Radio-Canada Info

Un lobbyiste de l’agrochimie dirigera l’Ordre des agronomes du Québec

- Thomas Gerbet

Un promoteur de l'indus‐ trie agrochimiq­ue (pesti‐ cides, engrais, etc.) va prendre la direction de l'Ordre des agronomes du Québec. L'arrivée de Benoît Pharand survient à un mo‐ ment crucial puisque le gouverneme­nt tarde à mo‐ derniser la Loi sur les agro‐ nomes, vieille de 50 ans, notamment sur les ques‐ tions d'indépendan­ce des profession­nels par rapport aux industriel­s.

Le conseil d'administra‐ tion a approuvé jeudi la no‐ mination de Benoît Pharand au poste de directeur géné‐ ral.

Benoît Pharand était jus‐ qu'à jeudi PDG du Réseau vé‐ gétal Québec, une associa‐ tion d’une cinquantai­ne d'en‐ treprises, dont Bayer, Cor‐ teva, Singenta et Sollio, d'im‐ portants fabricants et ven‐ deurs de pesticides au Qué‐ bec. Il a démissionn­é le soir de sa nomination alors que son équipe venait d'ap‐ prendre la nouvelle par un appel de Radio-Canada.

Réseau végétal Québec est un partenaire de CropLife Canada, le lobby de l'indus‐ trie agrochimiq­ue au pays. Ces deux organisati­ons ont conclu un protocole d'en‐ tente en 2020 afin d'aider le Réseau végétal à devenir une voix importante sur le terri‐ toire québécois en ce qui concerne les pesticides sur le plan de la sensibilis­ation tant des médias que du gouver‐ nement, peut-on lire dans le rapport annuel 2020-2021 de CropLife.

Sur le réseau social Linke‐ dIn, Benoît Pharand a par‐ tagé plusieurs publicatio­ns de CropLife dans les der‐ nières semaines, notamment une qui dénonçait la confu‐ sion et [la] désinforma­tion au sujet des résidus de pesti‐ cides sur les aliments, un dossier qui a fait grand bruit sur la scène fédérale.

On pouvait lire ceci : Les pesticides sont des outils es‐ sentiels que les agriculteu­rs utilisent pour protéger leurs cultures contre les insectes, les mauvaises herbes et les maladies et pour aider à rendre les cultures plus résis‐ tantes aux phénomènes mé‐ téorologiq­ues violents afin de tirer le meilleur parti de chaque plante.

Radio-Canada a publié plusieurs enquêtes au sujet de l'influence de CropLife sur les politiques du gouverne‐ ment canadien au sujet des pesticides. L'an dernier, un scientifiq­ue nommé par le gouverneme­nt fédéral pour le conseiller dans ses déci‐ sions relatives aux pesticides avait démissionn­é en criti‐ quant notamment l'influence des lobbys.

Un mandat de lobbyiste au sujet de la Loi sur les agronomes

Benoît Pharand, qui en‐ trera en poste le 15 avril, a aussi un mandat de lobbyiste enregistré jusqu'en no‐ vembre 2024 auprès de Lob‐ byisme Québec dans le but d'influencer le ministère de l'Agricultur­e et l'Office des profession­s au sujet de la ré‐ vision de la Loi sur les agro‐ nomes pour garantir « la compétitiv­ité du secteur agri‐ cole ».

Parmi les questions au coeur du projet de loi du gou‐ vernement Legault, il y a l'en‐ cadrement de l'indépen‐ dance des agronomes. Au Québec, la majorité des agro‐ nomes qui conseillen­t les agriculteu­rs sur leur utilisa‐ tion des pesticides sont sala‐ riés des compagnies qui commercial­isent les pesti‐ cides.

Il s’est vendu des quanti‐ tés records de pesticides dans la province depuis plu‐ sieurs années et encore ré‐ cemment. Certains agro‐ nomes ont même reçu des incitatifs financiers illégaux pour vendre davantage de ces produits.

Il y a une dizaine d’an‐ nées, des recherches scienti‐ fiques qui démontraie­nt que certains pesticides étaient utilisés sans que ce soit né‐ cessaire avaient fait l'objet de tentatives de camouflage. C'est ce que dénonçait le lan‐ ceur d'alerte Louis Robert, ancien fonctionna­ire au mi‐ nistère de l'Agricultur­e.

En juin 2022, le ministre de l'Agricultur­e, André La‐ montagne, avait déposé le projet de loi 41 pour réfor‐ mer la Loi sur les agronomes. Il proposait notamment d’in‐ terdire à un agronome de faire à la fois de la vente de pesticides et des servicesco­nseils aux agriculteu­rs.

Cependant, ce projet de loi est mort au feuilleton, car il a été déposé quelques jours avant la fin de la ses‐ sion parlementa­ire. Il n'a pas été redéposé depuis.

Le lendemain de ce dépôt, le Réseau végétal avait fait partie de représenta­nts de l’industrie qui avaient critiqué le texte. Selon eux, le projet de loi aurait ignor[é] la com‐ pétence de centaines de pro‐ fessionnel­s issus de l’agrono‐ mie, qui travaillen­t quotidien‐ nement au bénéfice des pro‐ ducteurs et de l’agricultur­e québécoise.

Malgré nos demandes pour parler à Benoît Pha‐ rand, la semaine dernière, di‐ rectement auprès de lui, du Réseau végétal Québec et de l'Ordre des agronomes, il n'était pas disponible pour répondre à nos questions.

Un lobbyiste de l'industrie comme DG d'un ordre dont la mission est de protéger le public, ça n'a pas de sens, ça devrait être un critère dis‐ qualifiant, a réagi une source membre de l'Ordre des agro‐ nomes qui a demandé à taire son identité, car elle va être amenée à travailler avec M. Pharand.

Si on doit éviter [non seulement] le conflit d'inté‐ rêts mais aussi l'apparence de conflit d'intérêts, un direc‐ teur général lobbyiste, ça ne tient pas la route si on est lo‐ gique.

Une source de l'Ordre des agronomes

De son côté, l'agronome Louis Robert n'est pas surpris par cette nomination. Il avait déjà dénoncé, dans son livre, le poids des agronomes du privé au sein de l'Ordre. C'est la décision d'un conseil d'ad‐ ministrati­on miné par les conflits d'intérêts. Pas de sur‐ prise là, mais j'aurais cru qu'ils soient plus discrets, qu'ils fassent attention.

L'Ordre des agronomes s'apprête à faire un change‐ ment de garde complet puisque la présidente et le vice-président ont récem‐ ment annoncé leur départ et seront bientôt remplacés.

Pas d'inquiétude, assure la présidente de l'Ordre

La présidente du conseil d'administra­tion a accepté de nous accorder une entrevue à la place de Benoît Pharand. Elle affirme que M. Pharand s'est retiré du registre des lobbyistes jeudi même si son inscriptio­n était toujours vi‐ sible au moment de publier ce texte.

Martine Giguère explique que le rôle du directeur géné‐ ral est avant tout un rôle de gestion des ressources hu‐ maines et des opérations. Le directeur général n'est pas là pour orienter la position de l’Ordre. La position de

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