Trois questions pour comprendre pourquoi les États-Unis envisagent de bannir TikTok
Aux États-Unis, la Chambre des représentants a adopté mercredi un projet de loi qui prévoit l'interdiction de TikTok au pays si ce réseau social ne coupe pas ses liens avec sa maison mère, ByteDance, et plus large‐ ment avec la Chine. Pour quelles raisons cette appli‐ cation est-elle dans le colli‐ mateur des autorités amé‐ ricaines? 1. En quoi cette applica‐ tion représente-t-elle un risque pour les États-Unis?
Pour Steve Waterhouse, expert en cybersécurité et chargé de cours en sécurité de l'information à l'Université de Sherbrooke, le fait que le Parti communiste chinois (PCC) ait un accès facile au siège social de ByteDance - la maison mère de cette appli‐ cation, située à Pékin - repré‐ sente un risque pour les don‐ nées des Américains.
Il rappelle un événement survenu en 2022 au cours duquel des lanceurs d'alerte ont cité 80 enregistrements vocaux de réunions qui prou‐ vaient que le PCC avait accès à des informations sur des Américains à partir de la Chine, et ce, bien que ces in‐ formations aient pour la plu‐ part été hébergées aux ÉtatsUnis.
Notons ici que ByteDance a admis la même année qu'elle avait utilisé TikTok pour traquer des journalistes afin de connaître les sources à l'origine de fuites d'infor‐ mations dans les médias.
C'est d'abord une ques‐ tion de cybersécurité en rai‐ son de la captation de méta‐ données et de données de géolocalisation. Une fois que l’application est installée, elle demande d’avoir accès au microphone, à la caméra, à la banque de contacts et à d’autres informations dont même l’usager n’a pas connaissance, explique cet expert en sécurité en entre‐ vue à l'émission Zone écono‐ mie.
2. Quelle influence géo‐ politique TikTok peut-elle avoir?
L'influence potentielle de TikTok est immense pour la Chine. En ayant accès direc‐ tement au siège social de By‐ teDance, la Chine pourrait in‐ fluencer jusqu’à 150 millions d’utilisateurs en vue des élec‐ tions américaines en no‐ vembre prochain, croit Steve Waterhouse.
Il tient à rappeler que près de la moitié de la population américaine s'informe aujour‐ d'hui sur les réseaux sociaux plutôt que dans les médias traditionnels, ce qui fait cou‐ rir aux électeurs le risque d'être influencés lors de scru‐ tins.
Ce fut le cas, par exemple, lors de la campagne électo‐ rale de 2016, au cours de la‐ quelle les données person‐ nelles de millions d'utilisa‐ teurs de Facebook auraient été collectées par la société Cambridge Analytica, à la‐ quelle l'équipe de Donald Trump avait versé 6,2 mil‐ lions de dollars américains, selon les archives de la Com‐ mission électorale fédérale des États-Unis.
L’algorithme peut être mo‐ difié pour influencer ce que les gens voient et perçoivent à l’écran. C’est là qu'on prend conscience du danger de voir une mauvaise information émerger pour orienter le vote vers un candidat plutôt qu’un autre. Cambridge Ana‐ lytica est une preuve que ce ne sont pas uniquement les Chinois qui peuvent nous in‐ fluencer et qu'il peut y avoir des influences à partir d’ici, souligne M. Waterhouse.
Cet expert cite aussi l'exemple de l'Inde pour illus‐ trer les influences géopoli‐ tiques. Il explique que ce pays a décidé en 2020 d'in‐ terdire TikTok et 59 autres applications chinoises et qu'il a été le premier pays du monde à le faire. Une dou‐ zaine de pays ont suivi les traces de New Delhi.
Le problème est aussi d'ordre géopolitique. On sait que dans le nord-est de l'Inde, il y a des escar‐ mouches politiques, voire des escarmouches militaires, ajoute M. Waterhouse.
En effet, l'Inde veut limiter les influences extérieures, surtout celles de la Chine, ces deux pays entretenant des rapports houleux qui se sont parfois mués en affronte‐ ments militaires, notamment dans l'Himalaya.
3. Quel serait l'effet de cette interdiction au Ca‐ nada?
Selon le même expert en sécurité, un bannissement aux États-Unis, si le projet de loi adopté par la Chambre passe l'étape du Sénat et est promulgué par le président Joe Biden, aurait assurément des répercussions au Canada en raison de la proximité géographique et économique des deux pays.
S’ils bannissent intégrale‐ ment TikTok, le Canada de‐ viendrait une cible de proxi‐ mité puisque nous sommes voisins et que nous avons beaucoup en partage d'un point de vue économique et politique. Il y aurait sans au‐ cun doute des influences par osmose pour chercher à avoir un impact aux ÉtatsUnis par le truchement du Canada.
Steve Waterhouse, expert en cybersécurité et chargé de cours en sécurité de l'infor‐ mation à l'Université de Sher‐ brooke
M. Waterhouse tient à rappeler à ce chapitre que le Canada et le Québec ont déjà pris des mesures pour limiter l'influence de la Chine par l'entremise de TikTok, notam‐ ment en interdisant l’utilisa‐ tion de cette plateforme dans la fonction publique afin de minimiser les risques de repérage des utilisateurs à partir des appareils.