Radio-Canada Info

Deux ans de moratoire sur la pêche printanièr­e au hareng

- Joane Bérubé

Le 30 mars 2022, la mi‐ nistre des Pêches de l’époque, Joyce Murray, fer‐ mait la pêche au hareng de printemps et au maque‐ reau dans l'estuaire et le golfe du Saint-Laurent.

La nouvelle est tombée sans préavis, à quelques jours du début de la pêche. Pour les crabiers et les ho‐ mardiers, c’était la perte d’une importante source d’appâts.

Pour la quinzaine de pê‐ cheurs, membres du Regrou‐ pement des pêcheurs péla‐ giques profession­nels du sud de la Gaspésie (RPPSG), c’était carrément la perte de leur principal revenu.

Contrairem­ent à la majo‐ rité des autres détenteurs de permis de pêche au hareng, comme les homardiers ou les crabiers, ces pêcheurs ne dé‐ tenaient que ces seuls per‐ mis.

Ils n’ont depuis reçu au‐ cune compensati­on.

Selon leur porte-parole Ghislain Collin, président du Regroupeme­nt des pêcheurs pélagiques profession­nels du sud de la Gaspésie (RPPSG), toutes les démarches entre‐ prises auprès du ministère des Pêches et des Océans n’ont rien donné.

Le MPO, dit-il, a fermé la porte à toutes mesures com‐ pensatoire­s, y compris un programme de rachat de per‐ mis. La ministre des Pêches, Diane Lebouthill­ier, a d’ailleurs confirmé à de nom‐ breuses reprises cette déci‐ sion, et ce, pas plus tard que la semaine dernière.

Les nombreuses de‐ mandes du Regroupeme­nt pour rencontrer la ministre des Pêches, Diane Lebouthil‐ lier, sont aussi demeurées sans résultat. Je ne com‐ prends pas comment elle nous aider si elle ne prend pas le temps de nous parler, commente M. Collin.

Certains pêcheurs se sont tournés vers d’autres pêche‐ ries. D’autres ont vendu leur permis et fermé leurs entre‐ prises. Deux pêcheurs de la Gaspésie vont aussi partici‐ per cette année à un proto‐ cole de recherche sur le ha‐ reng, mis en place par le MPO.

M. Collin souhaitera­it tou‐ tefois que les détenteurs de permis restants puissent col‐ laborer de manière plus in‐ tensive avec le départemen­t des sciences du MPO, ce qui, d’après lui, assurerait un suivi de la ressource tout en main‐ tenant l’expertise de pêche. Ça donne un peu d’ouvrage aux pêcheurs qui sont en at‐ tente et qui ne savent pas trop ce qu’ils vont faire et qui continuent à payer du quayage et du remisage de bateau. Si les pêcheurs ne peuvent pas aller vérifier, al‐ ler aider les sciences, ça va être très difficile de rouvrir cette pêche-là, fait valoir M. Collin.

Deux cohortes de hareng nagent dans le golfe, une qui se reproduit au printemps et l’autre à l’automne. Le mora‐ toire de 2022 ne touche que le hareng de printemps.

Depuis plus de 20 ans, la population de hareng de printemps est considérée comme étant en zone cri‐ tique, c’est-à-dire que la bio‐ masse de reproducti­on est trop faible pour se reconsti‐ tuer aux niveaux historique­s. Durant cette période, l’éva‐ luation de la biomasse est restée assez stable autour de 30 000 tonnes, rapporte la biologiste du MPO, Laurie Ménard.

Juste avant l’imposition du moratoire, les débarque‐ ments de hareng ont été d’environ 603 tonnes en 2020 et de 403 tonnes en 2021.

Il s’agit donc d’une toute petite pêche. D’ailleurs, le MPO le reconnaiss­ait luimême dans l’avis scientifiq­ue de 2022 en indiquant que le pronostic pour le stock de hareng de printemps reste‐ rait le même en l’absence de prélèvemen­ts par la pêche, et ce, au moins jusqu’en 2027.

D’ailleurs, malgré l’imposi‐ tion du moratoire, la bio‐ masse de hareng de prin‐ temps a été évaluée à 33 000 t. en 2022 et à 26 000 t. 2023.

Différente­s menaces

C’est que la pêche est loin d’être l’unique menace sur le hareng de printemps.

Le réchauffem­ent de l’eau du golfe nuit considérab­le‐ ment à la croissance des jeunes harengs puisque leurs proies de prédilecti­ons se font plus rares. L’eau chaude, ce n’est pas bon pour rien pour le hareng. Ça va affecter sa taille, ça va affecter sa fé‐ condité, ça va affecter son utilisatio­n de l’espace. Ils vont peut-être moins se rendre dans l’eau chaude des côtes, se tenir au plus profond ce qui va faire qu’ils vont avoir de moins bons endroits pour se reproduire, du moins pas les endroits qu’on connaît historique­ment, commente Laurie Ménard.

La prédation est aussi un facteur non négligeabl­e. Les morues, les oiseaux marins et les cétacés sont friands de hareng.

Ce sont d’ailleurs des pois‐ sons qui jouent un rôle de proie essentiel dans l’en‐ semble de l’écosystème du golfe. C’est d’ailleurs une des raisons évoquées par le mi‐ nistère en 2022 pour impo‐ ser la fermeture de la pêche.

Les phoques gris, le thon rouge sont aussi des préda‐ teurs importants et qui sont de plus en plus présents dans le golfe.

Est-ce que le hareng de printemps, une espèce com‐ merciale, pourrait perdre ce statut? Deux ans, c’est court pour évaluer l’impact de l’ar‐ rêt de la pêche sur la res‐ source. La biologiste au MPO, Laurie Ménard, rappelle qu’il faudra du temps pour savoir si la population de hareng peut se reconstitu­er.

C’est une question à la‐ quelle les sciences ne peuvent pas répondre pour le moment.

Mais l’écosystème du golfe change. Rapidement.

Le moratoire sur la pêche printanièr­e au hareng et au maquereau a depuis été suivi par celui de la pêche à la li‐ mande à queue jaune et de la plie rouge, une autre pêche à appâts. D’autres res‐ sources, comme la crevette nordique ou le flétan du Groenland, traversent un dé‐ clin préoccupan­t sinon catas‐ trophique lié aux transforma‐ tions des fonds marins du golfe et de l’estuaire. Le mi‐ nistère des Pêches est resté muet aux appels de soutien.

Pour le représenta­nt des pêcheurs pélagiques, il est désormais clair que le MPO ne semble plus responsabl­e des conséquenc­es écono‐ miques de ses décisions sur les pêcheurs. Le Regroupe‐ ment a évoqué l’automne dernier la possibilit­é d’une poursuite contre le ministère. M. Collin indique qu’un avis juridique est attendu au prin‐ temps.

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