Quand les Afro-Américaines s’arment pour se protéger
En ce dimanche matin, à Cortland Manor, dans l’État de New York, de nom‐ breuses personnes viennent s'adonner à leur activité favorite, le tir avec leurs armes à feu. En s'ap‐ prochant d’un champ d'exercice à l’extrémité d'un vaste terrain, on constate que ce sont sur‐ tout des femmes afro-amé‐ ricaines qui inscrivent leur nom sur le registre des in‐ vités.
En cette journée spéciale d’entraînement pour les femmes afro-américaines, toutes les munitions sont gratuites, annonce le forma‐ teur Donovan Lambert, pré‐ sident de S.O.U.L. Society Fi‐ rearm Club, l'organisation qui encadre ces activités.
Parmi les clientes assi‐ dues du champ de tir, il y a Wendy James, qui a apporté ses deux armes, dont elle est très fière : son fusil semi-au‐ tomatique et son arme de poing.
Tout le monde devrait s’y adonner, parce qu'il ne s'agit pas de violence, c’est une question de sécurité et le fait de venir ici pour s'amuser. C’est pour ça que j'ai obtenu mon permis de port d’armes, explique Mme James.
Tout comme Donovan Lambert, elle est membre de la National African American Gun Association (NAAGA). Sorte d'équivalent de la Na‐ tional Rifle Association (NRA), le lobby américain des armes à feu, cette association est destinée aux Afro-Améri‐ cains.
L'objectif de la NAAGA est en fait d'avoir plus de per‐ sonnes qui me ressemblent. Cela pourrait permettre à une autre personne qui me ressemble d'être plus à l'aise et de réaliser que : "Hé, je peux le faire aussi", dit M. Lambert.
Ici, on partage les mêmes idées et on soutient le deuxième amendement de la Constitution, qui garantit le droit de détenir des armes. La NAAGA compte au‐ jourd’hui plus de 45 000 membres actifs. Lors de ces séances d’entraînement, cha‐ cun essaie tous les calibres d’armes, même les fusils d’as‐ saut, comme les AR-15 utili‐ sés dans la plupart des fu‐ sillades meurtrières aux États-Unis.
Les ventes d'armes à feu ont connu une forte augmen‐ tation au sein de la commu‐ nauté afro-américaine après l'affaire George Floyd, ex‐ plique Donovan Lambert. Il estime que le meurtre de Floyd et les bavures poli‐ cières survenues contre la communauté afro-améri‐ caine ont contribué à ce sen‐ timent d’insécurité ambiante dans la vie de tous les jours aux États-Unis.
Pas étonnant que la majo‐ rité des nouveaux membres de la NAAGA soient des femmes comme Sam Toliver, qui vit sa première expé‐ rience au champ de tir. C’est le besoin de sécurité qui l’a guidée vers les armes à feu. Originaire du Bronx, à New York, elle dit avoir vécu plu‐ sieurs situations où elle au‐ rait eu besoin d’une arme pour se protéger elle-même, précise-t-elle, et non pour in‐ terférer avec le travail de la police.
Je n'aime pas que les poli‐ ciers tuent surtout des per‐ sonnes de couleur. Mais si je vais chercher mon arme pour intervenir, c'est comme être un justicier et ce n'est pas pour cela que je veux utiliser mon arme, témoigne Mme Toliver.
À l'heure actuelle, un AfroAméricain sur cinq possède une arme à feu aux ÉtatsUnis, une proportion en aug‐ mentation. Des médecins, des avocats, mais aussi des mères de famille comme Ta‐ nya Riggs, une agente immo‐ bilière de la région de West‐ chester, comptent parmi ces personnes.
Les femmes afro-améri‐ caines sont les chefs de fa‐ mille et les leaders de leur foyer. Il est important d'être capable de gérer [une situa‐ tion], si votre mari a une arme à feu, vous devez savoir comment l’utiliser si néces‐ saire.
Tanya Riggs, agente im‐ mobilière
Une voix dissidente
Mais Yvette Ramos a une autre vision des armes à feu. Cette résidente de Brooklyn a fait renommer une rue de son quartier en mémoire de son fils Kenneth, un rappeur, qui a été kidnappé et assas‐ siné il y a presque 11 ans à Miami. Elle se rappellera tou‐ jours son dernier câlin, juste avant sa mort, dit-elle en fon‐ dant en larmes.
Aujourd’hui, Mme Ramos s’oppose à cet armement croissant des citoyens, sous prétexte du deuxième amen‐ dement. Je ne pense pas que tout le monde devrait avoir droit à une arme. Cela signi‐ fie que je devrais avoir le droit d'acheter une arme parce que mon fils a été as‐ sassiné et qu'ils n'ont pas at‐ trapé le tueur, vous savez? Vous pensez donc que je de‐ vrais avoir une arme? Moi, à mon avis, non.
Les nombreux exemples de mères afro-américaines qui ont perdu des enfants à cause de la violence par armes à feu font réfléchir les défenseurs du deuxième amendement de la Constitu‐ tion comme Wendy James.
J'éprouverais de l'empa‐ thie si j'avais perdu un fils à cause de la violence armée, mais si j'avais déjà une arme, je ne pourrais pas honnête‐ ment dire que je m'en débar‐ rasserais, parce que je ne l'ai pas achetée pour la violence, soutient Mme James.
Mais l’attrait de la protec‐ tion personnelle grâce aux armes à feu semble l’empor‐ ter pour Tanya Riggs. Pour être honnête, je suis un peu partagée, mais je pense que je préfère savoir comment manipuler une arme, com‐ ment désarmer quelqu’un, plutôt que d'être complète‐ ment désemparée et presque comme une cible fa‐ cile.
Selon Donovan Lambert, membre de la NAAGA, il existe aussi un fatalisme face à l'omniprésence des armes à feu au pays.
Tout le monde y est sen‐ sible, mais les armes à feu ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Ce n'est tout simplement pas le cas.
Donovan Lambert, forma‐ teur et président de S.O.U.L. Society Firearm Club