Radio-Canada Info

Non, la Cour suprême du Canada ne préfère pas « personne ayant un vagin » à « femme »

- Nicholas De Rosa

Un récente chronique du National Post a causé tout un émoi dans le monde po‐ litique et sur les réseaux sociaux en postulant qu’un jugement de la Cour su‐ prême du Canada, dans une cause d’agression sexuelle, « implique que la plaignante devrait être dé‐ signée comme une "per‐ sonne ayant un vagin" » et qu'elle considère l’utilisa‐ tion du terme « femme » comme problémati­que. Or, ce n’est pas du tout ce que dit le jugement en ques‐ tion, dans lequel le mot « femme » revient plus d’une soixantain­e de fois.

L’expression personne ayant un vagin est employée une seule fois dans l’en‐ semble du jugement, et le contexte dans lequel elle l’est n’a rien à voir avec le sup‐ posé caractère probléma‐ tique du mot femme.

L’objectif est plutôt d’expli‐ quer qu'il est raisonnabl­e de croire qu’une personne ayant un vagin est capable de re‐ connaître la sensation de la pénétratio­n péno-vaginale, même lorsque des facteurs comme l'intoxicati­on sont pris en compte.

Cette idée est au coeur du dossier, parce qu’il implique une plaignante qui a été ré‐ veillée en ressentant une pé‐ nétration alors qu’elle était en état d’ébriété. Lors du pro‐ cès, la défense a estimé qu’il était possible qu’elle se soit trompée.

L’agresseur a été condamné en cour de pre‐ mière instance, le juge ayant tranché qu’il était extrême‐ ment improbable qu'une femme se trompe sur cette sensation. Ce jugement a en‐ suite été renversé par la Cour d’appel de la Colombie-Bri‐ tannique sous prétexte qu’il reposait sur une hypothèse logique infondée. La Cour su‐ prême du Canada a finale‐ ment rejeté cette conclusion et rétabli le jugement de pre‐ mière instance.

Gros bon sens ou hypo‐ thèse infondée?

La règle interdisan­t les hy‐ pothèses logiques infondées est centrale, ici.

La doyenne de la Faculté de science politique et de droit de l’UQAM, Rachel Cha‐ gnon, explique que celle-ci sert à assurer que les juges ne puissent pas se baser sur des préjugés ou des stéréo‐ types lorsqu’ils portent un ju‐ gement. Dans ce cas, l’hypo‐ thèse en question - reconnue comme non fondée par le juge de la Cour d’appel - est que toute femme peut recon‐ naître la sensation d’une pé‐ nétration péno-vaginale.

Le sens commun s’arrête là où le préjugé commence, résume Mme Chagnon. Un juge peut faire appel à son sens commun pour prendre pour acquis des réalités qui appartienn­ent au sens com‐ mun : par exemple, la Terre est ronde et l’automne suit l’été. Ça permet au juge d’uti‐ liser certains faits qu’il pourra tenir pour acquis, même s’ils n’ont pas été démontrés, parce qu’ils relèvent du gros bon sens.

Mais il ne faut pas confondre le sens commun avec les préjugés ou les sté‐ réotypes, prévient Rachel Chagnon.

Elle cite en exemple des décisions liées à des agres‐ sions sexuelles où des juges estimaient que l’habillemen­t d’une femme qui se promène seule la nuit indique qu’elle consent à avoir des contacts sexuels.

Pour lutter contre la confusion possible entre les faits issus du sens commun et des choses que l’on pré‐ sume à cause de préjugés et de stéréotype­s, on a déve‐ loppé cette règle disant qu’on ne peut pas se baser sur des hypothèses non fondées, ex‐ plique-t-elle.

Un passage qui porte à confusion

C’est là que le passage sui‐ vant, qui se trouve au para‐ graphe 109 du jugement de la Cour suprême, entre dans l’équation.

Lorsqu’une personne ayant un vagin témoigne de manière crédible et avec cer‐ titude avoir ressenti une pé‐ nétration péno-vaginale, le juge du procès doit pouvoir conclure qu’il est peu pro‐ bable qu’elle se trompe. Bien que le choix du juge du pro‐ cès d’utiliser les mots "une femme" puisse avoir été re‐ grettable et causé de la confusion, dans le contexte, il est clair que le juge estimait qu’il était extrêmemen­t im‐ probable que la plaignante se trompe à propos de la sensation d’une pénétratio­n péno-vaginale parce que les gens, même en état d’ébriété,

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada