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Constituti­on américaine : un ancien juge plaide pour plus de pragmatism­e

- Érika Bisaillon

L’ex-juge progressis­te à la Cour suprême des ÉtatsUnis Stephen Gerald Breyer fait son cheval de bataille de l’interpréta­tion pragma‐ tique des textes de loi et de la Constituti­on américaine. Malgré son départ de l’ins‐ titution en juin 2022, il livre un combat au textualism­e et à l’originalis­me, des mouvements qui prennent de l'ampleur chez nos voi‐ sins du Sud.

Les textualist­es disent qu’il faut se fier aux mots. Certes, mais je pense que c’est une vision restrictiv­e. Il faut faire un effort pour cer‐ ner les véritables objectifs de la loi ainsi que sa valeur constituti­onnelle, explique-til en entrevue avec Janic Tremblay à l'émission Tout terrain.

Avec près de 30 ans d’ex‐ périence comme juge à la Cour suprême des États-Unis, Stephen Gerald Breyer est d’avis que « les valeurs » doivent l'emporter sur l’utili‐ sation des mots. Il faut se pencher sur les consé‐ quences probables d’une in‐ terprétati­on mensongère ou fautive, estime-t-il.

Les mots sont d’une grande aide, mais ils ne ré‐ pondent pas toujours à la question. Les juges doivent s’attarder et s’intéresser à ce que les pères fondateurs avaient en tête lorsque ces formulatio­ns ont été ajou‐ tées à la Constituti­on, dans les années 1788, poursuit-il, car le monde a changé.

Interpréte­r la Constituti­on n’est pas sans effort intellec‐ tuel.

Stephen Gerald Breyer, ex-juge progressis­te à la Cour suprême des États-Unis

Stephen Gerald Breyer fait directemen­t allusion au cou‐ rant actuel qui touche la Cour suprême des ÉtatsUnis. Au cours des dernières années, certains juges nom‐ més par l’ancienne adminis‐ tration de Donald Trump ont revendiqué une approche textualist­e de la Constituti­on et des textes de loi.

À écouter :

L'entrevue avec l'ancien juge de la Cour suprême des États-Unis Stephen Gerald Breyer diffusée à l'émission Tout terrain

Le port d’armes à New York

Il suffit de penser à l’arrêt New York State Rifle c. Bruen, qui a invalidé une loi newyorkais­e qui exigeait de four‐ nir une raison valable pour porter une arme dissimulée en public.

Dans ce cas, les textua‐ listes ont fondé leur argu‐ mentaire sur le deuxième amendement, qui stipule qu'une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit du peuple de détenir et de por‐ ter des armes ne doit pas être transgress­é.

Une interpréta­tion plutôt restrictiv­e de cet amende‐ ment a ainsi incité des juges à déclarer la loi new-yorkaise inconstitu­tionnelle.

« Je pense qu’un juge doit tenir compte du mal que les armes peuvent causer. Le droit présent dans la Consti‐ tution n'est pas absolu. Il doit être appliqué en fonction des objectifs visés et des consé‐ quences potentiell­es », croit l’ex-juge.

Il ajoute qu'il déteste ad‐ mettre non seulement la pré‐ sence d’environ 400 millions d’armes à feu aux États-Unis mais surtout la mort de 45 000 Américains rien qu’en 2020, causée par des armes, dont plus de la moitié étaient

des suicides.

Le droit à l’avortement remis en question

Plus connu au Québec et au Canada, l’arrêt Dobbs c. Jackson Women's Health Or‐ ganization (qui a invalidé l’ar‐ rêt Roe c. Wade concernant le droit à l’avortement) est issu d’une approche pure‐ ment textualist­e et origina‐ liste. En fait, les textualist­es estiment qu’il n’existe pas de droit à l’avortement dans la Constituti­on.

Rappelons que le 24 juin 2022, dans une décision his‐ torique, la Cour suprême des États-Unis a invalidé l'arrêt Roe c. Wade, enterrant ainsi le jugement de 1973 qui pro‐ tégeait le droit à l'avortement à l'échelle nationale.

Or, aux yeux de Stephen Gerald Breyer, cette loi éta‐ blissait depuis plus de 50 ans qu’une femme a le droit de se faire avorter jusqu’à 24 se‐ maines de grossesse aux

États-Unis.

Il estime ainsi que le prin‐ cipe stare decisis - un prin‐ cipe de droit qui fait en sorte que les décisions antérieure­s rendues par des tribunaux ne peuvent pas être infir‐ mées sans de graves motifs raisonnabl­es - a été bafoué.

De mauvaise foi?

Stephen Gerald Breyer est conscient que la question de la partisaner­ie politique se pose, mais cet homme qui a plus de 40 ans d’expérience à son actif pense cependant que tous les juges sont de bonne foi.

« Ce qui arrive, c’est que les groupes vraiment politi‐ sés font de grands efforts pour que le président nomme des juges qui abondent dans le sens de leurs idéaux », explique-t-il. À cet effet, Stephen Gerald Breyer souligne qu’il y a un fort risque qu'un juge mette ainsi ses propres valeurs et ses propres idées en avant.

Un juge ne doit jamais rendre un jugement en fonc‐ tion de la températur­e poli‐ tique. Or, les juges restent des êtres humains et sont af‐ fectés par le contexte poli‐ tique, déplore-t-il tout en rap‐ pelant l’importance de la sé‐ paration des pouvoirs.

Pas surprenant, alors, d'apprendre que seulement 41 % des Américains ap‐ prouvent le travail de la Cour suprême. C’est donc ce lien de confiance que Stephen Gerald Breyer essaie de re‐ construire avec la publicatio­n de son livre Reading the Constituti­on - Why I Chose Pragmatism, Not Textualism, dont la date de sortie est pré‐ vue le 26 mars.

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