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Et si les provinces dictaient les priorités d’Ottawa?

- Fannie Olivier

« Est-ce que vous accepte‐ riez que les provinces em‐ piètent sur les compé‐ tences fédérales? » La question, posée en point de presse à Justin Trudeau à Winnipeg, jeudi, l’a piqué au vif.

Le chef libéral, qui se fait reprocher d’attacher des conditions aux milliards qu’il promet aux provinces depuis le début de l’effeuillag­e bud‐ gétaire, la semaine dernière, a répondu du tac au tac.

Je suis toujours content d'entendre les perspectiv­es et de recevoir de l'argent des provinces si elles veulent in‐ vestir dans notre militaire, par exemple, a-t-il lancé, sou‐ rire en coin.

Ainsi donc, c’est parce que le gouverneme­nt fédéral a les poches plus profondes que celles des provinces qu’Ottawa peut se permettre de leur imposer ses priorités.

Il faudrait maintenant pousser la logique plus loin.

Justin Trudeau accepte‐ rait-il les conditions des pro‐ vinces si leurs coffres étaient assez remplis pour financer l’armée canadienne? Serait-il d’accord, par exemple, pour prendre une enveloppe de Québec si la province lui de‐ mandait de prioriser la dé‐ fense de l’Arctique? L’achat de sous-marins? Le déploiemen­t de troupes en Haïti?

Évidemment, cette poli‐ tique-fiction ne risque pas d’arriver. Dans la réalité de la fédération canadienne, le pouvoir de dépenser d’Ot‐ tawa est sans commune me‐ sure avec celui des provinces et des territoire­s, quitte à ac‐ cumuler les déficits. Ce qui n’empêche pas les provinces

de s'en offusquer.

Les citoyens s’en foutent

Depuis le début de l’égre‐ nage du budget, Justin Tru‐ deau a annoncé l’équivalent de 8 milliards de dollars en argent neuf, principale­ment pour des programmes qui touchent les compétence­s provincial­es : logement, ser‐ vices de garde, alimentati­on scolaire. Les premiers mi‐ nistres François Legault (Qué‐ bec), Doug Ford (Ontario), Blaine Higgs (NouveauBru­nswick) et Danielle Smith (Alberta) ont tour à tour dé‐ noncé la manoeuvre, digérant bien mal de se faire pro‐ mettre des milliards… seule‐ ment s’ils se plient aux condi‐ tions d’Ottawa.

À cela, Justin Trudeau ré‐ pond par un haussement d’épaules. Les citoyens se foutent de quel ordre de gou‐ vernement est responsabl­e de quoi, a-t-il lancé en point de presse jeudi, pour sa sixième annonce prébudgé‐ taire.

Ce n’est évidemment pas les provinces que Justin Tru‐ deau a dans sa mire - c’est Pierre Poilievre.

Se débattant depuis des mois avec leur impopulari­té dans les sondages, les libé‐ raux souhaitent toucher les gens droit au coeur. Ils mettent en avant la compas‐ sion qui a été leur marque de commerce depuis leur arri‐ vée au pouvoir en 2015 et laissent entendre que Pierre Poilievre sabrerait dans les programmes qui donnent un peu d’oxygène aux citoyens.

Ils veulent se montrer à l’écoute de la frustratio­n des gens qui dépensent une for‐ tune pour un loyer, qui ont du mal à payer l’épicerie, qui cherchent désespérém­ent une place en garderie. À un an et demi des élections, la tentation est forte de leur promettre mer et monde.

Or, il appert que le par‐ tage des compétence­s prévu par la constituti­on laisse aux provinces les champs qui permettent d’agir très concrèteme­nt dans le quoti‐ dien des gens. Les cris d’indi‐ gnation des provinces n’émeuvent pas les libéraux. Ce n’est pas le vote de Fran‐ çois Legault ou de Doug Ford qu’ils courtisent. C’est celui des électeurs de leurs pro‐ vinces.

Plus ça change…

Il est frappant de voir comment les chefs de parti fédéraux, avant d’être élus, promettent un apaisement des relations avec les pro‐ vinces… pour finalement je‐ ter les gants.

Avant d’être élu en 2006, Stephen Harper s’engageait à privilégie­r un fédéralism­e d’ouverture et souhaitait mettre fin au déséquilib­re fis‐ cal. Au fil de ses années au pouvoir, il s’est toutefois mis une partie des provinces à dos, notamment en refusant régulièrem­ent de participer aux rencontres du Conseil de la fédération.

Alors qu’il était dans l’op‐ position, Justin Trudeau re‐ prochait justement à Ste‐ phen Harper de ne pas s'as‐ seoir à la même table que ses homologues des pro‐ vinces. En 2014, il dénonçait l’approche paternalis­te du gouverneme­nt conservate­ur de l’époque, notamment avec sa subvention canadienne à l’emploi, un programme de formation de la maind'oeuvre très mal reçu à Qué‐ bec.

Nous savons très bien que ce sont les provinces qui savent mieux que tout autre quels sont les réels besoins sur le terrain, lançait Justin Trudeau le 11 février 2014, dans la foulée du dépôt du budget conservate­ur de Jim Flaherty. Le chef libéral dé‐ plorait alors un manque de respect pour les provinces, qui va faire mal dans les rela‐ tions interprovi­nciales avec le Canada.

Ainsi, avec le temps qui passe, les premiers ministres semblent faire le calcul qu’entretenir de bonnes rela‐ tions avec leurs homologues des provinces n’est pas si payant que ça.

Un gouverneme­nt qui se bat pour sa survie ne se for‐ malisera pas d’écraser quelques orteils.

Avec la collaborat­ion de Marie Chabot-Johnson

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