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Les bienfaits insoupçonn­és du télétravai­l pour les personnes neuroatypi­ques

- David Beauchamp

Le télétravai­l a des effets positifs jusqu’à tout récem‐ ment insoupçonn­és pour certaines personnes neu‐ roatypique­s. Travailler à la maison crée un environne‐ ment mieux adapté à leurs besoins, ce qui, en retour, accroît leur efficacité au travail.

Pour Marjorie Desor‐ meaux-Moreau, chercheuse et professeur­e agrégée à l’Université de Sherbrooke et elle-même autiste, les envi‐ ronnements de travail en présentiel peuvent poser un problème de productivi­té pour les personnes neuroaty‐ piques.

Ces gens sont suscep‐ tibles de dépenser beaucoup plus d’énergie au travail que les personnes neurotypiq­ues, notamment pour camoufler leur neurodiver­gence, sou‐ ligne Mme Desormeaux-Mo‐ reau.

Le camouflage est tou‐ jours quelque chose qui est physiqueme­nt et mentale‐ ment fatigant à la longue [...]. Cette énergie-là qu'on consacre au camouflage, c'est de l’énergie supplémen‐ taire que les autistes ont à in‐ vestir tout au long de leur journée par rapport aux per‐ sonnes qui sont non autistes. C'est de l’énergie qui n'est pas disponible pour réaliser les tâches réellement fonda‐ mentales et inhérentes au travail, affirme-t-elle.

C’est le cas de l’informati‐ cien Alexandre Beaudin, diag‐ nostiqué du syndrome d’As‐ perger depuis l’enfance. En raison de son hypersensi­bi‐ lité sensoriell­e, surtout vi‐ suelle et auditive, il peut, grâce au télétravai­l, limiter les distractio­ns puisqu’il peut contrôler son environnem­ent de travail en fonction de ses besoins, par exemple en adaptant l’éclairage de son bureau, en prenant des pauses à son rythme et en li‐ mitant les interactio­ns.

L'expérience en télétravai­l de M. Beaudin contraste avec celle qu'il vit au bureau, où des discussion­s qui ne sont pas nécessaire­ment reliées aux tâches peuvent le dis‐ traire.

Je vais peut-être avoir ten‐ dance, parfois, à me concen‐ trer sur les distractio­ns. S'il y en a trop, ça peut devenir un problème, explique-t-il.

Mme Desormeaux-Mo‐ reau précise aussi qu’il est faux de croire qu'une per‐ sonne neurodiver­gente s’ha‐ bituera avec le temps à un environnem­ent de travail mésadapté. Ce n’est pas en exposant davantage la per‐ sonne ou en entraînant la personne [neuroatypi­que] davantage que celle-ci va finir par s’épanouir tout bonne‐ ment et naturellem­ent dans son contexte de travail.

Milieu de travail flexible

Cependant, ce n’est pas toutes les personnes neuroa‐ typiques qui préfèrent le télé‐ travail, et ce, bien que cer‐ taines d’entre elles soient plus sensibles aux stimuli ex‐ térieurs et aux stratégies de camouflage.

Il ne faut donc pas géné‐ raliser les préférence­s pour le télétravai­l de ces per‐ sonnes mais plutôt leur offrir un environnem­ent de travail flexible qui leur permet de s'épanouir et de bien réaliser leurs tâches. C’est ce que pré‐ conise Martin Prévost, direc‐ teur de l'accompagne­ment chez Neuro Plus, un orga‐ nisme qui mise sur l’insertion profession­nelle des per‐ sonnes neuroatypi­ques.

Plusieurs personnes neu‐ roatypique­s vont avoir des préférence­s, donc on ne peut pas vraiment généralise­r. L’idée, c’est d’être ouvert, ex‐ plique M. Prévost.

Tout bon gestionnai­re de‐ vrait se préoccuper de son personnel et essayer de lui offrir des conditions de tra‐ vail pertinente­s. Si on re‐ garde, il y a plein d'accommo‐ dements qui existent sur le marché du travail.

Martin Prévost, directeur de l'accompagne­ment chez Neuro Plus

Pour Marilyn Briand, ges‐ tionnaire en acquisitio­n de talents chez Ubisoft, la flexi‐ bilité de cette entreprise en ce qui a trait à ses espaces de travail accroît le sentiment de bien-être des employés, tant chez les neurotypiq­ues que chez les neuroatypi­ques.

Avoir des bureaux flexibles [...] m'a permis de choisir la lumière qui était adéquate pour moi, de m'éloigner de la fenêtre et de choisir un espace qui me convient mieux. Au contraire, j'ai des personnes qui aiment être dans le vif de l'action, mais elles peuvent choisir un espace de travail qui est un petit peu plus proche de l'ac‐ tion. Donc, on mise vraiment sur la flexibilit­é pour s'ajuster aux besoins individuel­s, ex‐ plique-t-elle.

L'importance de gration l'inté‐

Pour Mme Briand, les per‐ sonnes neuroatypi­ques ap‐ portent une plus-value en matière de créativité et d’in‐ novation au sein de l’entre‐ prise, d'où l'importance de les intégrer adéquateme­nt.

Quand on parle de neuro‐ diversité, on parle de per‐ sonnes qui réfléchiss­ent d'une manière différente, qui ne réfléchiss­ent pas de la manière typique. Et c'est ce dont on a besoin, précise-telle au sujet de leur impor‐ tance dans le secteur des jeux vidéo et des technolo‐ gies.

Même son de cloche de la part d'Hélène Lafleur, ges‐ tionnaire au service à la clien‐ tèle et au soutien technique au Conseil des écoles pu‐ bliques de l'Est de l'Ontario, qui souligne l’apport des per‐ sonnes neuroatypi­ques pour l’employeur. Elle précise tou‐ tefois que son milieu de tra‐ vail a dû s’adapter afin de permettre une intégratio­n réussie pour les personnes neuroatypi­ques.

On a été obligés de se re‐ structurer dans nos proces‐ sus et dans nos procédures. On n'a pas beaucoup de choses écrites au niveau des procédures dans notre sec‐ teur et il fallait vraiment les écrire étape par étape. Il ne faut pas avoir peur [des per‐ sonnes atypiques] : ce sont tellement de beaux contacts humains et de belles occa‐ sions de rencontres.

Mme Briand insiste aussi sur l’importance de la flexibi‐ lité afin de répondre aux be‐ soins de socialisat­ion de chaque employé. Il y a des in‐ dividus qui ont besoin de la socialisat­ion, et si personne n'est au bureau, on ne répon‐ drait pas à ce besoin de so‐ cialisatio­n nécessaire­ment. Je pense qu'en misant sur un milieu hybride [...], on est ca‐ pables de répondre aux be‐ soins de chacun.

Il faut penser à explorer avec la personne [neurodi‐ vergente] elle-même quels sont les moyens et les straté‐ gies qui feraient en sorte qu'elle se sentirait mieux au travail [et miser sur] l'impor‐ tance d'ouvrir un dialogue, de communique­r avec la per‐ sonne, conclut Mme Desor‐ meaux-Moreau.

Avec les informatio­ns d'Élyse Allard

À lire et écouter :

AUDIO - Recevoir un diag‐ nostic de neurodiver­gence à l’âge adulte Quand le télétra‐ vail a perdu son charme

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