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Il y a 25 ans, le Nunavut devenait un territoire

- Matisse Harvey

Le 1er avril 1999, le Nuna‐ vut redessinai­t la carte du Canada en devenant un territoire. Avec ses quelque deux millions de kilo‐ mètres carrés, soit l’équi‐ valent du cinquième de la superficie du pays, il confé‐ rait finalement aux Inuit le contrôle de leur destinée. Entre espoirs et décep‐ tions, des sentiments com‐ plexes habitent aujourd’hui la nouvelle génération qui a vu le jour depuis ce mo‐ ment charnière.

Née peu après le solstice d’été, en 1999, Eva Muckpah figure parmi les premiers nouveau-nés du Nunavut. Elle fait partie de la généra‐ tion qui a eu le temps de voir grandir le territoire depuis sa création.

Aujourd’hui étudiante au Collège de l’Arctique du Nu‐ navut, à Iqaluit, Eva Muckpah est en voie de devenir tra‐ vailleuse sociale.

J’espère qu’il y aura davan‐ tage de travailleu­rs inuit dans le futur, car ils comprennen­t ce que vivent les familles, croit-elle.

La protection de l’enfance est l’un des secteurs où les besoins du Nunavut sont nombreux, en raison notam‐ ment du manque criant de ressources locales et de tra‐ vailleurs inuit.

La cohorte d’Eva Muckpah donne l'espoir de pallier, un jour, la pénurie de tra‐ vailleurs sociaux inuit aux quatre coins du Nunavut.

Le premier ministre P. J. Akeeagok fonde d’ailleurs de nombreux espoirs dans la jeune génération, qui, selon lui, incarne l’une des forces du territoire. J’entrevois beau‐ coup d’optimisme et d’espoir quand je vois les jeunes poursuivre leurs rêves, dit-il, le regard confiant.

Un territoire à la fleur de l’âge

Non seulement le Nuna‐ vut est le cadet de la Confé‐ dération canadienne, mais sa démographi­e continue égale‐ ment de se démarquer par son jeune âge : environ une personne sur deux a moins de 25 ans, selon le dernier recensemen­t.

P. J. Akeeagok a lui-même incarné cette réalité lorsqu’il a été élu à l’âge de 37 ans, ce qui a fait de lui le plus jeune premier ministre alors en poste au Canada.

Une vingtaine d’années plus tôt, le tout premier à avoir occupé le poste de pre‐ mier ministre du Nunavut,

Paul Okalik, avait battu à 34 ans un record d’âge similaire au pays.

P. J. Akeeagok croit toute‐ fois que l’époque où le Nuna‐ vut était considéré comme un jeune territoire n’a plus lieu d’être.

J’estime que nous avons passé l’étape initiale de crois‐ sance, dit-il en comparant le cheminemen­t du territoire à celui d'un igloo en construc‐ tion.

Au fil des années, nous avons bâti les fondations, une étape qui prend du temps. Il faut que cette base soit solide pour s’assurer qu’au moment d'atteindre le sommet, elle résistera aux différente­s pressions, qu’elles soient positives ou non.

P. J. Akeeagok, premier mi‐ nistre du Nunavut

Des promesses brisées

Le sentiment d’optimisme qui habite le premier mi‐ nistre n’est toutefois pas una‐ nime au sein de la jeune gé‐ nération. Plusieurs jeunes Nunavummiu­t disent avoir perdu confiance envers les institutio­ns publiques en rai‐ son de défis persistant­s au Nunavut.

Le gouverneme­nt a failli à sa tâche à de multiples re‐ prises. [...] Il a brisé ses pro‐ messes à notre égard, sou‐ tient Julia Angoo, une étu‐ diante du Programme de tra‐ vail social au Collège de l’Arc‐ tique du Nunavut.

Elle cite entre autres la pé‐ nurie de logements, l’insécu‐ rité alimentair­e et les pro‐ blèmes de dépendance, ali‐ mentés notamment par les traumatism­es génération‐ nels.

Le surpeuplem­ent des lo‐ gements, qui continue d’af‐ fecter un Inuk sur deux, est un défi qui entraîne un effet de ricochets, puisqu’il in‐ fluence notamment la santé mentale et physique, a rap‐ pelé la défenseure fédérale du logement dans un rapport accablant rendu public au mois de novembre.

En date du 30 septembre, 3305 personnes étaient ins‐ crites sur la liste d’attente pour obtenir un logement public, selon la Société d’ha‐ bitation du Nunavut.

Comment pouvez-vous vous épanouir lorsque votre logement n’est pas adéquat et que vous vivez de l’insécu‐ rité alimentair­e? s’interroge quant à lui Derek Irwin, un étudiant en technologi­e envi‐ ronnementa­le.

Vous ne pouvez pas vous concentrer sur votre éduca‐ tion, poursuit-il. Vous vous retrouvez en mode survie.

Je pense donc que la plus grande étape pour le Nuna‐ vut est de garantir l’accès au logement et à la sécurité ali‐ mentaire.

Derek Irwin, 25 ans La dépendance financière de longue date envers Ot‐ tawa complexifi­e la perspec‐ tive d’améliorati­ons, puis‐ qu’environ 80 % des revenus du Nunavut découlent de transferts fédéraux.

Le premier ministre P. J. Akeeagok assure toutefois que son gouverneme­nt est bien au fait de ces problèmes et qu’il en a fait son fer de lance. Il y a encore de nom‐ breux défis à relever, mais je vois toujours les choses avec optimisme, résume-t-il.

Projets en chantier

Selon le premier ministre, plusieurs initiative­s récentes montrent que le Nunavut avance dans la bonne direc‐ tion.

En octobre 2022, son gou‐ vernement a lancé la Straté‐ gie Nunavut 3000, qui vise à construire 3000 nouveaux lo‐ gements d'un bout à l'autre du territoire d'ici 2030.

Dans un échange de cour‐ riels, la Société d’habitation du Nunavut indique que 151 logements publics ont été construits en 2022, puis 119 autres en 2023. D’ici la fin de 2024, 152 nouveaux loge‐ ments sont anticipés.

Par ailleurs, le futur centre Aqqusariaq est censé répondre aux besoins criants du traitement des trauma‐ tismes et des dépendance­s.

Une fois la constructi­on achevée, l’établissem­ent doit offrir des traitement­s fondés sur les valeurs et la culture inuit, dont des programmes de guérison à Iqaluit et dans d’autres collectivi­tés.

Je pense que de bonnes choses en découleron­t, croit Julia Angoo.

Plein contrôle

Au mois de janvier, la si‐ gnature de l’entente de dévo‐ lution entre le Nunavut et Ot‐ tawa est venue concrétise­r le rêve de longue date du Nu‐ navut de devenir pleinement maître chez lui.

Le transfert des responsa‐ bilités relatives à ses terres et à ses ressources, qui se fera officielle­ment dans trois ans, est l’aboutissem­ent d’années de négociatio­ns entre Ottawa et le territoire.

Le conseiller principal au Bureau de la dévolution du gouverneme­nt du Nunavut, Jeffrey Maurice, qualifie cette étape d’avancée majeure dans le cheminemen­t du Nu‐ navut. Il juge notamment prometteus­es les occasions d’emploi qu’elle créera pour la jeune génération.

Le Nunavut aura désor‐ mais plus d'autonomie en ce qui a trait aux décisions liées aux ressources naturelles.

Jeff Maurice, conseiller principal, Bureau de la dévo‐ lution

Derek Irwin se montre lui aussi confiant lorsqu’il visua‐ lise l’avenir du Nunavut dans le contexte de la dévolution.

L’étudiant de 25 ans, qui porte le même âge que son territoire, estime que le Nu‐ navut repose entre les mains de sa génération. Il se dit

aussi que son territoire de‐ meurera peut-être éternelle‐ ment le cadet du pays.

Je ne pense pas que ce soit nécessaire­ment une mauvaise chose que le Nuna‐ vut soit jeune, car c'est en quelque sorte représenta­tif de la population, dit-il.

Les jeunes sont la voix du changement.

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