Radio-Canada Info

Les 10 provinces mettent fin à l’emprisonne­ment de migrants

- Brigitte Bureau

Terre-Neuve-et-Labrador a informé l'Agence des ser‐ vices frontalier­s du Canada (ASFC) qu'elle n'allait plus accepter d'incarcérer dans ses prisons provincial­es des personnes détenues uni‐ quement pour des motifs liés à l'immigratio­n, à compter du 31 mars 2025, selon des informatio­ns ob‐ tenues par Radio-Canada.

La province a envoyé son avis officiel à l'agence fédé‐ rale le 12 mars, soit huit jours après la parution d'un article de Radio-Canada qui souli‐ gnait le fait que Terre-Neuveet-Labrador était alors la seule province canadienne qui entendait maintenir cette pratique controvers­ée.

L'emprisonne­ment de mi‐ grants à des fins administra‐ tives dans les mêmes établis‐ sements que des personnes détenues pour des raisons criminelle­s a été maintes fois dénoncé par de nombreux experts comme étant une violation du droit internatio‐ nal.

La décision de TerreNeuve-et-Labrador est une immense victoire en matière de droits humains, elle pré‐ serve la dignité et les droits des personnes qui viennent au Canada en quête de sécu‐ rité ou d'une vie meilleure, a déclaré Samer Muscati de Human Rights Watch.

Depuis juin 2022, toutes les autres provinces cana‐ diennes refusent de détenir des personnes pour des rai‐ sons d’immigratio­n ou se sont engagés à le faire d’ici les prochains mois. Plusieurs provinces avaient signé avec l'ASFC des contrats formels qui les obligent à lui donner un préavis d'un an pour rési‐ lier leurs ententes.

Maintenant que les 10 provinces ont annulé leurs ententes, M. Muscati de‐ mande au gouverneme­nt fé‐ déral d’adopter une directive ou un amendement législatif pour empêcher tout recours futur aux prisons provin‐ ciales pour des cas d’immi‐ gration.

Le gouverneme­nt fédéral n’a pas voulu se prononcer sur la demande de Human Rights Watch.

Dans un courriel à RadioCanad­a, l’ASFC a plutôt expli‐ qué qu’elle s'est engagée à li‐ miter le recours à la déten‐ tion aux cas difficiles et qu’elle avait augmenté l’utili‐ sation de mesures de re‐ change à la détention.

Plus de cinq ans derrière les barreaux

Un homme d'origine so‐ malienne a décrit ses années passées derrière les barreaux au Canada, en entrevue à Ra‐ dio-Canada l'année dernière. Abdirahman Warssama est resté enfermé durant cinq ans et sept mois dans des prisons à sécurité maximale en Ontario, où il a été battu violemment. Même s'il n'était pas accusé d'un crime, il a été incarcéré avec des crimi‐ nels endurcis en attendant que l’ASFC organise, en vain, son renvoi en Somalie.

En vertu de la Loi sur l'im‐ migration et la protection des réfugiés, l'agence fédérale peut détenir des ressortis‐ sants étrangers et des rési‐ dents permanents pour trois raisons principale­s : risque de fuite, identité mal établie et danger pour la sécurité publique.

La vaste majorité des 71 988 migrants qui ont été dé‐ tenus par l'ASFC entre 2012 et 2023 l'ont été pour risque de fuite, c'est-à-dire que l'agence craignait qu'ils se soustraien­t à une mesure d'immigratio­n, comme un renvoi.

C'est l'agence qui décide si elle les enferme dans des pri‐ sons provincial­es ou dans l'un de ses trois centres fédé‐ raux de surveillan­ce de l'im‐ migration, à Laval, Toronto ou Surrey, en Colombie-Bri‐ tannique.

Au fil des ans, des mi‐ grants ont été envoyés en prison lorsqu'il n'y avait pas de centre fédéral dans la pro‐ vince où ils étaient détenus, lorsqu'ils étaient considérés comme à haut risque ou qu'ils souffraien­t de pro‐ blèmes de santé mentale.

Mais l’ASFC soutient que maintenant seuls les cas qui soulèvent de sérieuses in‐ quiétudes quant au danger pour le public, les autres dé‐ tenus ou le personnel sont détenus dans des établisse‐ ments correction­nels dans les provinces où la mesure est encore disponible pour l’instant.

Il peut s’agir de personnes ayant eu des condamnati­ons antérieure­s et des accusa‐ tions en suspens pour des crimes violents ou encore des personnes qui ont fait preuve d'un comporteme­nt violent, non conforme et im‐ prévisible, affirme l’agence fédérale.

Devant la décision des provinces, l'ASFC a indiqué en décembre dernier qu'elle ef‐ fectuait des mises à niveau de ses trois centres fédéraux, afin de pouvoir y garder des personnes à risque élevé, et qu'elle adaptait aussi la dota‐ tion et la formation des gar‐ diens.

Human Rights Watch et Amnistie internatio­nale vou‐ draient que le gouverneme­nt fédéral mette fin à la déten‐ tion liée à l'immigratio­n.

Nous félicitons les pro‐ vinces pour leur décision de cesser d'emprisonne­r les de‐ mandeurs d'asile et les mi‐ grants uniquement pour des raisons d'immigratio­n, a dé‐ claré France-Isabelle Lan‐ glois, directrice générale d'Amnistie internatio­nale Ca‐ nada francophon­e. La pres‐ sion sur le gouverneme­nt fé‐ déral est maintenant claire pour qu'il mette fin à ce sys‐ tème de violation des droits partout au pays.

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