Les bienfaits insoupçonnés du télétravail pour les personnes neuroatypiques
Le télétravail a des effets positifs jusqu’à tout récem‐ ment insoupçonnés pour certaines personnes neu‐ roatypiques. Travailler à la maison crée un environne‐ ment mieux adapté à leurs besoins, ce qui, en retour, accroît leur efficacité au travail.
Pour Marjorie Desor‐ meaux-Moreau, chercheuse et professeure agrégée à l’Université de Sherbrooke et elle-même autiste, les envi‐ ronnements de travail en présentiel peuvent poser un problème de productivité pour les personnes neuroaty‐ piques.
Ces gens sont suscep‐ tibles de dépenser beaucoup plus d’énergie au travail que les personnes neurotypiques, notamment pour camoufler leur neurodivergence, sou‐ ligne Mme Desormeaux-Mo‐ reau.
Le camouflage est tou‐ jours quelque chose qui est physiquement et mentale‐ ment fatigant à la longue [...]. Cette énergie-là qu'on consacre au camouflage, c'est de l’énergie supplémen‐ taire que les autistes ont à in‐ vestir tout au long de leur journée par rapport aux per‐ sonnes qui sont non autistes. C'est de l’énergie qui n'est pas disponible pour réaliser les tâches réellement fonda‐ mentales et inhérentes au travail, affirme-t-elle.
C’est le cas de l’informati‐ cien Alexandre Beaudin, diag‐ nostiqué du syndrome d’As‐ perger depuis l’enfance. En raison de son hypersensibi‐ lité sensorielle, surtout vi‐ suelle et auditive, il peut, grâce au télétravail, limiter les distractions puisqu’il peut contrôler son environnement de travail en fonction de ses besoins, par exemple en adaptant l’éclairage de son bureau, en prenant des pauses à son rythme et en li‐ mitant les interactions.
L'expérience en télétravail de M. Beaudin contraste avec celle qu'il vit au bureau, où des discussions qui ne sont pas nécessairement reliées aux tâches peuvent le dis‐ traire.
Je vais peut-être avoir ten‐ dance, parfois, à me concen‐ trer sur les distractions. S'il y en a trop, ça peut devenir un problème, explique-t-il.
Mme Desormeaux-Mo‐ reau précise aussi qu’il est faux de croire qu'une per‐ sonne neurodivergente s’ha‐ bituera avec le temps à un environnement de travail mésadapté. Ce n’est pas en exposant davantage la per‐ sonne ou en entraînant la personne [neuroatypique] davantage que celle-ci va finir par s’épanouir tout bonne‐ ment et naturellement dans son contexte de travail.
Milieu de travail flexible
Cependant, ce n’est pas toutes les personnes neuroa‐ typiques qui préfèrent le télé‐ travail, et ce, bien que cer‐ taines d’entre elles soient plus sensibles aux stimuli ex‐ térieurs et aux stratégies de camouflage.
Il ne faut donc pas géné‐ raliser les préférences pour le télétravail de ces per‐ sonnes mais plutôt leur offrir un environnement de travail flexible qui leur permet de s'épanouir et de bien réaliser leurs tâches. C’est ce que pré‐ conise Martin Prévost, direc‐ teur de l'accompagnement chez Neuro Plus, un orga‐ nisme qui mise sur l’insertion professionnelle des per‐ sonnes neuroatypiques.
Plusieurs personnes neu‐ roatypiques vont avoir des préférences, donc on ne peut pas vraiment généraliser. L’idée, c’est d’être ouvert, ex‐ plique M. Prévost.
Tout bon gestionnaire de‐ vrait se préoccuper de son personnel et essayer de lui offrir des conditions de tra‐ vail pertinentes. Si on re‐ garde, il y a plein d'accommo‐ dements qui existent sur le marché du travail.
Martin Prévost, directeur de l'accompagnement chez Neuro Plus
Pour Marilyn Briand, ges‐ tionnaire en acquisition de talents chez Ubisoft, la flexi‐ bilité de cette entreprise en ce qui a trait à ses espaces de travail accroît le sentiment de bien-être des employés, tant chez les neurotypiques que chez les neuroatypiques.
Avoir des bureaux flexibles [...] m'a permis de choisir la lumière qui était adéquate pour moi, de m'éloigner de la fenêtre et de choisir un espace qui me convient mieux. Au contraire, j'ai des personnes qui aiment être dans le vif de l'action, mais elles peuvent choisir un espace de travail qui est un petit peu plus proche de l'ac‐ tion. Donc, on mise vraiment sur la flexibilité pour s'ajuster aux besoins individuels, ex‐ plique-t-elle.
L'importance de gration l'inté‐
Pour Mme Briand, les per‐ sonnes neuroatypiques ap‐ portent une plus-value en matière de créativité et d’in‐ novation au sein de l’entre‐ prise, d'où l'importance de les intégrer adéquatement.
Quand on parle de neuro‐ diversité, on parle de per‐ sonnes qui réfléchissent d'une manière différente, qui ne réfléchissent pas de la manière typique. Et c'est ce dont on a besoin, précise-telle au sujet de leur impor‐ tance dans le secteur des jeux vidéo et des technolo‐ gies.
Même son de cloche de la part d'Hélène Lafleur, ges‐ tionnaire au service à la clien‐ tèle et au soutien technique au Conseil des écoles pu‐ bliques de l'Est de l'Ontario, qui souligne l’apport des per‐ sonnes neuroatypiques pour l’employeur. Elle précise tou‐ tefois que son milieu de tra‐ vail a dû s’adapter afin de permettre une intégration réussie pour les personnes neuroatypiques.
On a été obligés de se re‐ structurer dans nos proces‐ sus et dans nos procédures. On n'a pas beaucoup de choses écrites au niveau des procédures dans notre sec‐ teur et il fallait vraiment les écrire étape par étape. Il ne faut pas avoir peur [des per‐ sonnes atypiques] : ce sont tellement de beaux contacts humains et de belles occa‐ sions de rencontres.
Mme Briand insiste aussi sur l’importance de la flexibi‐ lité afin de répondre aux be‐ soins de socialisation de chaque employé. Il y a des in‐ dividus qui ont besoin de la socialisation, et si personne n'est au bureau, on ne répon‐ drait pas à ce besoin de so‐ cialisation nécessairement. Je pense qu'en misant sur un milieu hybride [...], on est ca‐ pables de répondre aux be‐ soins de chacun.
Il faut penser à explorer avec la personne [neurodi‐ vergente] elle-même quels sont les moyens et les straté‐ gies qui feraient en sorte qu'elle se sentirait mieux au travail [et miser sur] l'impor‐ tance d'ouvrir un dialogue, de communiquer avec la per‐ sonne, conclut Mme Desor‐ meaux-Moreau.
Avec les informations d'Élyse Allard
À lire et écouter :
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