Radio-Canada Info

Dans la tête de monsieur macaque

- Alain Labelle

Grâce à un implant intra‐ crânien placé dans le cer‐ veau de macaques, des neuroscien­tifiques améri‐ cains et canadiens ont réussi à observer les signa‐ tures cérébrales associées à 24 comporteme­nts so‐ ciaux au niveau des neu‐ rones individuel­s.

Le Québécois Sébastien Tremblay est l’un des pre‐ miers auteurs de l’étude pu‐ bliée dans la revue Nature (en anglais) qui détaille cette percée, réalisée grâce à une technologi­e dont la précision dépasse de loin celle de l'imagerie par résonance ma‐ gnétique.

Comprendre la neurobio‐ logie des comporteme­nts des primates, c’est aussi comprendre celle des hu‐ mains, rappelle le Dr Trem‐ blay, professeur adjoint à la Faculté de médecine de l'Uni‐ versité Laval et chercheur au centre CERVO.

D’un primate à l’autre

Et pour y arriver, le ma‐ caque est le modèle animal parfait, puisqu’il partage en‐ viron 95 % de son code géné‐ tique avec l’humain.

C’est un singe qui partage beaucoup d’éléments de notre anatomie, de notre sys‐ tème immunitair­e, de nos comporteme­nts sociaux et intellectu­els, rappelle le Dr Tremblay.

Toutefois, encore au‐ jourd’hui, notre compréhen‐ sion de la neurobiolo­gie du comporteme­nt des singes découle en grande partie de tâches artificiel­les réalisées dans des environnem­ents de laboratoir­e très contrôlés.

Comment alors réussir à voir ce qui se passe dans le cer‐ veau du singe dans un envi‐ ronnement naturel, sans le restreindr­e dans ses mouve‐ ments?

Un implant à la res‐ cousse

Toute grande découverte naît d’une innovation techno‐ logique, relève Sébastien Tremblay. Il nous fallait ce‐ pendant régler le problème technologi­que pour nous permettre d’enregistre­r l'acti‐ vité du cerveau chez un singe en liberté, qui peut bouger et interagir comme il le veut.

Ses collègues et lui ont re‐ levé le défi en mettant au point un implant d'interfaces neuronales comparable à ce‐ lui de Neuralink du milliar‐ daire Elon Musk. Un implant placé à l'intérieur du cerveau qui, grâce à un réseau wi-fi, propage les données neuro‐ nales sans fil qui sont collec‐ tées dans un ordinateur sans contraindr­e les mouvements du participan­t.

Ces implants intracrâ‐ niens nous donnent accès à l'activité de centaines de neu‐ rones à l'intérieur du cerveau qu'on est capable d'écouter avec une précision de l’ordre de la millisecon­de. Ces don‐ nées sont enregistré­es sans fil, alors que les singes se comportent de manière na‐ turelle.

Sébastien Tremblay, cher‐ cheur au centre CERVO

Appelés Utah Array, ces implants sont aussi utilisés chez plusieurs dizaines de patients humains dans des applicatio­ns d’interfaces cer‐ veau-machine qui leur per‐ mettent de contrôler des ob‐ jets dans leur environne‐ ment, ce qui est particuliè­re‐ ment utile pour des patients qui sont paralysés.

Je te grattes gratte, tu me

Dans leurs travaux, les chercheurs ont placé l’im‐ plant dans les cerveaux de deux mâles macaques qui partageaie­nt chacun leur en‐ clos avec une femelle. Les deux partenaire­s étaient en couple et se connaissai­ent très bien.

Les implants ont été pla‐ cés dans le cerveau à l’aide de techniques neurochiru­rgi‐ cales semblables à celles uti‐ lisées chez l'humain, avec les mêmes standards éthiques.

On a été capables d'enre‐ gistrer la signature neuronale du plus grand éventail de comporteme­nts qu'on ait ja‐ mais pu étudier chez le pri‐ mate. Et quand je dis le pri‐ mate, j'inclus l'humain, Homo sapiens.

Sébastien Tremblay, CERVO

Les chercheurs ont identi‐ fié en tout 24 gestes naturels, qui incluaient les actions de s’alimenter, de se déplacer, de se chicaner, de se battre, de s’accoupler et de se toilet‐ ter (grooming) mutuelleme­nt, un comporteme­nt typique très important chez le ma‐ caque qui contribue à main‐ tenir les relations et les al‐ liances.

Le grooming, c'est l'équi‐ valent de se faire un mas‐ sage chez l’humain. Cela veut dire : tu es important pour moi, je m’occupe de toi, re‐ marque le chercheur.

À l’aide d’un système de caméras, de petits enregis‐ treurs de données sans fil, des implants et des tech‐ niques avancées d'intelli‐ gence artificiel­le, on a été ca‐ pables de quantifier les com‐ portements et de voir exacte‐ ment combien de temps ils prennent l’un et l’autre aux différente­s tâches, dont le toilettage.

Sébastien Tremblay, cher‐ cheur au centre CERVO

Pour la première fois, les chercheurs ont ainsi recueilli des informatio­ns sur l'activité de centaines de neurones in‐ dividuels dans le cerveau des macaques.

Ces neurones se trou‐ vaient dans deux régions (cortex infratempo­ral et cor‐ tex préfrontal) du cerveau qui représente­nt des extré‐ mités relativeme­nt opposées de la voie de traitement de l'informatio­n. L’une d’elles

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada