontées les popu‐ lations nordiques.
Les visiteurs du MNBAQ ne peuvent visuellement pas la manquer. Il suffit de lever la tête puisque l’exposition en forme d’installation mo‐ numentale est installée dans les airs - quasiment en sus‐ pension - à l’entrée du grand hall du pavillon Pierre Las‐ sonde.
Les 10 créations réunies sous forme d’épreuves nu‐ mériques sont le fruit d’une formidable aventure entre les jeunes inuit du Nunavik et le musée de la capitale natio‐ nale, lance tout sourire en entrevue Sophie Lessard-La‐ tendresse, responsable de la médiation art et mieux-être au MNBAQ et une des deux initiatrices de l’exposition.
Le nom même de l’expo illustre bien les intentions. Tarratuutiq signifie miroir en langue inuktitut. Le terme re‐ présente le travail de réin‐ vention des oeuvres mu‐ séales, note Mme Lessard-La‐ tendresse. Tandis que Taima signifie "c’est assez!", comme un cri du coeur des commu‐ nautés inuit quant au boule‐ versement climatique et les terribles conséquences sur leur vie.
Tout commence par l’idée d’entrer en contact avec les communautés nordiques afin de faire rayonner les collec‐ tions du MNBAQ à travers un projet artistique commun. Mais on n’avait au départ au‐ cune idée précise du projet, car on ne voulait pas imposer quoique ce soit. On souhai‐ tait au contraire que les idées émergent des habitants de la région.
Pour mettre à bien cette initiative entamée en 2022, elle a travaillé en collabora‐ tion étroite avec Justine Bou‐ langer, chargée de contenu éducatif numérique. En‐ semble, elles décident de contacter les organisations communautaires du terri‐ toire, dont la commission scolaire Kativik, qui est char‐ gée des services éducatifs dans les 14 communautés in‐ uit du Nunavik.
La commission a rapide‐ ment montré son intérêt et grâce à plusieurs relais, on a finalement pu trouver les personnes avec qui on allait réaliser le projet, explique Justine Boulanger. Il s’agit des jeunes de l’école Iguarsivik de Puvirnituq, le tout piloté par l’enseignante Nathalie Claude qui a intégré sur place l’acti‐ vité dans le cursus scolaire des élèves.
Réinventer les oeuvres du musée
Ainsi les oeuvres issues des collections du musée comme celle des artistes Ma‐ rie-Fauve Bélanger, René De‐ rouin, Raphaëlle de Groot ou de Chih-Chien Wang ont été réinterprétées par les jeunes inuit de l’école. La qualité des propositions a d’ailleurs per‐ mis la tenue de cette exposi‐ tion présentée au MNBAQ jusqu’au 2 juin.
Trois thèmes ont surgi de la part des 25 participants du primaire et du secondaire, explique la chargée de contenu éducatif numérique. Il y a l’importance de la com‐ munauté, la richesse du terri‐ toire et l’opposition entre modernité et tradition.
Mais tout au long du pro‐ cessus de création, de sep‐ tembre 2022 à mars 2023, le changement climatique est devenu un sujet majeur chez les jeunes inuit. C’est une préoccupation qu’ils ont tout de suite exprimée. Les oeuvres mettent en lumière leurs inquiétudes quant aux questions environnemen‐ tales, ajoute Sophie LessardLatendresse.
Les Inuit subissent les ré‐ percussions du changement climatique qui bouleverse dangereusement leur mode de vie, telle la fonte des glaces qui fragilise les mai‐ sons ou les périodes de chasse et de pêche qui rac‐ courcissent.
Justine Boulanger, char‐ gée de contenu éducatif nu‐ mérique au MNBAQ
Les dépotoirs à ciel ou‐ vert
Les créations qui mettent en parallèle celles des collec‐ tions du musée et celles conçues par les jeunes de l’école Iguarsivik ont été en‐ suite imprimées sur de grandes bannières pour être exposées en avril dernier sur les murs des édifices publics de Puvirnituq avant d’être installées à l’intérieur des murs du musée à Québec.
Ce projet a permis à son échelle d’imaginer un véri‐ table dialogue entre le Nord et le Sud. Les Inuit sont un peuple de peu de mots, mais ils utilisent l’art depuis des siècles comme moyen d’ex‐ pression, souligne Mme Les‐ sard-Latendresse.
Parmi les propositions ar‐ tistiques, soulignons l’impres‐ sionnante composition qui met en lumière une oeuvre de Barbara Steinman (Shards: Compact Disc No 3) montrant des éclats de disques brisés en mille mor‐ ceaux.
L’élève Annie-Marie Tuka‐ lak Morin s’en est inspirée pour imaginer à son tour Shards : Snowmobiles, Drone, le titre d'une photo‐ graphie en prise de vue d’une partie du dépotoir à ciel ou‐ vert de Puvirnituq, où s’en‐ tassent des centaines de car‐ casses de motoneiges. Elle révèle un territoire nordique immense ravagé par la pollu‐ tion, précise Mme Boulanger.
Le territoire souillé par les dépôts d’ordures que l’on re‐ trouve à proximité des 14 vil‐ lages du Nunavik est l’objet d’une vidéo nommée ironi‐ quement The Beach et qui fait partie de l’exposition. Sous la forme d’un plan sé‐ quence, les images captées par un drone en 2023, montre un dépotoir qui dé‐ verse ses métaux lourds dans la nature empoisonnant l’eau et la végétation.
Mme Lessard-Latendresse souligne que le mécanisme créatif de l’expo permet aux jeunes de s’exprimer sur des enjeux qui les touchent direc‐ tement.
Ils sont habités par les mêmes désirs et angoisses que les jeunes du Sud et l’art devient un outil d’engage‐ ment. L’exposition peut aussi se voir comme une sorte de tribune pour réfléchir collec‐ tivement sur des défis so‐ ciaux et environnementaux, conclut-elle.
Une tournée de l’expo dans le Grand Nord québé‐ cois est également prévue dès ce printemps avec des arrêts à Ivujivik et Kangiqsua‐ lujjuaq.