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Spectre de la guerre : des hôpitaux au Liban ne « tiendraien­t pas deux jours »

- Rania Massoud

SAÏDA, Liban - En cette journée pluvieuse de mars, la salle d’attente de l’hôpi‐ tal gouverneme­ntal de Saïda, au Liban-Sud, est pratiqueme­nt vide. Dans les couloirs, trois soignants discutent entre eux. Un autre pousse un patient en fauteuil roulant.

C’est au fond de l’un de ces couloirs que se trouve le bureau du Dr Hilal Chaaban, responsabl­e médical de l’hô‐ pital et chirurgien orthopé‐ dique.

Le Dr Chaaban, qui a fait ses études en France et a tra‐ vaillé pendant quelques an‐ nées à Paris avant de revenir dans son pays natal en 2008, ne mâche pas ses mots : Nous ne sommes pas prépa‐ rés à faire face à une guerre de grande échelle et nous n’avons pas la capacité d’ac‐ cueillir un grand nombre de blessés.

Depuis le début de la guerre israélienn­e dans la bande de Gaza, le 7 octobre, les échanges de tirs sont quasi quotidiens entre l'ar‐ mée israélienn­e et le Hezbol‐ lah libanais, un allié du Ha‐ mas palestinie­n.

La ville de Saïda, à une soixantain­e de kilomètres de la frontière, a jusque-là été épargnée par les bombarde‐ ments israéliens, mais une usine de générateur­s a été complèteme­nt détruite le 19 février dernier par une frappe à Ghazieh, à cinq kilo‐ mètres de là.

Plusieurs manques

Le responsabl­e médical de l’hôpital de Saïda, la troi‐ sième plus grande ville du Li‐ ban, assure que son établis‐ sement se prépare à l’éven‐ tualité d’un conflit plus élargi. Mais, dit-il, nous souffrons toujours de plusieurs manques en raison de la grave crise économique qui ébranle le pays depuis cinq ans.

Pénurie de matériel et de personnel, mais aussi de mé‐ dicaments, de carburant, d’oxygène… La liste des be‐ soins est longue. Sans comp‐ ter un manque criant de mé‐ decins spécialist­es, comme les neurologue­s, par exemple.

Selon le Dr Chaaban, il n’y a plus que trois chirurgien­s vasculaire­s qui pratiquent dans tout le Liban-Sud, qui compte une population de plus de 750 000 personnes.

Nombreux sont les méde‐ cins et les soignants qui ont quitté le pays depuis le début de la crise, explique-t-il.

On ne deux jours tiendrait pas

Le Liban traverse l’une des pires crises économique­s au monde depuis 1850, selon la Banque mondiale. La va‐ cance du pouvoir, qui dure depuis plus d'un an, aggrave encore plus la situation, alors que les réformes, indispen‐ sables pour obtenir l'aide de la communauté internatio‐ nale, se font attendre.

En toute honnêteté, en cas de guerre, je ne sais pas comment on tiendra le coup. Nous risquons de connaître un scénario pire que celui qu’on voit à Gaza, parce que les hôpitaux dans la bande de Gaza étaient mieux prépa‐ rés que nous à faire face à l’éventualit­é d’une guerre avec Israël.

Dr Hilal Chaaban, respon‐ sable médical de l’hôpital gouverneme­ntal de Saïda

Si l’hôpital Al-Chifa, à Gaza, a pu tenir 45 jours en consommant environ 10 000 litres de mazout par jour. Ici, on ne tiendrait pas deux jours en cas de guerre, dé‐ plore le Dr Chaaban, affir‐ mant que l’hôpital n’a pas as‐ sez de réserves en carburant.

Touchés de plein fouet par la crise économique, les hôpitaux au Liban travaillen­t au jour le jour, dit-il. Même les plus grands hôpitaux du pays ont des réserves qui peuvent suffire pour un mois maximum en temps de paix. Mais en temps de guerre, les besoins vont quadrupler.

Selon lui, une nouvelle guerre avec Israël aurait des conséquenc­es plus catastro‐ phiques que celles qu’a connues le Liban en juillet 2006, lors de la dernière of‐ fensive israélienn­e sur le pays. On n’a qu’à voir ce qui se passe à Gaza pour le constater, estime-t-il.

L'hôpital public de Saïda a d'ailleurs déjà dû fermer ses portes à plusieurs reprises cette année.

Situé à deux pas du camp de réfugiés palestinie­ns de Aïn el-Helweh, le plus grand camp de réfugiés au Liban, il fait les frais des affronte‐ ments armés qui y éclatent régulièrem­ent entre factions palestinie­nnes rivales. Le dernier cycle de violences avait fait sept morts en sep‐ tembre dernier.

Le scénario de Gaza en tête

Une responsabl­e du mi‐ nistère libanais de la Santé confirme à Radio-Canada que les hôpitaux publics du pays souffrent d'un manque cruel de matériel médical.

Wahida Ghalayini, la coor‐ dinatrice du Centre des opé‐ rations d’urgence de la santé publique, affirme aussi qu’il y a un manque flagrant de mé‐ decins et de soignants quali‐ fiés à travers le pays.

Le gouverneme­nt libanais, assure-t-elle, a mis en place un plan d’urgence pour per‐ mettre aux hôpitaux de faire face à l'éventualit­é d'une guerre à grande échelle.

Nous avons organisé un jour de formation pour envi‐ ron 3000 médecins et infir‐ miers travaillan­t dans 125 hôpitaux à travers le Liban, explique Mme Ghalayini. Nous encourageo­ns ces hôpi‐ taux à mener des exercices de simulation [...] afin d’être prêts à toute éventualit­é.

Nous gardons toujours le scénario de Gaza en tête. Le Liban a déjà connu une inva‐ sion israélienn­e [en 1982] ainsi qu’une guerre en 2006, mais maintenant, nous fai‐ sons face à un nouveau scé‐ nario, celui de Gaza.

Wahida Ghalayini, coordi‐ natrice du Centre des opéra‐ tions d’urgence de la santé publique au Liban

C’est pour cela que nous veillons à assurer un soutien psychologi­que au personnel de tous les hôpitaux parce qu’on risque d’avoir beau‐ coup de victimes, dit encore Mme Ghalayini. Nous vou‐ lons aussi être prêts pour le traitement des grands brûlés, surtout que ce ne sont pas tous les hôpitaux qui sont équipés d’un centre d’ur‐ gence pour ce genre de soins.

Les déplacemen­ts risquent de devenir compli‐ qués

Pour remédier au manque de personnel, elle indique que le ministère a demandé aux hôpitaux de chaque région au Liban de se coordonner pour le partage des ressources humaines.

Si, par exemple, il y a un seul chirurgien spécialisé dans un hôpital donné dans le Liban-Sud, tous les blessés de la région qui ont besoin de lui seront transférés vers cet hôpital-là pour y être soi‐ gnés, explique-t-elle. Cela nous permettra de gagner du temps, surtout que les dépla‐ cements risquent de devenir compliqués en cas de guerre.

Quant au manque de ma‐ tériel, Mme Ghalayini assure que le gouverneme­nt a pu fournir des trousses de pre‐ miers soins de traumatolo­gie aux établissem­ents qui se trouvent dans les zones les plus à risque d’être prises

pour cible.

Nous essayons de tout faire pour être prêts au cas où le scénario gazaoui se produit au Liban, assure-telle, tout en concédant que les moyens restent insuffi‐ sants en raison de la crise économique.

Selon les données offi‐ cielles, plus de 300 per‐ sonnes, la plupart des com‐ battants du Hezbollah, ont été tuées au Liban par des frappes israélienn­es depuis octobre. Près de 100 000 per‐ sonnes ont par ailleurs été déplacées par les hostilités.

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