Les publicités sur le cannabis abondent en Ontario. Mais sont-elles toutes légales?
Elles circulent sur les ré‐ seaux sociaux et conti‐ nuent d'exister grâce à un flou juridique : des publici‐ tés sur le cannabis et ses produits dérivés qui semblent contrevenir à la loi fédérale sont omnipré‐ sentes en Ontario. Suffit de balayer à quelques reprises l'écran d’un téléphone pour les voir apparaître.
La publicité sur le canna‐ bis est légale au Canada, mais elle est soumise à de nombreuses restrictions. La
Loi fédérale sur le cannabis interdit notamment les contenus promotionnels qui présentent un produit ou une marque d’une manière qui l’associe à une façon de vivre. Les publicités qui sont attrayantes pour les jeunes sont aussi proscrites.
À ce chapitre, les entre‐ prises qui vendent du canna‐ bis sont tenues de prendre des mesures raisonnables pour s'assurer que la promo‐ tion n'est pas accessible aux jeunes, ce qui est aussi vrai sur les réseaux sociaux.
Plus facile à dire qu'à faire.
Le flou juridique permet aux joueurs de l'industrie de plus ou moins respecter la loi. Il y aura toujours des pro‐ blèmes avec les gens qui cherchent à travailler dans les zones grises, souligne l'avocat Eugene Oscapella, qui enseigne au département de criminologie de l'Univer‐ sité d'Ottawa.
Une large discrétion
Il y a une large discrétion au niveau des instances gou‐ vernementales par rapport à ce qui est une publicité qui va être considérée en viola‐ tion de la loi, observe Me Yann Canneva, du cabinet Langlois Avocats.
Il invite les détaillants à la prudence lorsque vient le temps de réfléchir à une ap‐ proche publicitaire. Couleur, forme, personnage : tout doit être considéré.
C'est difficile de donner des avis juridiques fermes parce que [la loi] est à contour relativement va‐ riable. Mais certainement, la prudence est de mise et il faut être très conservateur à la limite.
Me Yann Canneva, avocat au cabinet Langlois Avocats
Selon les experts consul‐ tés par Radio-Canada, le mo‐ dèle de vente retenu par le gouvernement Ford, avec des détaillants privés, plutôt qu'une société d'État, rend la surveillance beaucoup plus difficile.
Lorsque vous créez ce genre de marché ouvert qui est relativement libre de res‐ trictions, il n'est pas rare d'observer des pratiques illé‐ gales de la part de nombreux vendeurs désespérés, ex‐ plique le professeur de l'Uni‐ versité Brock Dan Malleck, qui se spécialise dans la ré‐ glementation des drogues.
D'ailleurs, plus de cinq ans après la légalisation du can‐ nabis au pays, les orga‐ nismes réglementaires doivent encore rappeler à l'ordre les entreprises qui
vont trop loin.
Des milliers de plaintes
Depuis que le cannabis est légal, Santé Canada, qui supervise l'application de la loi fédérale, a reçu 1 472 plaintes concernant de pos‐ sibles infractions aux inter‐ dictions de promotion. De 2021 à 2023, l'agence fédé‐ rale a dû intervenir auprès de 268 personnes ou entre‐ prises en raison de nonconformité avec la loi en ma‐ tière de publicité.
En plus des plaintes, Santé Canada a également recours à diverses activités de surveillance dont l’examen du contenu médiatique.
La Commission des al‐ cools et des jeux de l'Ontario (CAJO) a aussi sa part de res‐ ponsabilité avec la sur‐ veillance des commerces de détail, et par le fait même, la publicité placée à l'extérieur d'une boutique, comme un panneau publicitaire.
La publicité ne doit pas at‐ tirer ou cibler des personnes de moins de 19 ans, précise le site web de la CA JO. Les enseignes ne peuvent pas non plus suggérer ou laisser entendre que la consomma‐ tion de cannabis est associée au succès ou à la résolution d’un problème.
Même si le nombre de magasins autorisés à vendre du cannabis dans la province
a explosé dans les dernières années, la Commission, qui dit analyser régulièrement les publicités sur les réseaux sociaux, parle d'un haut ni‐ veau de conformité avec les règles.
Des mesures trop res‐ trictives... ou laxistes?
Malgré le contrôle provin‐ cial et fédéral, les publicités illégales persistent. Mais rien pour inquiéter certains ex‐ perts. Un cadre réglemen‐ taire trop restrictif ou une surveillance trop accrue pourraient aussi avoir l'effet pervers d'encourager le com‐ merce illégal.
Il y a cette volonté de ne pas vouloir trop surveiller [la publicité]
Dan Malleck, professeur de l'Université Brock
Comme à la fin de la pro‐ hibition d'alcool, les experts anticipent un assouplisse‐ ment des règles en place, au fil du temps. Il ne serait pas étonnant que le cadre régle‐ mentaire s'assouplisse.
En revanche, des spécia‐ listes préviennent que l'initia‐ tion au cannabis à un jeune âge augmente le risque de développer une dépendance.
Plus la personne va dé‐ marrer l'usage du cannabis tôt dans la vie, plus le risque va être multiplié, souligne Dr Bernard Le Foll, médecin chercheur au Centre de toxi‐ comanie et santé mentale de Toronto (CAMH).
Je sais qu'il y a eu des campagnes un peu illicites, où le cannabis a été présenté de manière positive et là, il y a toute une imagerie qui peut se mettre en place
Dr Bernard Le Foll, méde‐ cin chercheur, Centre de toxi‐ comanie et santé mentale de Toronto
Selon lui, en plus de pa‐ trouiller pour éliminer les pu‐ blicités illégales sur les ré‐ seaux sociaux, les gouverne‐ ments devraient déployer plus d'efforts pour sensibili‐
ser les jeunes.
Un manque de volonté politique dit l'opposition
Les publicités illégales, surtout si elles sont at‐ trayantes et dirigées vers les jeunes, continuent d'agacer la députée du NPD de l'Onta‐ rio, France Gélinas. La politi‐ cienne raconte même en apercevoir régulièrement dans sa circonscription de Ni‐ ckel Belt, dans le Nord de l'Ontario.
Elles persistent malgré ses signalements. Il n'y a aucune raison pourquoi on ne fait pas le suivi, excepté un manque de volonté politique, lâche France Gélinas.
La députée voudrait qu'on prenne la publicité des pro‐ duits du cannabis plus au sé‐ rieux, comme ça été le cas pour le tabac.
La loi, elle est là, les res‐ sources pour mettre la loi en place, elles sont là, mais y'a rien qui se passe.
France Gélinas, porte-pa‐ role de l'opposition officielle en matière de santé
Reste que les agences gouvernementales comme Santé Canada et la CAJO, de même que les corps poli‐ ciers, ont des ressources limi‐ tées pour assurer un certain contrôle au sein de l'indus‐ trie. Il faut se demander si ça vaut la peine d'appliquer la loi très très strictement concernant la publicité pour la vente de cannabis, sou‐ ligne l'avocat Eugene Osca‐ pella.
Les drogues qui tuent mé‐ ritent l'attention des autori‐ tés, bien plus que les publici‐ tés sur le cannabis selon lui.
La Meta? responsabilité de
Les propriétaires des pla‐ teformes numériques doivent-ils jouer à la police? Meta, la société derrière Fa‐ cebook et Instagram, indique qu’elle bloque tout contenu qui cherche à vendre, ache‐ ter, échanger, donner ou de‐ mander des substances non médicinales, et ce, peu im‐ porte les lois provinciales ou nationales, en vigueur.
Meta assure que sa tech‐ nologie de détection est en mesure de repérer la presque totalité des publici‐ tés illégales, mais admet que certains contenus publiés sur Facebook contreviennent à sa politique sur les biens et services restreints. La compa‐ gnie estime que sur 10 000 contenus consultés, seule‐ ment cinq violent ses poli‐ tiques, en moyenne.
Nos normes publicitaires interdisent les publicités fai‐ sant la promotion du THC ou des produits à base de can‐ nabis contenant des compo‐ sants psychoactifs associés. Porte-parole chez Meta Meta rappelle que les uti‐ lisateurs peuvent signaler les publications qui semblent être en violation des poli‐ tiques de la compagnie, ce qui déclenche une révision du contenu en question