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« Personne n’est en sécurité ici » : une urgentolog­ue de l’Estrie témoigne depuis Haïti

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Geneviève Proulx, Chantal Rivest Elle n'avait traité qu'une seule plaie par balle dans toute sa carrière de méde‐ cin. Aujourd'hui, la Dre Ra‐ chel Lavigne en soigne 4, 5 et parfois même 15 par jour. Voilà le quotidien de la Sherbrooko­ise au coeur de Port-au-Prince, où elle travaille à l'Hôpital Drouillard de Médecins sans frontières (MSF).

C'est ma première mission pour Médecins sans fron‐ tières. C'est un bon baptême, dit-elle en souriant.

Chaque jour, elle est confrontée aux consé‐ quences dramatique­s du chaos alimenté par les gangs criminels. La semaine pas‐ sée, nous avons reçu une dame d'une quarantain­e d'années qui vendait ses fruits dans la rue. Elle a été victime d'une balle perdue des violences entre les gangs. C'est un passant qui l'a ra‐ massé sur sa moto qui nous l'a apportée. Elle était dans un état assez grave.

Malgré tout ce qu'on a pu faire, [...] elle est morte avant d'avoir pu être transférée à l'autre hôpital [où il y a une salle d'opération]. On ne pouvait pas le faire en raison des tirs. C'était trop dange‐ reux. Ce genre d'histoire, j'en suis témoin tous les jours, ra‐ conte la Dre Lavigne, encore ébranlée.

Les plaies par balle, c'est vraiment notre quotidien. La majorité des victimes, ce sont des civils. Personne n'est en sécurité.

Dre Rachel Lavigne, mé‐ decin urgentolog­ue pour Mé‐ decins sans frontières à Haïti

Et parce que le malheur peut s'abattre n'importe quand sur n'importe qui, les personnes malades ou bles‐ sées attendent et repoussent le plus longtemps possible leur consultati­on à l'hôpital.

Sans oublier qu'il n'y a plus qu'un seul hôpital public en‐ core en activité à Port-auPrince, rappelle la Dre La‐ vigne.

Les autres ont fermé en raison des conflits autour et de la sécurité. Des endroits où tu peux être traité gratui‐ tement, il en reste très peu. C'est ce qu'offre MSF.

Le transport, les déplace‐ ments, c'est extrêmemen­t compliqué et dangereux. Les gens restent à la maison et retardent au maximum leurs soins. Donc, quand ils ar‐ rivent, ils sont dans un état critique.

Dre Rachel Lavigne, mé‐ decin urgentolog­ue pour Mé‐ decins sans frontières à Haïti

Même si elle est arrivée dans la perle des Antilles le 31 janvier dernier, déjà la Dre Lavigne constate une dégrin‐ golade des conditions de vie dans le bidonville Cité Soleil. Quand je suis arrivée, la si‐ tuation était déjà dramatique au niveau de ce que vivait la population, la violence, l'ac‐ cès à l'eau, la nourriture, l'ac‐ cès aux médicament­s. C'était vraiment difficile, explique-telle.

Depuis, j'ai vu une dété‐ rioration majeure de tous les facteurs possibles qui peuvent influencer la popula‐ tion. Par exemple, on a connu des pénuries impor‐ tantes de médicament­s. On voit de plus en plus de vio‐ lence dans les urgences. On voit beaucoup des gens qui sont malades parce qu'ils n'ont pas accès à des soins de santé de base, énumère-telle.

La situation était grave quand je suis arrivée, mais là, c'est à un autre niveau de‐ puis les dernières semaines.

Dre Rachel Lavigne, mé‐ decin urgentolog­ue pour Mé‐ decins sans frontières à Haïti

Rachel Lavigne assure ne pas être en danger malgré l'horreur de ce qu'il se passe dans les rues haïtiennes. Je vis à l'hôpital. Je suis en sécu‐ rité. Notre maison est dans l'enceinte de l'hôpital. Je reste en tout temps ici. Les seules fois où je sors, c'est lorsqu'on va acheter des choses de première nécessité au marché. Parfois, j'accom‐ pagne des patients vers d'autres hôpitaux MSF en ambulance. Sinon, je reste ici.

Tout est difficile!

Il n'y a pas que la violence qui rend difficile le travail de la Dre Lavigne à Haïti. L'aéro‐ port internatio­nal est fermé. Les frontières sont fermées et sont très difficiles à pas‐ ser. Le port aussi est fermé. C'est extrêmemen­t difficile de s'approvisio­nner. On est en rupture de stock pour plu‐ sieurs médicament­s. On réussit à s'entraider entre hô‐ pitaux MSF et les autres orga‐ nisations pour avoir des mé‐ dicaments par-ci par-là, mais c'est difficile, martèle-t-elle.

C'est pour cette raison qu'elle encourage les gens à donner financière­ment à des organisati­ons en qui ils ont confiance, comme Médecins sans frontières. Nos moyens financiers ne sont pas illimi‐ tés. On est indépendan­ts complèteme­nt. On est seule‐ ment financés par des dons privés, explique-t-elle.

On est dans un état de crise. Il faut tendre la main à cette population. [...] Il faut absolument leur offrir notre aide. [...] C'est sûr qu'il y a beaucoup de crises dans le monde, je pense à Gaza, à l'Ukraine... Haïti mérite son droit d'avoir de l'aide et d'avoir un soutien de la com‐ munauté internatio­nale, mais aussi de tout un cha‐ cun.

Dre Rachel Lavigne, mé‐ decin urgentolog­ue pour Mé‐ decins sans frontières à Haïti

La mission de la Dre Ra‐ chel Lavigne en sol haïtien se terminera le 1er mai pro‐ chain.

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