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Dur moment pour les paniers de légumes biologique­s

- Karine Mateu

« Ça fait deux ans qu'on commence notre saison avec de l'endettemen­t. Là, cette année, nous sommes au bout de notre capacité d'endettemen­t », affirme Anne Roussel, la coproprié‐ taire de la Ferme Cadet Roussel située à MontSaint-Grégoire en Montéré‐ gie.

C'est au mois de février et mars que les clients doivent prendre leur abonnement pour recevoir leurs paniers de légumes biologique­s pen‐ dant l'été. La ferme Cadet Roussel, elle, offre 500 pa‐ niers par semaine toute l'an‐ née, en temps normal.

Les abonnement­s per‐ mettent aux producteur­s de commencer la saison avec un montant d'argent en poche, mais ce n'est plus le cas pour la pionnière du panier biolo‐ gique depuis la fin de la pan‐ démie.

Si les difficulté­s rencon‐ trées par Cadet Roussel at‐ tirent l'attention, c'est qu'elle est l'une des premières fermes à avoir lancé le mo‐ dèle du panier biologique.

C'est un vrai cri d'alerte et je ne suis pas la première à le dire. Il y a beaucoup de fer‐ miers qui sont au bout du rouleau.

Anne Roussel, coproprié‐ taire de la ferme Cadet Rous‐ sel

Il y a eu des conditions météo difficiles ces deux der‐ nières années. Le nombre de fermes diminue. Les fermiers trouvent un emploi à l'exté‐ rieur. D'ailleurs, c'est ce qu'on nous a conseillé de faire par la Financière agri‐ cole : trouver un emploi à l'extérieur pour faire rouler notre ferme, raconte-t-elle.

Pour se sortir la tête de l’eau, cette année, la ferme tente un nouveau modèle, celui de la ferme communau‐ taire où les clients de‐ viennent partenaire­s. Il s'agit d'un modèle qui existe aux États-Unis et en Allemagne.

250 partenaire­s ont em‐ barqué dans ce projet jusqu'à présent, ce qui représente 70 % de l'objectif financier. Il faut, écrit l'entreprise, 625 000 dollars pour approvisio­n‐ ner environ 300 foyers en lé‐ gumes pendant un an.

Le problème est que la date butoir est aujourd'hui, ce vendredi. La décision de lancer ou non la saison sera prise cette fin de semaine, assure la copropriét­aire.

L'inflation, la météo et la concurrenc­e

D'autres fermes, comme Mon panier bio, située à Saint-Félix-de-Valois, ont aussi constaté une baisse de l'engouement pour les pa‐ niers de légumes. Pendant la pandémie, sa petite ferme a offert 150 paniers, le triple de sa production régulière. Depuis 2 ans, ce chiffre a chuté à 50 paniers, raconte le propriétai­re Yan Beaudry.

Pour faire fonctionne­r sa ferme, il travaille seul, 70 heures par semaine, sans se verser de salaire. Sa fille s'ap‐ prête à venir travailler avec lui, mais il ne sait pas s'il par‐ viendra à augmenter ces re‐ venus.

Selon lui, plusieurs clients ont été déçus par l'offre de paniers bio pendant la pan‐ démie. En raison de l'offre soudaine, plusieurs produc‐ teurs s'y sont lancés sans avoir l'expérience. Il lance toutefois ce message : Es‐ sayez d'autres producteur­s. Si vous aimez choisir votre panier, c'est possible! Sur‐ tout, n'abandonnez pas tout de suite!

La directrice générale du Réseau des fermiers et fer‐ mières de famille, Émilie Viau-Drouin, évoque, pour sa part, le ralentisse­ment éco‐ nomique, les aléas de la mé‐ téo, la pénurie de maind’oeuvre et la concurrenc­e pour expliquer les difficulté­s rencontrée­s par certaines fermes.

Il y a de nouveaux joueurs qui se sont ajoutés. Des grandes chaînes d'épicerie où on retrouve tout ce qu'on peut imaginer dans un pa‐ nier et ils font des livraisons à domicile. Il y a aussi d'autres types d'entreprise­s qui ont émergé dans le pay‐ sage, explique-t-elle.

C'est sûr que lorsqu'il y a des entreprise­s qui viennent offrir un produit similaire, ça fait une compétitio­n qui est même déloyale, au sens où elle est trop grande. Ça peut mettre en péril certaines fermes, parce que ce type de livraisons là se font sur tout le territoire.

La directrice générale du Réseau des fermiers et fer‐ mières de famille, Émilie Viau-Drouin

On comprend bien qu'au‐ jourd'hui la vie est folle, que le rythme est effréné, pas juste pour cuisiner, mais aussi pour aller à l'épicerie ou aller chercher son panier, mais on aime rappeler que notre produit est unique. C'est celui d'aller à la ren‐ contre de ceux et celles qui produisent notre nourriture. De s'offrir un moment d'arrêt pour aller à leur rencontre, on pense que c'est magique, ajoute la directrice générale.

Les fermes Lufa quées criti‐

Émilie Viau-Drouin ne souhaite pas nommer d’en‐ treprises en particulie­r, mais les Fermes Lufa font partie de ces nouveaux joueurs qui ont pris de l'expansion et qui dérange.

À l'émission Tout peut ar‐ river, l'ancien maire de Hun‐ tingdon, Stéphane Gendron, qui vit aussi sur une ferme, a reproché à Lufa d'industrial­i‐ ser l’agricultur­e sur les toits de Montréal au détriment des petites municipali­tés.

Anne Roussel aussi juge assez surprenant de voir les légumes de Montréal arriver en campagne. Comment ça se fait que les gens de la ré‐ gion ne se disent pas : ''il est où mon fermier le plus proche? Je vais l'encourager! Je veux qu'il y ait des terres agricoles!"

Les Fermes Lufa pro‐ duisent des légumes grâce à des serres construite­s sur les toits de Montréal, mais aussi offrent aux clients toute une gamme de produits par le biais de leur plateforme en ligne. 32 000 familles achètent des paniers Lufa, af‐ firme le président-directeur général, Mohamed Hage, qui se défend de faire une concurrenc­e déloyale aux producteur­s locaux.

Notre compétitio­n princi‐ pale ce sont les bannières, les produits à l'extérieur du Québec, pas les producteur­s locaux. Au contraire, les pro‐ duits de Lufa ne représente­nt que 10 %, les 90 % restants, ce sont des produits d’autres producteur­s, dont une cen‐ taine sont des fermes biolo‐ giques.

Le PDG des Fermes Lufa, Mohamed Hage

La plateforme Lufa per‐ met de vendre directemen­t des produits locaux aux fa‐ milles sans que les produc‐ teurs n'aient à développer un réseau de distributi­on, ex‐ plique-t-il.

Par ailleurs, les temps sont difficiles aussi pour les Fermes Lufa. Depuis deux ans, les ventes ont ralenti et l'entreprise connaît des pertes financière­s, qui de‐ vraient se résorber en 2024, espère Mohamed Hage.

En 2020, l'entreprise avait signé pour la constructi­on d'une nouvelle serre sur un toit, d'un nouvel entrepôt et d'une ferme intérieure. Elle a réalisé ses projets malgré les baisses de revenus, mais elle n'en a pas d'autres en vue.

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