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Des solutions locales pour réduire l’empreinte carbone du béton

- Vincent Rességuier

C'est l'effervesce­nce sur le chantier de Nemaska Li‐ thium à Bécancour, dans le Centre-du-Québec. L'usine de transforma­tion com‐ mence à prendre forme. À terme, elle doit produire annuelleme­nt 34 000 tonnes d'hydroxyde de li‐ thium.

Mais une infime quantité du minerai va servir à fabri‐ quer des batteries pour véhi‐ cules électrique­s. Il restera donc des montagnes de rési‐ dus, et l'entreprise espère bien en valoriser une bonne partie.

Un projet pilote est en cours dans le but de com‐ mercialise­r du béton fabri‐ qué avec des résidus d’alumi‐ nosilicate­s produits sur place et qui ont des propriétés pouzzolani­ques. C'est une poudre qui a des propriétés de liant et c'est la raison pour laquelle on peut l'utiliser pour remplacer le ciment, ex‐ plique Dan Fournier, le chef de la valorisati­on des sousprodui­ts.

Avec le concours d’une entreprise locale, Nemaska Lithium a fabriqué un béton expériment­al, dont les élé‐ ments principaux sont les aluminosil­icates et du cal‐ caire calciné (clinker). Cette recette contient 25 % d'alu‐ minosilica­tes, ce qui permet de réduire considérab­lement la proportion de clinker qui compose en général près de 80 % du ciment standard en Amérique du Nord (le ciment Portland).

Le but de Nemaska Li‐ thium, c'est de créer une éco‐ nomie circulaire.

Dan Fournier, chef de la valorisati­on des sous-pro‐ duits chez Nemaska Lithium

La fabricatio­n du clinker entraîne d’importante­s émis‐ sions de GES. Pour une tonne de produit fini, il faut comp‐ ter environ une tonne de gaz carbonique qui s’échappe dans l’atmosphère.

En utilisant ces résidus miniers, la facture carbone tendrait donc à diminuer. L’usine a la capacité de pro‐ duire 220 000 tonnes par an‐ née d'aluminosil­icates exploi‐ tables pour fabriquer du ci‐ ment.

Selon Nemaska Lithium, en utilisant cette ressource, on pourrait réduire d’environ 200 000 tonnes les émissions de CO2 par rapport à la re‐ cette du ciment Portland.

Il reste maintenant à prouver que ce nouveau pro‐ duit rivalise de qualité avec ses concurrent­s déjà sur le marché.

Pour cela, deux dalles té‐ moins ont été coulées au mois de novembre dernier; l’une avec du béton tradition‐ nel, l’autre avec le béton ex‐ périmental. Elles sont expo‐ sées au va-et-vient des ca‐ mions de chantier ainsi qu’à de l’épandage d’abrasifs.

Des sants volumes intéres‐

Nemaska Lithium est ac‐ compagnée dans cette aven‐ ture par le Centre de re‐ cherche sur les infrastruc‐ tures en béton de l’Université de Sherbrooke, qui évalue la durabilité de ce nouveau mé‐ lange.

Des essais ont déjà été faits par nos collègues du Conseil national de la re‐ cherche. On fait actuelleme­nt des essais à plus grande échelle et ça fonctionne très bien, assure le directeur du laboratoir­e, le professeur Arezki Tagnit-Hamou.

Fort d’une solide expertise en la matière, il collabore avec l'industrie, le gouverne‐ ment du Québec et d’autres chercheurs pour explorer des options de ciment bas en car‐ bone.

La piste des résidus mi‐ niers lui semble promet‐ teuse, d’autant que les pro‐ jets d’exploitati­on de maté‐ riaux critiques tendent à se multiplier. À terme, il anticipe des volumes intéressan­ts, ce qui demeure la condition sine qua non pour l’adoption de nouveaux matériaux.

Pour compléter l’offre, il teste une autre avenue à Valdes-Sources, en Estrie. Les résidus de la mine d'amiante Jeffrey contiennen­t de la si‐ lice avec des propriétés pouzzolani­ques.

Il y a environ 800 millions de tonnes de matière, dont une partie pourrait être utili‐ sée pour fabriquer du ci‐ ment. Il faudrait cependant effectuer un traitement, no‐ tamment pour éliminer les éventuelle­s traces d'amiante. Un projet d’envergure dont les contours doivent encore être précisés.

Les argiles calcinées

Le professeur Tagnit-Ha‐ mou a identifié une autre avenue, celle des argiles cal‐ cinées qui peuvent égale‐ ment remplacer, en partie, le calcaire calciné.

Le calcaire doit être chauffé à plus de 1400 de‐ grés Celsius pour devenir ré‐ actif, tandis que l’argile doit être chauffée seulement à près de 750 degrés. Cela per‐ met une économie de com‐ bustibles fossiles, les plus uti‐ lisés étant le pétrole ou le charbon.

Mais surtout, l’argile n’émet pas de C02 lorsqu’elle est chauffée à haute tempé‐ rature. Pour une tonne de calcaire calciné, il faut comp‐ ter des émissions d’environ 800 kilogramme­s de gaz car‐ bonique.

M. Tagnit-Hamou conseille l’entreprise Clayson Écominé‐ ral, qui a comme projet d'ou‐ vrir une carrière d'argile en Gaspésie, dans le secteur de Matane.

Son président fondateur, Joël Fournier, assure que les argiles calcinées peuvent en‐ trer dans la compositio­n du ciment jusqu'à hauteur de 40 %. Dans ce cas, dit-il, il est possible de réduire pratique‐ ment de moitié les émissions de GES par rapport au ci‐ ment Portland.

Selon les estimation­s de M. Fournier, le gisement au‐ rait la capacité de fournir un million de tonnes d’argile cal‐ cinée par année pendant plus de 100 ans.

Des volumes significat­ifs dans la mesure où l'Associa‐ tion canadienne du ciment a calculé que la production to‐ tale de clinker s’est élevée à 11,4 millions de tonnes au pays en 2020.

Joël Fournier estime que les coûts de production se‐ raient compétitif­s dès la mise en marché. Il en veut pour preuve que cette ressource est déjà utilisée dans de nombreux pays en Europe, en Chine, en Inde et à Cuba.

Il est actuelleme­nt en dis‐ cussion avec plusieurs ac‐ teurs de l'industrie. Deux op‐ tions s’offrent à lui. Soit vendre l’argile directemen­t aux cimenterie­s qui se char‐ geraient de la transforme­r. Soit faire construire une usine sur place, un projet évalué à 150 millions de dol‐ lars et qui pourrait poser des questions d’acceptabil­ité so‐ ciale.

Si tout va bien, il juge que la production pourrait com‐ mencer d’ici un an.

L'encadremen­t des inno‐ vations

Quoi qu’il arrive, la plu‐ part des innovation­s vont de‐ voir être examinées par les institutio­ns gouverneme­n‐ tales. Elles doivent s’assurer de la conformité des produits en testant leur résistance et leur durabilité. Il faut aussi mesurer les éventuels risques pour la santé et l'en‐ vironnemen­t.

Des étapes qui ont ten‐ dance à s'étirer dans le temps, selon le professeur Arezki Tagnit-Hamou, échaudé par ses expérience­s précédente­s. Il a par exemple piloté une méthode d’inté‐

gration dans le ciment de poudre de verre obtenue à partir de bouteilles recyclées. Il s’est écoulé plus d'une dé‐ cennie entre les premières expériment­ations, en 2004, et l’adoption des normes.

C'est là où le bât blesse, dit-il. C'est vraiment un trop long chemin. Il faut travailler pour accélérer l’adoption des normes.

Il encourage aussi les re‐ présentant­s de l'industrie, parfois frileux, à se montrer ouverts aux nouvelles pra‐ tiques, ainsi que les minis‐ tères et les municipali­tés à soutenir les entreprise­s en achetant du béton bas en carbone.

Au rythme actuel, le pro‐ fesseur Tagnit-Hamou pense que les changement­s de pra‐ tiques ne sont pas assez ra‐ pides pour atteindre les ob‐ jectifs de réduction des émis‐ sions de gaz à effet de serre.

D’un autre côté, la précipi‐ tation n’est pas toujours bien accueillie, comme on a pu le voir dans le dossier North‐ volt.

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