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La révolution des tournesols façonne encore Taïwan

- Philippe Leblanc

Le 2 février dernier, Wu Pei-Yi foulait le tapis rouge devant le Yuan législatif de Taïwan, à Taïpei, et prenait quelques photos pour im‐ mortaliser le moment. Vê‐ tue d’un veston classique noir, elle y faisait son en‐ trée pour la première fois en tant qu’élue du Parti dé‐ mocrate progressis­te (PDP).

Ce jour-là, j'étais vraiment touchée, car je suis entrée dans la pièce et j'ai vu ce coin où, il y a 10 ans, j'ai cassé la fenêtre et j'ai escaladé pour protester, raconte-t-elle. Plus tard cette nuit-là, je me suis allongée dans le coin de la table du président et j'ai dormi.

Quand je suis allée aux toilettes à ma première jour‐ née comme élue, j'ai pensé à la scène où je me lavais le vi‐ sage au lavabo, à laquelle je n'avais pas pensé depuis de nombreuses années, dit-elle.

Wu Pei-Yi faisait partie du comité médiatique lors de la révolution des tournesols en 2014. Il s’agissait de son bap‐ tême politique.

Le mouvement des tour‐ nesols est considéré comme un moment charnière dans la définition d’une identité taï‐ wanaise distincte de la Chine. Aujourd’hui, 60 % des rési‐ dents se considèren­t avant tout comme Taïwanais.

Le mouvement étudiant qui avait choisi comme em‐ blème la fleur de tournesol un symbole d’espoir - a as‐ sailli et occupé le Yuan légis‐ latif afin de défendre la dé‐ mocratie.

Les étudiants accusaient le gouverneme­nt du parti Kuomintang de vendre Taï‐ wan à la Chine après la conclusion d’un traité de libre-échange. Les trois quarts des Taïwanais ont dé‐ noncé l’entente qui a finale‐ ment été annulée.

Je me demandais pour‐ quoi le gouverneme­nt taïwa‐ nais n'avait pas privilégié les intérêts locaux et avait plutôt signé avec la Chine un accord qui allait avoir des impacts sur les travailleu­rs pendant 100 ans.

Wu Pei-Yi, membre du Yuan législatif de Taïwan

Julia Chan était elle aussi aux premières loges, il y a 10 ans. Elle avait terminé ses études un an plus tôt et tra‐ vaillait à ce moment-là dans une ONG.

Je pense vraiment que nous avons accompli des choses incroyable­s pour changer le cours de l'histoire, lance-t-elle. Non seulement nous avons mis fin aux activi‐ tés chinoises visant à an‐ nexer Taïwan, mais nous avons également inspiré toute une génération à se te‐ nir debout pour son pays.

Depuis lors, vous ne voyez plus ce genre de mouvement brutal ou de décision brutale de la part du gouverneme­nt, car ils savent qu'il y a des conséquenc­es, affirme Julia Chan.

Lin Hsiu-Hsin, professeur­e adjointe au Collège Hakka de l’Université nationale Yang Ming Chiao Tung, croit que Taïwan doit regarder au-delà de ce mouvement et conti‐ nuer à développer sa justice sociale.

Cela signifie que les be‐ soins fondamenta­ux des jeunes doivent être davan‐ tage pris en compte, dit-elle. En d’autres termes, nous de‐ vrions leur offrir un environ‐ nement plus juste qui leur permettrai­t de libérer leur créativité. Si vous les laissez lutter dans le libre marché, survivre deviendra impos‐ sible, surtout à l’ère de la mondialisa­tion. Comment pouvez-vous leur offrir le luxe de créer?

Je crois donc que c'est parce que le gouverneme­nt PDP, au cours des huit der‐ nières années, n'a pas réussi à comprendre pleinement les multiples significat­ions du mouvement tournesol que Taïwan connaît aujourd'hui une sorte de populisme, ex‐ plique-t-elle.

Wu Pei-Yi et sa collègue Huang Jie, deux femmes is‐ sues de la révolution des tournesols, espèrent conti‐ nuer de promouvoir ses va‐ leurs, maintenant en tant qu’élues du PDP.

La question qui me préoc‐ cupe le plus est celle de l’éga‐ lité des sexes, souligne Huang Jie. L’égalité des sexes ne concerne pas seulement l’égalité entre les hommes et les femmes, elle inclut égale‐ ment diverses orientatio­ns sexuelles et identités de genre, et la liberté de vivre ouvertemen­t à Taïwan.

En fait, je me sens très touchée et fière de ce que Taïwan ait atteint cette étape importante, celle de l'adop‐ tion de la loi sur le mariage homosexuel, poursuit-elle. Mais à l’avenir, nous devrons atteindre davantage d’objec‐ tifs et de tâches liés à la transforma­tion du genre et au respect de la diversité.

Wu Pei-Yi est elle aussi toujours animée par les mêmes idéaux qu’il y a 10 ans.

Il y a beaucoup de choses à Taïwan qui peuvent encore être améliorées, croit-elle. Pour moi, il s'agit de ques‐ tions telles que l'égalité des sexes et les relations TaïwanChin­e. Ce sont toujours les mêmes étincelles qu'il y a 10 ans, mais maintenant, nous devons faire appel à des compétence­s parlementa­ires plus matures. Nous devons également avoir une compré‐ hension plus approfondi­e de toutes les informatio­ns poli‐ tiques, sociales, écono‐ miques et environnem­en‐ tales.

Dans cet environnem­ent réel, nous devons transfor‐ mer notre désir d’équité et de justice en notre capacité, affirme Wu Pei-Yi. Nous de‐ vons trouver une voie à suivre dans la société qui nous permette de continuer à progresser.

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