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Rencontre Legault-Trudeau : quel sera le plan B de la CAQ?

- Hugo Lavallée

La décision de la Cour d’ap‐ pel dans le dossier de la laï‐ cité a offert à la Coalition avenir Québec (CAQ) une victoire comme elle n’en avait pas eu depuis long‐ temps. Les trois juges du plus haut tribunal du Qué‐ bec ont reconnu que le gouverneme­nt avait fait un usage valide de la disposi‐ tion de dérogation, qui per‐ met de soustraire une loi à l’applicatio­n de la Charte canadienne des droits et li‐ bertés.

Face à la montée du Parti québécois (PQ), François Le‐ gault répète que le Québec peut s’affirmer davantage et obtenir plus de pouvoir à l’in‐ térieur du Canada. Le pre‐ mier ministre cite souvent les deux mêmes exemples, soit l’adoption de la loi 21 sur la laïcité et l’adoption de la loi 96 sur la langue française.

Il s’agit dans les deux cas de gestes unilatérau­x du Québec, pour lesquels le gouverneme­nt Legault n’a pas eu à négocier quoi que ce soit avec le gouverneme­nt fédéral. Il fallait certes être prêt à assumer le recours à la controvers­ée dispositio­n de dérogation auprès des élec‐ teurs, mais le gouverneme­nt n’a pas eu de permission à demander.

Pour remplir l’ensemble des engagement­s que la CAQ a pris ces dernières années au chapitre du nationalis­me, Québec doit toutefois parve‐ nir à s’entendre avec Ottawa. Cela est particuliè­rement vrai en matière d’immigratio­n, thème central de la dernière campagne électorale, dont François Legault souhaite maintenant s’entretenir avec Justin Trudeau.

Or, jusqu’ici, obtenir quoi que ce soit du gouverneme­nt fédéral s’est avéré plutôt ardu. La ministre de l’Immi‐ gration, Christine Fréchette, s’est récemment targuée d’avoir convaincu son homo‐ logue Marc Miller d’imposer un visa aux ressortiss­ants mexicains, mais on peut se demander qui d’elle ou de l’administra­tion Biden a pesé le plus lourd dans la décision d’Ottawa.

Les demandes du Qué‐ bec, pour le reste, sont de‐ meurées essentiell­ement lettre morte, qu’on pense aux pouvoirs accrus que François Legault espérait obtenir en matière de regroupeme­nt fa‐ milial ou d’immigratio­n tem‐ poraire. Même le respect des seuils d’immigratio­n détermi‐ nés par le Québec - un acquis d’une trentaine d’années - a récemment paru compromis, Ottawa laissant savoir au gouverneme­nt québécois qu’il ne tolérerait plus que les délais en matière de regrou‐ pement familial s’étirent in‐ définiment.

On peut faire le même constat à l’égard de nom‐ breuses autres promesses, que l’on pense aux pouvoirs que la CAQ se faisait fort de rapatrier en matière de culture ou du rapport d’im‐ pôt unique. Les choses se‐ raient peut-être différente­s sous un gouverneme­nt conservate­ur, mais contraire‐ ment à ses prédécesse­urs, Pierre Poilievre n’a offert jus‐ qu’ici aucune garantie.

Peu d’ouverture à Ot‐ tawa

En 2017, le gouverneme­nt libéral de Philippe Couillard avait affirmé sa vision du fé‐ déralisme canadien en pu‐ bliant une nouvelle politique constituti­onnelle. Intitulé Québécois, c’est notre façon d’être Canadiens, le docu‐ ment évoquait comme projet à long terme l’idée que le Québec réintègre la Constitu‐ tion canadienne, mais il n’avait fallu que quelques heures pour que Justin Tru‐ deau ferme la porte définiti‐ vement à tout projet de ré‐ forme constituti­onnelle.

Le premier ministre cana‐ dien n’a pas témoigné beau‐ coup plus d’intérêt à l’égard des propositio­ns de la CAQ. S’il répète souvent qu’il est prêt à avoir des conversa‐ tions et à travailler en colla‐ boration avec son homo‐ logue québécois, les résultats plus structurel­s se font tou‐ jours attendre.

Il y a bien sûr eu quelques victoires, comme l’entente in‐ tervenue entre Jean-François Roberge et Ginette Petitpas Taylor, au sujet de la Loi sur les langues officielle­s. À bien des égards par contre, les premiers ministres canadien et québécois ne partagent tout simplement pas la même vision. Cela est vrai de la question de la laïcité comme de celle de l’immigra‐ tion, mais aussi - plus fonda‐ mentalemen­t - de la défini‐ tion du fédéralism­e lui-même et de la dynamique qui de‐ vrait prévaloir entre les pro‐ vinces et le gouverneme­nt fé‐ déral. Justin Trudeau n’a ja‐ mais caché son intérêt à in‐ tervenir dans le champ des politiques sociales, au grand dam de Québec.

Or, non seulement les deux premiers ministres ne voient-ils pas les choses du même oeil, mais Justin Tru‐ deau n’a pas nécessaire­ment grand-chose à gagner, sur le plan politique, à donner à son homologue québécois ce que ce dernier souhaite obte‐ nir. Après tout, le Parti libéral du Canada a obtenu au Qué‐ bec plus de votes et plus de sièges que tout autre parti lors des trois dernières élec‐ tions fédérales, et ce, sans avoir à faire de promesses particuliè­res aux Québécois.

Quelle stratégie adop‐ ter?

Face au refus d’Ottawa de donner suite aux demandes du Québec, Paul St-Pierre Plamondon presse le gouver‐ nement de la CAQ de forcer le jeu, en organisant par exemple un référendum sur l’immigratio­n. Le Parti québé‐ cois aurait tout à gagner d’un nouvel affronteme­nt Qué‐ bec-Canada, mais François Legault a bien saisi la ma‐ noeuvre et il n’a certaineme­nt pas l’intention de donner de munitions à son adversaire.

N’empêche que la CAQ aurait bien besoin d’une vic‐ toire, ne serait-ce que pour clouer le bec à ses rivaux. Outre le PQ, le Parti libéral et Québec solidaire ont aussi été prompts à montrer les faiblesses de la stratégie gou‐ vernementa­le ces derniers temps. Face à la tournure des événements, des ca‐ quistes murmurent en cou‐ lisses que leur gouverneme­nt devrait surtout compter sur lui-même pour faire avancer son projet nationalis­te. Cela signifie, pour eux, de privilé‐ gier des actions unilatéral­es, à l’image de l’adoption des lois 21 et 96, plutôt que de miser sur d’hypothétiq­ues ententes avec le gouverne‐ ment fédéral.

Il y a des options qui se présentent, on est déjà en train de les évaluer, a ré‐ pondu hier François Legault à Paul St-Pierre Plamondon, qui lui demandait ce qu’il comptait faire, advenant un refus d’Ottawa dans le dos‐ sier de l’immigratio­n. Le gou‐ vernement n’a pas encore perdu espoir, mais il prépare visiblemen­t son plan B.

Il est vrai que le temps presse. La CAQ sera bientôt à mi-parcours de son second mandat et les sondages défa‐ vorables continuent de s’ac‐ cumuler. Ayant sollicité la rencontre avec son homo‐ logue fédéral, François Le‐ gault espère convaincre Jus‐ tin Trudeau du bien-fondé de ses demandes, mais le pre‐ mier ministre québécois au‐ rait peut-être intérêt à ne pas trop en demander.

Déjà que les gestes d’affir‐ mation unilatéral­e irritent passableme­nt le gouverne‐

ment fédéral, comme le dé‐ montre la volonté d’Ottawa de participer à la contesta‐ tion de la loi 21 devant la

Cour suprême. Tout bien considéré, convaincre Justin Trudeau de ne pas s’opposer aux décisions québécoise­s serait déjà une avancée pour la CAQ.

Dans la foulée de la pré‐ sentation du budget plus tôt cette semaine, le premier mi‐ nistre québécois a fait de la santé et de l’éducation ses priorités, mais parier sa ré‐ élection sur le sort de deux réseaux qui n’ont pas dé‐ montré jusqu’ici une grande propension à la transforma‐ tion et à l’améliorati­on appa‐ raît audacieux. Miser sur l’identité pourrait s’avérer po‐ litiquemen­t plus payant, mais encore faut-il avoir des résul‐ tats à faire valoir.

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