Les géants du tabac obtiennent un 12e sursis pour achever leur restructuration
À Toronto, les entreprises de tabac JTI-Macdonald, Rothmans, Benson & Hedges et Imperial Tobacco ont obtenu lundi sans sur‐ prise d'un juge ontarien un 12e sursis pour poursuivre leur restructuration finan‐ cière après cinq ans de né‐ gociations avec leurs créanciers. Personne ne s'était opposé à leur re‐ quête.
Les trois entreprises sont en difficulté financière depuis que la Cour d'appel du Qué‐ bec les a forcées, en mars 2019, à indemniser à hauteur de quelque 14 milliards de dollars 100 000 victimes du tabagisme dans cette pro‐ vince.
La protection dont bénéfi‐ cient les trois cigarettières expirait vendredi, mais leurs avocats demandaient une prolongation supplémentaire de six mois, cette fois jus‐ qu'au 30 septembre 2024.
Les avocats ont assuré que leurs clients avaient as‐ sez de liquidités pour pour‐ suivre leurs opérations et ils assurent que les discussions avancent bien et qu'ils négo‐ cient de bonne foi.
Le juge en chef de la Cour supérieure de l'Ontario, Geoffrey Morawetz, qui est en charge maintenant du dossier, a dit s'attendre à ce que les entreprises pour‐ suivent leurs progrès au cours des six prochains mois.
Les négociations se dé‐ roulent derrière portes closes depuis 5 ans, si bien qu'on ignore où en sont les pourparlers.
Quelques réactions
Dans un courriel, la Coali‐ tion québécoise pour le contrôle du tabac ne se dit pas surprise, parce que le processus en soi est tout à leur avantage et voué à maintenir l’industrie en af‐ faires.
Sa codirectrice, Flory Dou‐ cas, dit en revanche que le le mutisme du Québec et de l’Ontario dans cette affaire la consterne, parce que ces deux provinces ont, selon elle, la capacité de faire aboutir le processus dans une toute autre direction si elles agissaient ensemble.
Or, les provinces conti‐ nuent de placer leur confiance dans un processus qui privilégie la viabilité d’une industrie mortelle, au lieu de compenser les victimes qué‐ bécoises dans un délai convenable et d’accélérer le changement radical des com‐ portements industriels à la base de millions de décès évitables.
Flory Doucas, codirectrice de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac
Mme Doucas répète que les trois entreprises conti‐ nuent en toute impunité de commercialiser de nouveaux produits, causant des dom‐ mages à la santé et au bienêtre de nouveaux fumeurs, sans compter les coûts éven‐ tuels imputés au système de santé.
La Société canadienne du cancer ajoute que les nom‐ breux reports dans cette saga judiciaire fait en sorte que de nombreuses victimes du recours collectif québé‐ cois sont décédées sans avoir reçu de compensation juste.
L'avocat Rob Cunningham, pour qui la Société a obtenu un statut d'observateur dans ce litige, parle d'une situation tragique.
Ces retards signifient éga‐ lement que les mesures vi‐ sant à réduire la consomma‐ tion de tabac n'ont toujours pas été implantées dans un éventuel règlement avec les créanciers.
Rob Cunningham, avocat de la Société canadienne du cancer
Me Cunningham soutient que les provinces devraient faire de ces mesures sani‐ taires la priorité absolue des négociations et saisir une op‐ portunité historique unique pour faire plier l'industrie.
L'avocat souhaite qu'au moins 10 % des bénéfices des entreprises soient rever‐ sés dans un fonds indépen‐ dant pour réduire la consom‐ mation de tabac. Toute pro‐ motion du tabac devrait en outre être interdite, dit-il.
Tous les documents se‐ crets internes des entre‐ prises devraient par ailleurs être rendus publics. Elles de‐ vraient enfin effectuer des paiements supplémentaires substantiels si les objectifs que leurs créanciers ont fixé ne sont pas atteints.
Retour à l'année 2019
Les trois entreprises ont obtenu la protection de la Loi fédérale sur les arrange‐ ments avec les créanciers après avoir perdu en appel dans le recours collectif de plus de 100 000 Québécois atteints d'une dépendance à la nicotine ou d'une maladie du tabac.
La Cour d'appel du Qué‐ bec avait confirmé le juge‐ ment d'un tribunal inférieur qui avait ordonné aux trois entreprises de débourser près de 15 milliards de dol‐ lars en dommages-intérêts aux fumeurs de cette pro‐ vince.
Elle avait conclu, tout comme la Cour supérieure du Québec d'ailleurs en 2015, que les fabricants de ciga‐ rettes avaient manqué à leur devoir d'informer leurs clients des dangers du tabac.
Après leur défaite, les trois entreprises se sont tour‐ nées vers un tribunal onta‐ rien pour obtenir la protec‐ tion des tribunaux.
Le juge Glenn Hainey, de la Cour supérieure de l'Onta‐ rio, avait donc suspendu le jugement de la Cour d'appel du Québec et, du même coup, toutes les poursuites judiciaires entamées contre les entreprises de tabac au Canada, dont celle du gou‐ vernement de l'Ontario.
Les provinces et terri‐ toires tentent de récupérer les sommes d'argent qu'elles ont investies durant des an‐ nées dans les soins aux ma‐ lades du tabagisme. La Co‐ lombie-Britannique avait ou‐ vert le bal il y a 20 ans, avant que les autres provinces ne lui emboitent le pas.
La Société canadienne du cancer chiffre ces sommes à plus de 500 milliards de dol‐ lars, dont 330 milliards pour la seule province de l'Onta‐ rio.