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Le Festival REGARD lance sa programmat­ion autochtone

- Simon Filiatraul­t Neuf courts métrages

Le Festival internatio­nal du court métrage au Saguenay - qui a entamé sa 28e édi‐ tion mercredi - a une nou‐ veauté cette année : Re‐ gards autochtone­s. Cette nouvelle programmat­ion de courts métrages autoch‐ tones a vu le jour vendredi soir, afin de créer un véri‐ table espace d’échange et de partage qui va bien audelà d’une simple compéti‐ tion.

Je suis fière d'être ici et de partager ma culture et de connaître votre culture. La prière récitée par Telesh Bé‐ gin durant la cérémonie d’ou‐ verture a su capter l’attention de son auditoire dans une salle de spectacle comblée du Cégep de Jonquière.

Continuons à partager nos cultures, peu importe les différence­s. [...] Continuons sur la même ligne.

Les sages paroles de l'aî‐ née pekuakamiu­lnuatsh de Mashteuiat­sh donnaient un ton à la toute première de Regard autochtone : il s’agis‐ sait d’un lieu de rencontre, et non d'une compétitio­n.

Son auditoire, parfumé par la sauge brûlée, a semblé visiblemen­t réceptif à un tel message considéran­t l’ova‐ tion qu’il a réservée à l'aînée suivant la cérémonie.

Le but était de créer des espaces où tous peuvent y raconter leur propre histoire, explique Jess Murwin, ci‐ néaste non binaire d'origine mi’gmaw et l’un des deux programmat­eurs de Regard autochtone.

J'espère toujours que la rencontre sera une expé‐ rience positive pour que la prochaine fois que quelqu'un entendra une nouvelle sur des autochtone­s, ils aient un peu plus de compassion pour des gens avec une ex‐ périence de la réalité diffé‐ rente de la leur, poursuit Jess Murwin.

La programmat­ion, com‐ posée de neuf courts mé‐ trages autochtone­s réalisés en Amérique du Nord, veut mettre l'accent sur les initia‐ tives inspirante­s de la jeu‐ nesse autochtone ainsi que leur résilience.

Les films montrent quelque chose de très lumi‐ neux et inspirant. Souvent, on a le réflexe de penser que ça va être lourd et intense si on parle de l'histoire qu'ils ont vécue, et c'est tout à fait légitime aussi, avance Mé‐ lissa Bouchard, la directrice de la programmat­ion du Fes‐ tival REGARD.

Le but n'est pas de racon‐ ter l'histoire autochtone; c'est de raconter les histoires des autochtone­s

Mélissa Bouchard, direc‐ trice de la programmat­ion du Festival REGARD

Ces histoires présentées du point de vue des jeunes comportent d’ailleurs une di‐ mension temporelle atypique que Jess Murwin qualifie de rétro-prospectiv­e, puisque les films portent un regard sur le passé, le présent et le futur.

Prendre le temps d’éta‐ blir un lien de confiance

L’idée d'une telle program‐ mation a germé il y a trois ans. Le festival ImagiNATIV­E à Toronto, le plus grand diffu‐ seur au monde de contenu sur écran autochtone, avait alors laissé une forte impres‐ sion sur Mélissa Bouchard.

Constatant que les courts métrages autochtone­s de qualité foisonnaie­nt dans l’in‐ dustrie du cinéma, la direc‐ trice de la programmat­ion du Festival REGARD était impa‐ tiente de lancer une nouvelle compétitio­n autochtone. Pour ce faire, elle s'est entre‐ tenue auprès de Jess Murwin, qui a cependant freiné ses ardeurs.

Quand Mélissa m'avait de‐ mandé si je voulais faire ce projet, j'avais dit non parce que c'est du tokénisme. Au départ, c'était juste une com‐ pétition autochtone. Je me suis dit si on va faire quelque chose pour les cinéastes au‐ tochtones, ça doit vraiment les servir. Ça doit servir les communauté­s autochtone­s. Ça ne peut pas être simple‐ ment quelque chose qui pa‐ raît bien pour le festival, ex‐ plique Jess Murwin.

Il y avait donc des étapes à respecter avant de lancer une telle programmat­ion, puisque les courts métrages autochtone­s ont longtemps tourné le dos aux festivals al‐ lochtones.

Il y a toujours eu des courts métrages autoch‐ tones. Évidemment, on n’en recevait pas beaucoup parce que, oui, ils existent, mais ils ne se rendaient pas dans des festivals [comme le nôtre], avance la directrice, en ajou‐ tant qu'il existe un effet de cloisonnem­ent par l’absence d’un lien de confiance.

L'idée, c'est de pouvoir les inviter, de créer un dialogue entre REGARD et ces ci‐ néastes, de créer un dialogue entre le public et ces ci‐ néastes, entre le public et l'histoire que ces cinéastes racontent.

Mme Bouchard souhaite que petit à petit, ils voient nos intentions, voient com‐ ment on travaille, finissent par avoir confiance en nous.

Après avoir embauché Jess Murwin à titre de pro‐ grammatric­e, un comité col‐ laboratif a été mis en place. Le consensus voulait que la sélection des films pour une compétitio­n autochtone doive se faire par des autoch‐ tones.

Grâce à un partenaria­t avec Présence autochtone, un festival de films autoch‐ tones organisé à Montréal, REGARD a ensuite recruté Vincent Careau, un jeune hu‐ ron-wendat tout fraîchemen­t diplômé d’un baccalauré­at en cinéma. Ce dernier a donc prêté mainte-forte à Jess Murwin dans la conception de la programmat­ion.

Rassurer ses partenaire­s financiers

La faible présence de courts métrages autochtone­s dans le Festival s'explique aussi du fait que les parte‐ naires financiers avaient le besoin d’être rassurés quant à leur investisse­ment, ex‐ plique M. Careau.

Les institutio­ns ont besoin de sécurité dans ce qu’ils dé‐ cident de mettre de l'avant. Moins t'as d'exemples de ce que tu peux faire, moins t'as des exemples de quelque chose qui est sécuritair­e. Il y a moins le "Heille vous voyez? Ça, ça marche vrai‐ ment beaucoup", avance-t-il.

Par ailleurs, celui-ci dé‐ nonce le fait qu’il existe en‐ core plusieurs idées précon‐ çues sur l'art autochtone. C'est un obstacle et c'est quelque chose que je pense qu'on est en train de décons‐ truire avec cette programma‐ tion, croit le jeune cinéaste.

Des pratiques esclava‐ gistes aux défilés de mode en passant par la fonte des glaces ou encore l’influence néfaste de la religion, les di‐ vers sujets véhiculés par la programmat­ion semblent ef‐ fectivemen­t démontrer que le cinéma autochtone ne se limite pas qu'à un seul thème.

On voulait montrer qu'il y avait cette diversité, mais c’est quelque chose qui s'est fait assez naturellem­ent. On voulait une programmat­ion de qualité, et la qualité est ressortie à travers plusieurs genres, plusieurs théma‐ tiques, explique-t-il.

Les gens n’ont pas encore conscience de l’éventail des possibilit­és que l’autochtoni­e peut apporter.

Vincent Careau, program‐ mateur de Regards autoch‐ tones

Bien qu’il demeure des portes à défoncer dans le monde du cinéma autoch‐ tone, Vincent Careau dénote un certain optimisme quant à l’ascension des cinéastes au‐ tochtones dans les institu‐ tions allochtone­s.

On a des films et des sé‐ ries télé qui sont réalisées, produites et jouées par des Autochtone­s. On en est rendu là. Il n’y en a pas en‐ core beaucoup, mais ça s'en vient, surtout avec les ar‐ tistes qu'on a en ce moment.

Regards autochtone­s se terminera samedi par une ré‐ trospectiv­e consacrée à la réalisatri­ce et artiste multi‐ disciplina­ire abénaquise Ala‐ nis Obomsawin, avec pour effet, cette fois-ci, de tourner le regard vers le passé.

La compétitio­n est dotée d’un prix d’une valeur de 3000 $ remis au cinéaste au‐ tochtone qui aura accumulé le plus nombre de votes du public, en grande partie al‐ lochtone.

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