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La lutte d’un couple pour retirer le statut patrimonia­l de sa maison

- Myriam Eddahia

Un couple racisé de To‐ ronto conteste le statut pa‐ trimonial de sa maison centenaire parce que, af‐ firme-t-il, la personne qui lui a donné son nom avait des opinions « racistes ».

La résidence en question, construite en 1906, a été conçue par l'architecte toron‐ tois Eden Smith pour Robert Stapleton Pitt Caldecott, un homme d'affaires qui a oc‐ cupé le poste de président de la Chambre de commerce de Toronto.

Arnold Mahesan, un mé‐ decin spécialist­e de la fertilité d'origine sri-lankaise, et sa femme, l'entreprene­ure et ancienne actrice de Real Housewives de Toronto, Roxanne Earle, qui est d'ori‐ gine pakistanai­se, ont acheté la maison en 2022 pour la somme de 5 millions de dol‐ lars, selon des documents.

À l'époque, disent-ils, ils ne savaient pas que la mai‐ son avait un statut patrimo‐ nial.

Nous avons découvert, avec surprise, que notre rési‐ dence était la maison Calde‐ cott, associée à quelqu'un qui était fermement opposé à l'immigratio­n.

Roxanne Earle, proprié‐ taire torontoise

Lors de la réunion du To‐ ronto Preservati­on Board (TPB) la semaine dernière, le couple a cité un rapport ré‐ digé par Michael Akladios, conférenci­er à l'Université de Toronto, qui souligne que M. Caldecott était opposé à l'im‐ migration et favorable à l'as‐ similation des nouveaux arri‐ vants dans la société cana‐ dienne.

Stapleton Caldecott aurait été consterné par le fait que nous vivions dans la maison qu'il a commandée, a déclaré Dr Mahesan lors de cette rencontre du 28 mars.

Le couple, qui s'identifie comme étant de race mixte, affirme qu'il a découvert que sa maison était désignée comme un bien patrimonia­l l'an dernier, lorsqu'il a envi‐ sagé de modifier l'escalier abrupt qui mène à la maison.

En raison de cette dési‐ gnation patrimonia­le, ils ont appris qu'ils devraient obte‐ nir l'autorisati­on de la Ville avant d'apporter toute modi‐ fication importante à la pro‐ priété.

Le couple a déposé une demande auprès du Toronto Preservati­on Board en jan‐ vier pour faire annuler cette désignatio­n, en soutenant qu'elle avait été approuvée à la hâte par la Ville en 2018.

Arnold Mahesan et Roxanne Earle affirment qu'un examen plus appro‐ fondi aurait révélé que le propriétai­re d'origine avait des opinions qui auraient dû l'exclure de cette désignatio­n.

À l'heure actuelle, Toronto ne dispose pas d'une poli‐ tique qui empêcherai­t les bâ‐ timents appartenan­t à de telles personnes d'obtenir le statut de site patrimonia­l.

La Ville reçoit en moyenne de 1800 à 2000 demandes par an de propriétai­res qui souhaitent modifier leurs biens patrimonia­ux, selon le personnel municipal.

Presque toutes ces de‐ mandes sont approuvées, précise-t-il par courriel.

Une désignatio­n liée à l'architectu­re, selon un rap‐ port

Un rapport du personnel municipal soumis au TPB conclut que la désignatio­n du statut patrimonia­l de la mai‐ son avait peu à voir avec son associatio­n avec Caldecott.

Le document indique plu‐ tôt que la maison vaut la peine d'être protégée, car elle a été conçue par le cé‐ lèbre architecte torontois Eden Smith et en raison des qualités structurel­les uniques qu'il a apportées au bâti‐ ment.

La propriété de l'avenue Woodlawn Ouest est une maison représenta­tive du dé‐ but du 20e siècle, conçue dans une époque influencée par le mouvement Arts and Crafts, selon la Ville de To‐ ronto.

Elle se distingue notam‐ ment par son plan asymé‐ trique.

Retrait du nom Calde‐ cott

Un des membres du To‐ ronto Preservati­on Board, Adam Wynne, soutient la né‐ cessité d'examiner de ma‐ nière critique certains élé‐ ments du passé de la Ville de Toronto sans pour autant promouvoir l'effacement de son histoire. Bien qu'il ait pris part à la décision, il affirme parler en son nom et non au nom du TPB.

Ses propres recherches démontrent que Stapleton Caldecott n'a vécu dans la maison que quelques mois avant sa mort en 1907.

En ce qui concerne les po‐ litiques assimilati­onnistes [de Stapleton Caldecott], nous poursuivon­s encore nos re‐ cherches. D'après ce que je comprends, il y a certaines préoccupat­ions qu'il était as‐ similation­niste, affirme-t-il.

Après avoir appris que la maison qu'ils avaient achetée était un bien patrimonia­l dé‐ signé sous le nom de Calde‐ cott House, le couple a de‐ mandé à Michael Akladios de se renseigner sur Caldecott, explique le conférenci­er.

En l'espace de quelques semaines, il a dit au couple que s'ils voulaient contester la désignatio­n patrimonia­le de la maison, ils auraient plus de chances d'y parvenir en se concentran­t sur les mé‐ rites architectu­raux du bâti‐ ment plutôt que sur Staple‐ ton Caldecott lui-même.

C'est alors que le couple lui aurait dit de continuer à chercher, affirme M. Akla‐ dios.

À la fin novembre, il a dé‐ claré leur avoir fourni un rap‐ port concluant qu'il aurait peut-être été imprudent pour la Ville de faire réfé‐ rence à Caldecott dans sa dé‐ signation de la maison comme site patrimonia­l.

À écouter :

Faut-il renommer les rues à l’héritage raciste?

Contrairem­ent aux affir‐ mations du rapport [de la Ville], l'associatio­n avec Ro‐ bert Stapleton Pitt Caldecott pourrait ne pas suffire, étant donné ses opinions restric‐ tives sur l'immigratio­n et sa position sur l'éducation comme moyen d'assimila‐ tion, écrit M. Akladios dans son rapport.

Je ne le qualifie pas de ra‐ ciste dans mon rapport. C'est peut-être le point de vue [des propriétai­res]. Je ne le quali‐ fie pas de raciste, précise le conférenci­er.

Le Toronto Preservati­on Board recommande de main‐ tenir le statut patrimonia­l pour préserver la valeur culturelle historique de la maison, tout en retirant toutes les références au nom Caldecott des documents de la Ville qui expliquent la signi‐ fication de la maison.

Je connais d'autres pro‐ priétés avec des histoires qui susciterai­ent des inquiétude­s et qui pourraient justifier un examen plus approfondi.

Adam Wynne, chercheur et défenseur du patrimoine de Toronto

Je recommande que les biens patrimonia­ux soient in‐ clus dans l'exercice du comité consultati­f communauta­ire de la Ville de Toronto, pro‐ pose donc M. Wynne.

Depuis sa création en 2021, les membres de ce co‐ mité se sont penchés sur le changement de nom de la rue Dundas et de la place Yonge-Dundas de Toronto, rebaptisée place Sankofa.

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