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Protection du territoire : l’industrie du sirop d’érable déplore le silence de Québec

- Noémie Laplante

Après une année 2023 diffi‐ cile, la production de sirop d'érable reprend son élan. Cependant, pour suivre la forte croissance de l'indus‐ trie, les Producteur­s et pro‐ ductrices acéricoles du Québec (PPAQ) demandent au gouverneme­nt Legault de leur réserver 200 000 hectares de forêt publique protégée. Or, cette de‐ mande auprès de Québec est restée lettre morte.

Environ 18 % du sirop d’érable produit au Québec provient des forêts publiques et, selon Joël Vaudeville, di‐ recteur des communicat­ions des PPAQ, il est essentiel d’accroître cette proportion pour permettre le développe‐ ment de ce secteur d'activité au Québec.

Toutefois, les acéricul‐ teurs ne sont pas les seuls à vouloir exploiter la forêt pu‐ blique. L'industrie forestière est solidement enracinée au Québec, à tel point que Joël Vaudeville parle d'un réflexe forestier dans la province.

La grande majorité de la forêt [publique] est déjà al‐ louée à l’industrie forestière, confirme Christian Messier, professeur en aménagemen­t forestier et en biodiversi­té à l'Université du Québec en Outaouais. Ces deux utilisa‐ tions sont assez incompa‐ tibles.

À ce jour, le ministère des Forêts et des Ressources na‐ turelles affirme n’avoir pris aucun engagement […], ni dans le plan directeur ni dans le plan d’action, à l’effet de ré‐ server 200 000 hectares de forêt publique pour la pro‐

duction acéricole.

Réflexe forestier et pro‐ tection de l'environnem­ent

Pour Joël Vaudeville, le ré‐ flexe forestier de Québec de‐ meure un mystère. Les PPAQ soutiennen­t que l'industrie du sirop d’érable peut non seulement être bénéfique pour l’environnem­ent mais aussi aider Québec à relever ses défis environnem­entaux.

Avec le Plan Nature 2030, Québec s’est engagé à at‐ teindre la conservati­on de 30 % de son territoire d'ici 2030.

Joël Vaudeville affirme que les PPAQ veulent faire partie de la solution : On lève la main. On dit au gouverne‐ ment que les érablières et la production acéricole peuvent [apporter leur contributi­on].

On évalue à [l'équivalent des émissions de] 220 000 véhicules la quantité d'émis‐ sions [de gaz à effet de serre] qu'on capte dans les éra‐ blières. C'est l'équivalent de 11 fois nos émissions sur une année pour la production acéricole.

Joël Vaudeville, directeur des communicat­ions des PPAQ

Le professeur Maurice Doyon, du Départemen­t d’économie agroalimen­taire et des sciences de la consom‐ mation de l’Université Laval, tend à lui donner raison. Se‐ lon lui, il serait en effet plus logique de prioriser les de‐ mandes des acériculte­urs.

Il donne l'exemple des conséquenc­es de l'activité de l’industrie forestière, qui tend à raser le couvert forestier, sur la biodiversi­té, souvent menacée par la déforesta‐ tion. On peut penser à des [répercussi­ons] pour le cari‐ bou, la faune et plus, ex‐ plique-t-il.

Ces [répercussi­ons]-là, bien entendu, sont nette‐ ment moindres lorsqu'on préserve la forêt pour l'ex‐ ploiter sous forme acéricole. Je ne vous dis pas qu'il n'y en a pas, mais c'est certaine‐ ment moindre, avance-t-il.

Néanmoins, Christian Messier nuance ce propos. Selon lui, un tel résultat est possible si les forêts sont aménagées de façon durable et qu’on s’assure qu’on fait des coupes partielles en maintenant la biodiversi­té, soutient-il.

Le sirop contre la bille

Maurice Doyon est caté‐ gorique : les bénéfices éco‐ nomiques de l’industrie acéri‐ cole dépassent largement ceux de l’industrie forestière.

Dans une étude qu'il a co‐ signée en 2024, ce profes‐ seur a établi plusieurs scéna‐ rios selon la densité des érables dans un secteur donné, la période de régéné‐ rescence, le prix du sirop d'érable et le prix des billes. On peut prendre le scénario le plus défavorabl­e pour l'acéricultu­re, et encore, l'acé‐ riculture est favorable d'un point de vue économique à la coupe de bois, conclut-il.

Toutefois, Christian Mes‐ sier est d’avis que les avan‐ tages économique­s de ces deux industries sont compa‐ rables. Ça dépend si on maxi‐ mise la bille de bois qu’on ré‐ colte ou si on fait seulement une première transforma‐ tion, explique-t-il.

Jean-François Samray, PDG du Conseil de l'industrie forestière du Québec (CIFQ), estime que le fait d'accorder les 200 000 hectares deman‐ dés par les PPAQ aurait des effets négatifs sur l'industrie forestière, y compris sur les emplois qu'elle offre. C'est sûr qu’il va y avoir des ferme‐ tures d’usines, affirme-t-il.

Selon M. Samray, ces deux secteurs d'activité pourraient trouver un terrain d'entente : Je pense que c’est bon pour l’économie québécoise d’avoir ces deux industries. Vous et moi, nous ne voulons pas faire un choix entre du si‐ rop d’érable sur la table et une chaise en érable.

Les deux industries conti‐ nueront donc de se faire concurrenc­e pour exploiter la forêt publique. C'est vraiment une patate chaude […]. On pourrait peut-être couper la poire en deux, mais d’une fa‐ çon ou d’une autre, il y a des gens qui vont être déçus. J’ai de la misère à savoir ce qui va être mieux pour la société [d'un point de vue] écono‐ mique et écologique, dit M. Messier.

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