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Distraire pour extraire une dent

- Danny Lemieux

Impossible de ne pas perce‐ voir la détresse de la jeune Sarah-Maude. Pour elle, la clinique dentaire est un lieu de torture. Même la prise d’un calmant ne par‐ vient pas à diminuer son anxiété.

Avant de venir nous voir, Sarah-Maude devait d’abord faire une prise de sang à un autre étage. L'infirmière me disait que l’enfant était terro‐ risée. C'est souvent l'anxiété et l'appréhensi­on qui sont les pires, raconte sa dentiste, la Dre Marie-Ève Asselin, qui baigne quotidienn­ement dans cet univers.

Ici, à la Clinique de dentis‐ terie pédiatriqu­e du Centre hospitalie­r universita­ire Sainte-Justine, à Montréal, on reçoit des enfants neurodi‐ vergents.

On parle d'hypersensi­bi‐ lité ou d'anxiété, note la Dre Asselin. On peut également rencontrer des enfants avec un trouble envahissan­t du développem­ent, un TDAH, ou porteurs d’une anomalie gé‐ nétique comme la trisomie 21.

Cette clientèle est généra‐ lement exclue des essais cli‐ niques, ou à tout le moins négligée, explique Sylvie Le May, spécialist­e de la douleur procédural­e.

Un problème auquel la chercheuse affiliée à la Fa‐ culté des sciences infirmière­s de l’Université de Montréal s'attaque avec un essai mené auprès de 200 enfants répar‐ tis en deux groupes. L’un uti‐ lisera la réalité virtuelle, l’autre non.

Cela permettra de bien évaluer l’effet de l’outil.

Aujourd'hui, la Dre Asselin doit extraire une dent à Sa‐ rah-Maude.

Or, malgré l’épreuve à ve‐ nir, la dentiste et sa jeune pa‐ tiente pourraient trouver l'ex‐ périence plus agréable qu’elles ne l’imaginent. On pose un casque de réalité vir‐ tuelle sur la tête de SarahMaude. On lui remet aussi une manette.

Rapidement, l’animation captive l’enfant. La procédure peut commencer.

On veut confirmer si l'utili‐ sation de la réalité virtuelle pendant l’interventi­on rend la visite plus ludique, plus agréable. La réalité virtuelle est une distractio­n multisen‐ sorielle qui permet d'entrer dans un autre monde.

Sylvie Le May, spécialist­e de la douleur procédural­e af‐ filiée à la Faculté des sciences infirmière­s de l’Uni‐ versité de Montréal

Si l’idée est intéressan­te, elle demande réflexion.

En effet, plonger dans un monde virtuel peut susciter l’envie d’interagir, d’attraper des objets, de bouger - ce qui est loin d’être idéal, tant pour le dentiste que pour le pa‐ tient.

Quand l'enfant porte le casque, il ne faut pas qu'il bouge la tête durant l’expé‐ rience immersive qu’on lui propose, explique la Dre Ma‐ rie-Ève Asselin. Évidemment, si la tête de l'enfant bouge, ça complique mon travail.

Empêcher que la tête ne bouge pendant l’expérience, c’est le défi du Dr Jean-Simon Fortin.

Ancien urgentolog­ue, ce médecin se spécialise au‐ jourd’hui dans la réalité vir‐ tuelle au sein de son entre‐ prise Paperplane Therapeu‐ tics.

Après un an de travail, on est arrivé à bâtir une expé‐ rience interactiv­e qui garde la tête du patient immobile, ditil. Pour jouer et générer une interactio­n, il n’utilise que le mouvement de ses yeux pour se déplacer dans le jeu et une manette pour inter‐ agir avec l’interface, comme pour sauter.

Lors de cet essai, on ana‐ lyse une multitude de para‐ mètres. Certains sont subjec‐ tifs, comme les réactions du patient, mais d’autres sont objectifs.

On mesure le stress de l’enfant par sa salive, indique Sylvie Le May. On évalue le taux d’alpha-amylase, une enzyme qui donne une bonne idée de ce que vit l’en‐ fant, de ce qu’il ressent. Cette informatio­n permettra de faire la comparaiso­n entre le groupe expériment­al et le groupe témoin.

Les résultats ne seront disponible­s que plus tard cette année, mais Sylvie Le May a déjà une bonne idée du déroulemen­t de son es‐ sai.

Environ 75 % des enfants tolèrent la réalité virtuelle, af‐ firme-t-elle. Je me dis que si 75 % des enfants vivent une expérience plus positive, c’est tant mieux!

Plongée dans la réalité vir‐ tuelle, Sarah-Maude n’a rien vu, rien senti. La Dre Asselin a pu lui extraire une dent sans difficulté.

Absorbée par le jeu, l’en‐ fant a même demandé à ter‐ miner sa partie avant de se lever du fauteuil de la den‐ tiste.

Un reportage de Danny Lemieux à ce sujet sera présenté à l'émission Dé‐ couverte dimanche à 18 h 30 sur ICI Télé.

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