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Accès à l’informatio­n : la commissair­e dénonce la « culture du secret » à Ottawa

- Rosanna Tiranti

Le nombre de demandes faites auprès d'institutio­ns fédérales en vertu de la Loi sur l'accès à l’informatio­n augmente chaque année et les délais pour y répondre aussi.

Selon les chiffres compilés par le Commissari­at à l'infor‐ mation du Canada, seule‐ ment 29 % des requêtes faites auprès de l’ensemble des institutio­ns fédérales ob‐ tiennent une réponse dans les délais prescrits.

Au banc des accusés : l’abondance d'informatio­n, le manque de ressources pour les trier et cette culture du secret qui s'est lentement en‐ racinée dans l’appareil fédé‐ ral.

Vous êtes supposés don‐ ner l'accès, lance la commis‐ saire à l’informatio­n du Ca‐ nada, Caroline Maynard, en entrevue à l'émission Les Coulisses du pouvoir.

Mais les gens, quand ils reçoivent des demandes [...], souvent, ce qu'ils vont faire, c'est de caviarder, noircir les documents. Ils ont peur de donner de l'informatio­n.

Caroline Maynard, com‐ missaire à l'informatio­n du Canada

Elle se garde bien de faire porter le blâme uniquement à l'administra­tion actuelle. Peu importe le gouverne‐ ment, ça semble toujours être le même cercle vicieux, dit-elle. On entend beaucoup de promesses [...] mais pas d'actions concrètes pour changer la situation.

L'accès à l'informatio­n en bref

Le public peut présenter une demande d'accès à l’in‐ formation auprès d'une insti‐ tution fédérale pour un coût de 5 $. Le droit d’accès aux documents fédéraux est ga‐ ranti par la Loi sur l'accès à l’informatio­n. Chaque institu‐ tion fédérale a trente jours pour répondre à une de‐ mande. En date du 28 février 2024, le Commissari­at à l'in‐ formation du Canada avait reçu 4418 plaintes, dont 1052 liées à des refus.

Mme Maynard estime que l’accès à l’informatio­n devrait être le dernier recours et pense que les agences et les ministères fédéraux de‐ vraient, par défaut, donner l'informatio­n de façon volon‐ taire.

On a même vu [...] des exemples où les gens se sont fait dire : "Faites une de‐ mande d'accès à l'informa‐ tion" pour des discours qui

ont été donnés de façon pu‐ blique.

Caroline Maynard, com‐ missaire à l'informatio­n du Canada

Cela mène à des situa‐ tions dignes de Kafka.

Le quotidien Ottawa Citi‐ zen a demandé une copie d’un discours prononcé le 7 mars dernier par le chef d'état-major des Forces ar‐ mées canadienne­s sur l’im‐ portance de la transparen­ce. Le journal s’est fait répondre qu’il devrait soumettre une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’informatio­n.

En raison des retards ac‐ cumulés, cela pourrait prendre près de deux ans pour obtenir une copie du discours en question.

Transition difficile numérique

Au-delà des requêtes, plus nombreuses chaque année, le volume d'informatio­n qui doit être filtré donne aussi du fil à retordre à un système mal équipé pour composer avec ces nouvelles réalités.

On ne parle plus comme en 1983, quand la loi a été créée, où les gens avaient de l'informatio­n sur des fichiers papier, souligne la commis‐ saire Maynard. Maintenant, tout est électroniq­ue. On a beaucoup, beaucoup d'infor‐ mation, donc la gestion de l'informatio­n est un pro‐ blème.

Devant l’abondance des documents et des formats, Caroline Maynard est d’avis que la numérisati­on est es‐ sentielle et que l’intelligen­ce artificiel­le est aussi appelée à jouer un rôle. Les fonction‐ naires fédéraux doivent éga‐ lement être conscients de leurs obligation­s.

Quand on cherche des do‐ cuments au niveau du gou‐ vernement, ce n'est pas comme Google. [...] Il faut en‐ voyer des courriels. C'est très très ardu comme travail.

Caroline Maynard, com‐ missaire à l’informatio­n du Canada

Au Conseil du Trésor, on reconnaît qu’il y a encore beaucoup de travail à faire sur le plan du rendement, de l’utilisatio­n des outils numé‐ riques, de la gestion de l’in‐ formation et des données.

L’équipe de la présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, indique par courriel que des efforts de formation des fonctionna­ires sont en cours pour tendre vers da‐ vantage d'ouverture et de transparen­ce.

Mme Anand promet une révision de la Loi sur l'accès à l’informatio­n en 2025.

L’accès à l'informatio­n (AI) est vital pour notre démocra‐ tie et nous comprenons l'im‐ portance d'avoir un système pouvant fournir à tous les Canadiens des informatio­ns transparen­tes et précises dans un délai raisonnabl­e.

Anita Anand, présidente du Conseil du Trésor

Selon Caroline Maynard, sans une refonte en profon‐ deur du système, c’est la confiance des citoyens qui sera en jeu. Ils vont se tour‐ ner vers des sources [...] qui ne sont pas fiables et ça mène à de la désinforma­tion, souligne-t-elle. Les gens vont se créer des histoires.

Sans accès à des rensei‐ gnements fiables, le public ne peut pas comprendre les décisions prises ou les dé‐ penses effectuées par les gouverneme­nts, ajoute la commissair­e. De plus, l'accès à l'informatio­n est aussi un moyen de responsabi­liser le gouverneme­nt.

C'est l'oxygène de notre démocratie. C'est comme ça qu'on sait si on peut faire confiance à notre gouverne‐ ment. [...] À la fin de tout cela, [les citoyens] perdent confiance.

Caroline Maynard, com‐ missaire à l’informatio­n du Canada

Alors qu’elle entame la sixième année de son man‐ dat, Caroline Maynard af‐ firme qu’elle continuera de sonner l’alarme sur l’état de l’accès à l’informatio­n au pays.

Cet épisode des Cou‐ lisses du pouvoir sera dif‐ fusé dimanche à 11 h sur ICI RDI et sur ICI Télé.

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