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Projet de loi 56 : « On est sur le point de créer trois catégories d’enfants au Québec »

- Julie Roy

Élaboré dans l’optique de mieux protéger les enfants, le nouveau régime d’union parentale, présenté cette semaine par le gouverne‐ ment Legault, ne fait pas l’unanimité chez les spécia‐ listes du droit de la famille. Si certains y voient une avancée encouragea­nte, d’autres estiment qu’il rate complèteme­nt la cible.

Moi je considère que c’est un début, un début positif, a lancé l’avocate Marie-Annik Walsh, samedi, en entrevue à l’émission Les faits d’abord.

Ça met probableme­nt la table à un nouveau régime, croit-elle. Ça fait du bien d'avoir un début de disposi‐ tion pour les conjoints de fait.

Prévu par le projet de loi 56, le nouveau régime s’appli‐ quera à tous les Québécois en union libre qui auront des enfants à partir du 30 juin 2025. Dès lors, la résidence familiale, les meubles ainsi que les véhicules automo‐ biles seront inclus dans le pa‐ trimoine familial des conjoints de fait.

Ça va protéger la rési‐ dence familiale, le bien sou‐ vent [qui est] le plus impor‐ tant, et ça met des règles de base dans les relations de couple qui, en ce moment, ne sont pas régulées du tout, ex‐ plique Me Walsh. Le droit d’habitation, le droit d’usage, qu’est-ce qui arrive quand on quitte… tout ça est réglé par la nouvelle loi.

Une protection automa‐ tique

Les conjoints de fait se‐ ront automatiqu­ement cou‐ verts par le nouveau régime, et auront la possibilit­é de s’en retirer par une procé‐ dure notariée.

Selon moi, c’est une meilleure solution que l’op‐ ting in [actuelle], soutient le directeur général de l’Asso‐ ciation profession­nelle des notaires du Québec, François Bibeau.

L’opting in [l'inscriptio­n volontaire], c’est ce qu’on vi‐ vait jusqu’à aujourd’hui. Les gens qui voulaient être proté‐ gés devaient aller chez le no‐ taire ou chez l’avocat faire une convention d’union de fait. Avec l’opting out [la dés‐ inscriptio­n], s’ils ne font rien, à tout le moins ils vont avoir une protection. Ça, c’est une bonne chose.

Le nouveau régime pré‐ voit également une presta‐ tion compensato­ire pour un conjoint qui aurait été lésé fi‐ nancièreme­nt pendant l’union.

Néanmoins, il exclut cer‐ tains éléments d’enrichisse‐ ment du patrimoine familial, tels les REER et les fonds de pension.

La question des REER et des fonds de pension, c’est plus une question sociale et philosophi­que qu’une ques‐ tion législativ­e à cette étapeci, estime Me Walsh.

J’ai l’impression que c’est une des questions princi‐ pales pourquoi les gens ne se marient pas; parce qu’ils ne partageron­t pas leurs fonds de pension et leurs REER, poursuit-elle. C'est pour ça que je dis que c’est un début. Peut-être que la phase 2 in‐ clura d’autres biens. Pour l’instant, j’ai l’impression qu’on n’est peut-être pas rendu là socialemen­t.

Des catégories d’enfants

Le doyen de la faculté de droit de l’Université McGill, Robert Leckey, est beaucoup plus critique par rapport au projet de loi 56.

Ça se limite aux couples qui ont un enfant commun; ça ne touche pas aux familles recomposée­s et ça ne touche pas aux unions de fait sans enfant, remarque-t-il.

D’autre part, l’entrée en vi‐ gueur est reportée en 2025, donc ça ne touchera pas les enfants existants nés en conjoints de fait. Je trouve ça contradict­oire que le ministre dit vouloir protéger les en‐ fants, mais pas les enfants qu’on trouve dans les rues maintenant; seulement les enfants à naître.

Me Leckey se désole que le gouverneme­nt Legault n’ait pas choisi d’appliquer aux conjoints de fait les protec‐ tions qui existent depuis les années 80 pour les conjoints mariés. Comme 40 % des couples vivent en union libre au Québec, beaucoup d’en‐ fants ne bénéficien­t pas des mêmes protection­s que les enfants issus d’un mariage.

On est sur le point de créer trois catégories d’en‐ fants au Québec. Les mieux protégés seront ceux dont les parents sont mariés. En deuxième place, il y a les en‐ fants à naître à compter de juin 2025, dont les parents seront en union parentale. Et la troisième catégorie, les en‐ fants les moins favorisés, se‐ ront les enfants existants des parents en union de fait, les enfants de famille recompo‐ sée en union de fait, soutient Me Leckey, qui croit que cette réforme du droit de la famille rate la cible.

Trois catégories, ça ne cadre pas très bien avec le souhait du Code civil que tous les enfants soient égaux. C’est un peu difficile à avaler, conclut-il.

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