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La guerre du Biafra, au Nigeria, à travers Les trois soeurs de Tchekhov

- Hadrien Volle

Entre 1967 et 1970, des mil‐ liers de personnes péris‐ sent dans le conflit qui op‐ pose les troupes gouverne‐ mentales du Nigéria aux forces du Biafra, une région indépendan­te du sud-est du pays.

Inspiré par les person‐ nages de Tchekhov, l’auteur Inua Ellams transpose de main de maître le drame russe à cette toue autre réa‐ lité dans la pièce Les trois soeurs, présentée au théâtre Soulpepper de Toronto.

Des trois soeurs originales, le dramaturge a gardé la structure en quatre actes, les personnage­s principaux et un certain esprit : l’histoire débute dans la grande mai‐ son familiale, un an après la mort du père.

Macha, Olga et Irina sont devenues Lolo, Nne Chukwu et Udo, mais l’ennui causé par la vie à la campagne, leur quête du sens de la vie et leur désir de retourner à la capitale sont les mêmes sauf que Lagos a pris la place de Moscou. Mais ici, la langueur devient un appel au change‐ ment…

Assez rapidement, la pièce se débarrasse de son universali­té tchékhovie­nne pour coller à la l’histoire du Nigéria. Les faits notables sont évoqués avec précision et la brochure qui est donnée au spectateur avant la repré‐ sentation rappelle les princi‐ pales dates clés du conflit.

Alors même que l’issue est connue d’avance, la re‐ présentati­on nous plonge dans les tumultes de ce quo‐ tidien d’une autre époque, une guerre qui continue d’ap‐ puyer la lecture que l’on peut faire du Nigéria d’aujourd’hui.

De la joie aux bombes

Sur scène, au fur et à me‐ sure que le drame avance, la grande bâtisse bourgeoise devient carrefour de la dé‐ tresse mentale et physique subie par les victimes de la répression sanguinair­e des troupes régulières.

L’insoucianc­e du premier acte, où on assiste à l’anni‐ versaire de la plus jeune des soeurs, laisse place à la crainte et l’appréhensi­on dans la suite avant de som‐ brer dans une troisième par‐ tie sous les bombes dégrin‐ golant autour de la demeure. Le décor évolue au gré des si‐ tuations et il est magnifié par les éclairages qui accom‐ pagnent justement les émo‐ tions des personnage­s.

Ces trois soeurs sont une façon de renouer avec l’his‐ toire, mais aussi d’interroger les héritages. Les héroïnes ont du mal à se départir de la tradition.

L’une d’entre elles a été victime d’un mariage arrangé à 15 ans. Une autre n’a ja‐ mais pu prendre part aux ac‐ tivités administra­tives de son école à la hauteur de son ta‐ lent, car elle n’a ni mari ni en‐ fants.

Outre les traditions, c’est aussi les stigmates du colo‐ nialisme qui apparaisse­nt et les divisions semées par l’an‐ cien colonisate­ur britan‐ nique. Alors que l’un des per‐ sonnages affirme que les An‐ glais sont partis, et qu’il faut passer à autre chose, l’autre répond qu’une simple décla‐ ration n’allait pas effacer im‐ médiatemen­t des siècles d’oppression et d’esclavage.

Alors même qu’elle ra‐ conte un drame profond, la pièce n’est pas dénuée d’hu‐ mour et d’un certain cynisme qui permettent de prendre une distance sur la gravité extrême.

Ces incises de légèreté, ajoutées à la qualité de la dis‐ tribution, viennent s’ajouter au rythme soutenu qui per‐ mettent aux 3 h 20 que dure la pièce de passer bien plus rapidement qu’une leçon d’histoire traditionn­elle. À la sortie, on se dit qu’on en au‐ rait bien pris pour une heure de plus.

Les trois soeurs (Three Sisters) d’Inua Ellams d’après Tchekhov, mise en scène de Mumbi Tindyebwa Otu et produit par la compagnie Ob‐ sidian Theatre. Jusqu’au 24 mars au théâtre Soulpepper. En anglais

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