Radio-Canada Info

La Russie, l’Ukraine et la nouvelle doctrine d’Emmanuel Macron

- Tamara Altéresco

Ce n’était pas une erreur ni une sortie improvisée comme certains l’ont cru au départ. La déclaratio­n d'Emmanuel Macron, il y a trois semaines, sur l'envoi éventuel de troupes au sol en Ukraine était bel et bien calculée. Elle est venue quand un journalist­e lui a demandé jusqu'où la France était prête à aller pour empêcher la Russie de gagner la guerre en Ukraine.

Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer, de manière officielle et assu‐ mée, des troupes au sol. Mais rien ne doit être exclu; nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner.

Emmanuel Macron, pré‐ sident de la France

C'était la première fois qu’un leader occidental s’aventurait si près de ce qui est considéré par la Russie comme une ligne à ne pas franchir sans risque de guerre mondiale, voire nu‐ cléaire.

Hormis ceux des trois États baltes, aucun chef d'État n’a voulu soutenir un tel scénario. Pourtant, le pré‐ sident de la France persiste et signe sur toutes les tri‐ bunes qui lui sont offertes depuis.

Il y a deux ans, nous di‐ sions : "Jamais on n’enverra de chars." On l’a fait. Il y a deux ans, on disait : "Jamais nous n'enverrons de missiles de moyenne portée." On l’a fait. On a dit : "Jamais on n’enverra d'avions." Certains sont en train de le faire. Donc, nous avons mis trop de limites dans notre vocabu‐ laire.

Emmanuel Macron, en en‐ trevue sur TF1 et France 2

En entrevue avec les jour‐ naux télévisés les plus écou‐ tés en France et avec le quo‐ tidien Le Parisien, Emmanuel Macron a durci le ton, sans égard au mécontente­ment que ses propos alimentent chez ses alliés.

Il s'affiche désormais comme le principal défen‐ seur de l’Ukraine et celui pour qui les lignes rouges ne doivent plus être fixées.

Peut-être qu'à un moment donné - je ne le souhaite pas et je n'en prendrai pas l'initia‐ tive -, il faudra avoir des opé‐ rations sur le terrain, quelles qu'elles soient, pour contrer les forces russes. La force de la France, c'est que nous pou‐ vons le faire.

Emmanuel Macron, pré‐ sident de la France

Quand et comment? Le président Macron ne le dit pas, ajoutant à la confusion sur le genre de déploiemen­t qu’il envisagera­it. Il insiste sur le fait que la sécurité de toute l'Europe en dépend plus que jamais, avec la ré‐ élection de Vladimir Poutine et avec son économie de guerre qui tourne à plein ré‐ gime, 24 heures sur 24, dans les usines de fabricatio­n d’armes en Russie.

Sur le fond, la position de M. Macron quant aux dan‐ gers qui guettent l’Europe re‐ pose sur un sentiment par‐ tagé par à peu près tous les pays de l’Union européenne, qui financent la riposte de l’Ukraine, depuis deux ans, à coups de milliards d'euros.

Mais le spectre d’un dé‐ ploiement de troupes sur le terrain en Ukraine, comme l'évoque M. Macron, fragilise le message d’unité que tente désespérém­ent d'afficher l’Europe au moment où l'aide américaine est en péril, blo‐ quée au Congrès depuis des semaines.

Depuis 2017, Emmanuel Macron prône l’autonomie stratégiqu­e européenne. Il se présente aujourd’hui en lea‐ der de ceux qui veulent la construire, au risque de frois‐ ser ses partenaire­s beaucoup plus prudents, a écrit l’ana‐ lyste Pierre Haski dans un texte d'opinion.

Au risque, notamment, de déplaire à l'Allemagne et à son chancelier Olaf Scholz. Bien que les deux hommes se soient rencontrés à Berlin la semaine dernière, tout souriants pour les caméras, leurs différends demeurent entiers au sujet de l’aide à l'Ukraine.

La France reproche entre autres à M. Scholz de ne pas en faire assez pour subvenir aux besoins en armements de Kiev, en citant son refus d’y envoyer des missiles de longue portée de type Tau‐ rus.

Selon le chancelier alle‐ mand, leur utilisatio­n néces‐ siterait l’interventi­on de sol‐ dats, et ce serait risquer une escalade majeure.

L'Allemagne, en raison de son lourd passé, a toujours été et demeure réticente à tout engagement militaire en Russie, bien qu’elle soit deve‐ nue en deux ans le principal fournisseu­r européen d'armes de l'Ukraine.

Elle reproche en coulisses à Emmanuel Macron une at‐ titude cavalière et même hy‐ pocrite, puisque la livraison d'armes de la France a été jusqu'ici timide. Dans une de ses nombreuses entrevues, le week-end dernier, le pré‐ sident Macron a reconnu avoir demandé à l’industrie française de la guerre d'aug‐ menter la cadence. Mais il faudra du temps.

D’émissaire de paix à vat-en-guerre

Si le discours d’Emmanuel Macron attire aujourd'hui au‐ tant d'attention et suscite au‐ tant de questionne­ments, c’est parce qu'il a évolué de façon radicale depuis deux ans.

À une époque pas si loin‐ taine, le président français se présentait comme l'émissaire de choix pour tenter de rai‐ sonner Vladimir Poutine en allant le visiter au Kremlin. Un contact personnel qu’il a maintenu pendant des mois, par téléphone après le début de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine.

M. Macron avait même suscité un tollé quand il avait osé dire devant le Parlement européen qu’il fallait ména‐ ger Vladimir Poutine : Il ne faut pas humilier la Russie pour que, le jour où les com‐ bats cesseront, nous puis‐ sions bâtir un chemin de sor‐ tie par les voies diploma‐ tiques.

Les combats ont non seulement continué, mais se‐ lon le président de la France, la guerre de Vladimir Poutine est aujourd'hui plus perverse que jamais, d'où le besoin de ne pas céder au chantage du chef du Kremlin. Encore cette

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada