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Des skis fabriqués à Saint-Narcisse-de-Rimouski pour l’armée canadienne

- Édouard Beaudoin

L'usage des skis au sein des Forces armées canadienne­s peut a priori paraître mar‐ ginal. Ils constituen­t pour‐ tant un élément crucial de la mobilisati­on de cer‐ taines brigades au pays. Et depuis le début de l'année, certains soldats ont au pied des paires de skis conçues et fabriquées à Saint-Narcisse-de-Ri‐ mouski.

Je vais utiliser cette ex‐ pression : c'est comme une li‐ corne dans le domaine. Tout le monde sait c'est quoi une licorne, mais personne n'en a jamais vu. Guillaume Belhu‐ meur, copropriét­aire et direc‐ teur des ventes et marketing de l'entreprise R & D Skis, ne peut s'empêcher de sourire lorsqu'il mentionne son plus gros client, les Forces armées canadienne­s.

L'aventure de l'entreprise basée en Estrie aurait pu commencer il y a 15 ans, no‐ tamment sous l'impulsion du néo-Rimouskois Mathieu Cro‐ teau Gauthier, alors étudiant en arts visuels à l'Université du Québec à Montréal (UQAM). J'avais recommencé à faire plus de ski que pen‐ dant mes dernières années d'études, et je me suis dit : "C'est vraiment ça que je veux faire".

Ce n'est qu'en 2019 qu'il s'allie avec son ami d'en‐ fance, Guillaume, pour créer la marque R & D Skis. Venant de débarquer au Bas-SaintLaure­nt, M. Croteau Gauthier s'est trouvé un emploi à l'usine Utopie MFG, la plus importante usine de fabrica‐ tion de skis en sous-traitance en Amérique du Nord, basée à Saint-Narcisse-de-Rimouski. L'installati­on, qui n'a cessé de grandir dans les dernières années, fabrique la plupart des skis de marques québé‐ coises.

On avait un petit trou dans la production et je me suis dit : ''Moi, je vais placer une commande et je vais faire des skis!'', rit Mathieu Croteau Gauthier, du haut de ses 6 pieds 7 pouces.

L'appel (d'offres) de la patrie

Très tôt, l'entreprise se spécialise dans la fabricatio­n de skis hors-piste. Ils ont misé juste, croient-ils, avec l'explosion de la popularité du sport pendant la pandé‐ mie de COVID-19.

Une des choses aussi qu'on a décidé de faire, qui est peut-être un peu diffé‐ rente, c'est de se lancer dans les skis corporatif­s. De vendre des skis à des entre‐ prises avec un branding dé‐ dié à l'entreprise, ajoute Guillaume Belhumeur. On se

disait qu'il y avait une niche.

Une rumeur circulait dans l'industrie voulant qu'une en‐ treprise en particulie­r souhai‐ tait renouveler sa flotte de skis. Non, ce n'était pas une boutique quelconque, mais bien le ministère de la Dé‐ fense nationale, qui a lancé l'année dernière un appel d'offres pour dénicher 500 paires de skis pour ses troupes. Flairant l'opportu‐ nité, l'entreprise a soumis son dossier au ministère, tout comme une poignée d'autres à travers le Canada.

Les soldats font du ski

Loin d'un monde de li‐ cornes, l'usage des skis au sein des Forces armées cana‐ diennes peut s'avérer fort pratique lors de certains dé‐ ploiements en zone isolée.

C'est silencieux, donc c'est discret, lance d'emblée le ca‐ pitaine Jérémie Legault, offi‐ cier d'infanterie au Régiment des Voltigeurs de Québec. Ça demande peu de mainte‐ nance pour nos troupes qui les utilisent, et c'est assez versatile; ça nous permet de nous déplacer dans des ter‐ rains parfois plus compli‐ qués, plus complexes pour des véhicules, même pour des motoneiges.

L'officier d'infanterie a multiplié les exercices mili‐ taires au sein du groupecomp­agnie d'interventi­on dans l'Arctique (GCIA), une unité du 35e Groupe-brigade du Canada, basé à Québec, qui peut se déployer dans le nord du Canada. On se spé‐ cialise dans les opérations de combat, de recherche et sau‐ vetage dans le Grand Nord, résume celui qui a aussi par‐ ticipé à plusieurs entraîne‐ ments en Norvège avec d'autres militaires de l'Orga‐ nisation du traité de l'Atlan‐ tique Nord (OTAN).

Essentiell­ement, les skis sont utilisés afin de se dépla‐ cer, que ce soit en groupe ou attelés par une motoneige, en terrain montagneux ou plat. Les palettes au pied peuvent procurer un avan‐ tage tactique aux troupes, renchérit Jérémie Legault. Les Norvégiens nous ont fait une démonstrat­ion d'une moto‐ neige qui se déplaçait le soir à environ 1,5 km de notre camp. On était capable de l'entendre [...]. Versus des skieurs norvégiens qui étaient rendus à peine à 60 mètres de notre camp, on ne les avait jamais entendus.

Les 500 paires fabriquées à l'usine Utopie MFG, à SaintNarci­sse-de-Rimouski, ont été livrées en janvier au 5e Groupe-brigade mécanisé du Canada, basé à Valcartier. Seul hic, les soldats n'ont pas encore pu en faire l'essai, no‐ tamment en raison du faible couvert de neige cet hiver.

Des skis de grade mili‐ taire

En remportant l'appel d'offres, R & D Skis voulait dès le départ s'assurer que les soldats trouveraie­nt chaussure à leurs pieds. Ils ont alors consulté le comité technique responsabl­e du contrat pour les Forces ar‐ mées afin de déterminer leurs besoins, parce qu'il s'avérait évident que le ski ne serait pas emprunté de la collection existante.

On ne veut pas quelque chose qui soit à mi-chemin, on veut être sûrs [qu'ils soient] satisfaits, résume Ma‐ thieu Croteau Gauthier, qui se targue d'avoir conçu un ski sur mesure pour les soldats. Plusieurs facteurs ont dû être pris en compte, comme le poids du soldat avec son équipement sur le dos, et leurs bottes, très larges et peu adaptées à la glisse sur des skis.

On ne parle pas d'athlètes en ski. Ce ne sont pas des gens expériment­és en ski, ce sont des soldats!, rappelle le concepteur de l'entreprise, qui vend exclusivem­ent ses produits sur le web.

Plusieurs personnes au Québec ont déjà fait du ski une ou deux fois par année dans des pistes de ski de fond, c'est une chose, avance le capitaine Jérémie Legault. Maintenant, de maîtriser les skis hors-piste avec de l'équi‐ pement militaire sur le dos et une arme personnell­e en plus dans les mains, c'est tout un défi. Donc, ça de‐ mande un niveau d'entraîne‐ ment spécialisé auprès de nos troupes.

On leur a donné un ser‐ vice cinq étoiles!

Mathieu Croteau Gau‐ thier, copropriét­aire et concepteur pour R & D Skis

Un service qui va de la conception générale jus‐ qu'aux plus fins détails, comme le nom donné aux skis : Bravo Zulu. L'expres‐ sion, explique Mathieu Cro‐ teau Gauthier, est employée par les soldats canadiens pour souligner leurs bons coups. L'armée n'était pas au courant! On leur a livré le ski, et il y avait ça dessus, ils ont dit : ''Wow!'' Ils ont trouvé ça cool, sourit le Rimouskois.

La principale distinctio­n entre les skis vendus dans un magasin et ceux aux pieds de soldats canadiens se trouve à la base. Plutôt que d'être lisse, elle est munie d'écailles, ce qui élimine le besoin de retirer ou d'appliquer des peaux de phoque lors de transition­s, pour davantage de polyvalenc­e et de rapidité.

Ce sont des skis principa‐ lement en fibre de verre, ils ont une meilleure durabilité, décrit son concepteur. On est allés avec des grades de fibre de verre qui sont encore meilleurs, spécifique­ment pour ce projet-là. Le coeur du ski est également composé de bois, local, du Bas-SaintLaure­nt, certifie Mathieu Cro‐ teau Gauthier.

Guillaume Belhumeur at‐ tribue le succès de son entre‐ prise dans ce concours en bonne partie à son collègue. On est une des seules com‐ pagnies où, au sein même de l'entreprise, on a vraiment un concepteur de skis, quel‐ qu'un qui fait ça de sa vie [...]. Il n'y en a pas des tonnes en Amérique!

On avait une profondeur technique probableme­nt beaucoup plus importante que les autres compagnies d'avant, ce qui a permis vrai‐ ment de challenger les be‐ soins des Forces armées et de fabriquer un ski 100 % sur mesure pour eux.

Guillaume Belhumeur, co‐ propriétai­re et concepteur chez R & D Skis

Il croit par ailleurs que l'obtention de ce contrat a amené crédibilit­é et sécurité financière à son entreprise. Il ne faut pas se le cacher, les années après-COVID dans le domaine sont un peu plus difficiles.

Les deux copropriét­aires soulignent également leur collaborat­ion avec l'usine Utopie MFG, qui célèbre cette année son 20e anniversai­re. Elle produit plus de 15 000 paires de skis annuelleme­nt, dont ceux de R & D Skis, qui viennent avec une petite touche artistique. On s'est dit qu'on va y aller all-in, avec des artistes québécois, se re‐ mémore le concepteur Ma‐ thieu Croteau Gauthier.

Je pense qu'on a une belle recette, affirme Guillaume Belhumeur, qui entend pour‐ suivre sur cette lancée aux côtés de son acolyte rimous‐ kois.

À consulter aussi :

Une deuxième planche à neige d'Utopie MFG aux Jeux olympiques La leçon afghane

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