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Un locataire forcé de rendre 33 000 $ à son expropriét­aire

- Camille Carpentier faits

Un locataire qui avait pour‐ suivi son ex-propriétai­re pour éviction illégale est forcé de rendre les 33 666 dollars en compensati­on qu’il avait obtenus. La Cour du Québec casse le juge‐ ment du Tribunal adminis‐ tratif du logement et conclut que l’éviction s’est faite dans les règles.

À l’été 2021, Claude Cha‐ rest et sa conjointe ont été évincés du logement qu’ils habitaient depuis plus de 20 ans dans le quartier Limoi‐ lou, à Québec. L’entreprise propriétai­re, Opti Plex inc., souhaitait subdiviser leur 5 et demi pour créer deux 4 et demi.

Or, une fois les travaux terminés, Claude Charest re‐ marque que les plans du pro‐ priétaire ont été modifiés. Le logement n’a été amputé que de 10 % de sa superficie et il est toujours un 5 et demi. Le montant du loyer, lui, a presque triplé. Soupçonnan­t une éviction illégale et de mauvaise foi, il entame des démarches auprès du Tribu‐ nal administra­tif du loge‐ ment (TAL).

En février 2023, la juge Mi‐ cheline Leclerc lui donne rai‐ son. Elle note que le proprié‐ taire n’avait pas en main les permis de travaux néces‐ saires au moment d’évincer ses locataires. Elle conclut que l’éviction était non seule‐ ment illégale, mais qu’elle a aussi été faite de mauvaise foi. Opti Plex inc. a été condamnée à verser 33 666 $ au couple, une somme colos‐ sale pour un dossier du genre selon des organismes et des avocats spécialisé­s en droit du logement.

L’avocat d’Opti Plex inc., Me Guillaume Demers, croit que la juge Leclerc a fait une analyse bâclée de la mau‐ vaise foi de ses clients. Ceuxci ont fait appel du jugement pour laver leur réputation.

Les propriétai­res avaient tout mis en oeuvre pour s'as‐ surer que leurs travaux étaient légaux, que le proces‐ sus était légal, qu'ils faisaient tout selon les normes. Puis, ils se ramassent avec la déci‐ sion du TAL qui les condam‐ nait à des dommages punitifs qui sont pratiqueme­nt histo‐ riques, explique-t-il.

Erreurs de droit et de

Le juge Pierre A. Gagnon de la Cour du Québec rejette l’ensemble des conclusion­s du TAL. Il affirme que la juge de première instance a com‐ mis une erreur manifeste et déterminan­te en concluant que l’éviction des locataires était illégale.

Cette conclusion erronée pourrait s’expliquer par le fait qu’Opti Plex inc. n’a pas fourni au TAL tous les permis délivrés par la Ville de Qué‐ bec. La preuve administré­e devant le TAL était incom‐ plète et quelque peu confuse, convient le juge Ga‐ gnon, qui note que le pro‐ priétaire avait bel et bien les permis nécessaire­s en main lorsqu’il a transmis l’avis d’éviction. La juge aurait dû signaler les lacunes de la preuve, considéran­t que les deux parties n’étaient pas re‐ présentées par un avocat.

Les propriétai­res n'ont pas déposé le permis parce qu'à ce moment-là, ce n'était pas un débat. L'existence ou non d'un permis n'a pas été discutée du tout, précise Me Demers, qui a représenté Opti Plex inc. durant les pro‐ cédures d’appel.

Le juge Gagnon note par ailleurs que le TAL a commis une erreur de droit en concluant à la mauvaise foi du propriétai­re. La mauvaise foi et l’illégalité sont deux concepts qu’il ne faut pas confondre, indique-t-il. Il note par ailleurs que l’ab‐ sence de permis n’est pas une preuve fatale de l’illéga‐ lité du projet.

Le juge Gagnon en vient aussi à la conclusion que contrairem­ent à la prétention des locataires, le logement a bel et bien été subdivisé. Les travaux effectués ont permis la création d’un 9e apparte‐ ment dans l’édifice, ce qui, aux yeux du juge, est la preuve d’une subdivisio­n.

La prétention des loca‐ taires que le locateur a ob‐ tenu l’éviction de mauvaise foi parce qu’il n’a pas subdi‐ visé le logement est mal fon‐ dée.

Pierre A. Gagnon, juge de la Cour du Québec

Les ex-locataires déçus

Claude Charest et sa conjointe, Diane Gobeil, n’ont pas souhaité commenter ce verdict. Se disant très déçus, ils confirment qu’ils vont re‐ mettre l’argent obtenu. Après de longues démarches judi‐ ciaires entreprise­s sans l’aide d’un avocat, ils souhaitent maintenant tourner la page.

Ce verdict est aussi une déception pour Marie-Lou Drouin, intervenan­te au Bu‐ reau d’animation et informa‐ tion logement (BAIL), qui re‐ doute son impact sur d’autres locataires.

Je crains que les locataires qui vivent des situations simi‐ laires n'osent pas poursuivre pour aller chercher des sous, dit-elle. Je crains que certains propriétai­res prennent ce ju‐ gement-là comme une invita‐ tion à agir comme bon leur semble.

Malgré les conclusion­s du Tribunal, elle demeure convaincue de la mauvaise foi des propriétai­res.

Je suis persuadée qu'Opti Plex inc., quand ils ont entre‐ pris leurs démarches, c'était dans le but d'évincer les loca‐ taires. C'était dans l'objectif de relouer ces logements-là plus cher.

Marie-Lou Drouin, interve‐ nante, BAIL

Elle croit d’ailleurs que si Claude Charest et sa conjointe avaient eu recours aux services d’un avocat, le verdict aurait pu être diffé‐ rent.

Il y a plein de petites parti‐ cularités de la loi que le loca‐ taire ignore. Le propriétai­re était équipé pour trouver ces petites particular­ités, les failles du jugement, et les mettre en valeur. Et il a fina‐ lement gagné.

Un jugement favorable aux propriétai­res

La Corporatio­n des pro‐ priétaires immobilier­s du Québec (CORPIQ) a une tout autre perception du juge‐ ment.

Ça fait du bien de voir qu'un jugement en appel vient rétablir le bon sens, lance le président du conseil d’administra­tion Éric San‐ soucy, qui qualifie cette lec‐ ture de délice.

Selon lui, le montant des dommages punitifs ordonnés par la juge de première ins‐ tance créait un précédent qui aurait pu décourager certains propriétai­res de faire des ré‐ novations.

De voir un propriétai­re qui ajoute une unité, qui in‐ vestit, je devine, des cen‐ taines de milliers de dollars et qui se fait poursuivre au TAL pour des préjudices non fondés, ça ne va pas dans le sens de solutionne­r la crise du logement, plaide-t-il.

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